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Clausewitz est-il pédago ?

Je retranscris un dialogue avec un des lecteurs d'égéa; de façon que tut le monde puisse ne profiter : Clausewitz a-t-il voulu faire réellement un cours ? Et au-delà du chapitre 1, le reste est-il du même niveau ? Je sens qu'un certain J-Pierre va répondre.... Mais au moins, ça a l'avantage de démystifier Carl von C.

Clausewitz_fiction.jpg source

O. Kempf

PLL : Tout comme avec Clauswitz. "De la guerre" est une ébauche. Je commence à voir cela comme les prises de notes de quelqu'un qui se dit "là, y'a un truc". Mais il ne sait pas quoi exactement, donc il note. Mais il ne confronte pas ses idées puisqu'il est le premier, n'a pas la capacité de les mettre en pratique et en plus, il ne donne pas cours. Quand on donne cours, on est attentif aux réactions des élèves, aux questions. Je suis persuadé que le cours du Général Yakovleff a été modifié en fonction de remarques des élèves, en fonction de questions. Des sujets, qui paraissaient évidents, se sont sans doute avérés incompris et ont été remaniés.

Clausewitz n'a jamais pu faire ça, faute de temps. Et comme sa femme a juste édité le livre, nous avons donc une sorte de "version bêta".

Aujourd'hui, tout le monde a lu Clauswitz. Mais les interprétations sont diverses et me semblent venir du fait que le livre est incomplet.

égéa  : pas tout à fait d'accord avec vous : il y a une certaine cohérence, et en plus il a donné des cours. Enfin, le livre 1 est rédigé, lui.

PLL : Ce que je veux dire c'est plutôt que l'ouvrage dans son ensemble n'est pas hyper-précis. Le résultat c'est que tout le monde a lu, mais quand on discute un peu on constate que chacun à compris ce qu'il voulait bien comprendre... De là le doute sur la réelle compréhension.

En pédagogie, on se méfie de ça, et on commence toutes les séquences de cours par ce qu'on nomme "activité de découverte". Cela consiste à poser une question au groupe de stagiaires, afin que le groupe réponde et constate qu'il est composé d'individus qui croient savoir, mais qui, par leurs contradictions dans la réponse, vont comprendre qu'ils ne savent pas.

Si on demande "Savez-vous ce qu'est le hasard?" tout le monde va répondre oui. Mais si on demande "A votre avis, pour Clausewitz, le hasard et l'incertitude, est-ce pareil?" là, on va commencer à semer du doute. On va commencer à déceler certaines personnes qui vont dire "Oui, pour Clausewitz, c'est pareil" et d'autres, ayant lu le même livre, répondront "Ah non, c'est différent". Or, ce principe pédagogique date de 1944 avec le TWI. Il semble difficile d'en trouver des traces antérieures.

Si Clausewitz a "donné cours" c'est donc sans doute dans le sens ou on l'entendait à son époque. Il me semble assez difficile de croire que "De la Guerre" a été écrit par un pédagogue. "Tactique Théorique" a une structure de cours, mais cette structure n'apparait pas dans "De la Guerre". D'ailleurs, puisque Clausewitz a donné cours et semble même avoir dirigé l'école de guerre, on pourrait supposer que tous les généraux sous les ordres de Moltke avaient compris le principe. Mais le résultat avec Von Kluck en 1914 laisse planer le doute.

Le Général Desportes cite les cours de la Wermacht en 1938; peut-être la pensée Allemande s'est-elle affirmée à cette époque? Peut-être les Allemands ont-ils pris Clausewitz non pas comme une Bible à suivre à la lettre, mais justement comme un livre d'idées, qu'il faut prendre en compte et utiliser pour en sortir des données plus concrètes?

On peut aussi se demander si, dans cette "translation" de l'idée vers la concrétisation de celle-ci, les Allemands n'ont pas été aidés par le fait qu'ils ont pu utiliser des versions originales de l'ouvrage et pas des traductions, et aussi par le fait que le mode de pensée de Clausewitz est un mode de pensée Germanique, pas toujours facile à comprendre.

Il est vrai cependant que le sujet est particulièrement flou et que les multiples éléments semblent se mélanger, en permanence. Dans quel ordre mettre ça afin que ce soit compréhensible??? Peut être la réponse se trouve-t-elle dans "Principes fondamentaux de stratégie militaire" puisque c'est une tout petit ouvrage? (hop, je fonce le commander!)

Commentaires

1. Le mardi 27 décembre 2011, 19:00 par Midship

(je tique un peu sur "tout le monde lit Clausewitz". Disons que si le monde se résume aux candidats au concours d'entrée à l'école de guerre, alors ok.)

égéa : même parmi eux, rares sont ceux qui le lisent, en fait ...

2. Le mardi 27 décembre 2011, 19:00 par Jean-Pierre Gambotti

"De la guerre" n’est pas un ouvrage pédagogique, et alors ? Quiconque s’intéresse à Clausewitz connait les tribulations de l’ouvrage finalisé et publié par Marie von Brühl :"des propositions mises par écrit qui sont à mon avis l’essentiel de ce qu’on appelle la stratégie" écrit Clausewitz dans une note trouvée après sa mort, "je les considère comme des matériaux et j’étais presqu’arrivé au point de les fondre dans un ensemble." Et plus loin "ces matériaux ne sont pas rédigés selon un plan préétabli. Mon intention première était de noter en phrases brèves, précises et concentrées, sans souci de système et d’enchainement rigoureux, les idées essentielles que je m’étais formées sur les points importants de ce sujet (i.e. la guerre)". Pour quelle ambition? "Écrire un livre qu’on n’oublierait pas après deux ou trois ans, et que celui qui s’intéresse à la question pourrait prendre en mains à plus d’une reprise".

Le "petit volume in-octavo" que Clausewitz souhaitait proposer à la méditation des stratèges et apprentis-stratèges est finalement cette somme de plusieurs centaines de pages, qui vaut à Clausewitz, selon Pierre Naville dans son introduction de De la guerre (Les Editions de Minuit 1955), d’être "souvent cité, peu lu, compris moins encore".
Alors cette œuvre d’une vie n’est pas le document projeté, ce vade mecum de la stratégie que tout officier d’état-major consulte et intériorise. Pourtant j’invite tous ceux qui se collètent avec la stratégie d’avoir ce bouquin difficile dans son environnement immédiat, je n’ose pas dire sur sa table de chevet, et de collectionner les éditions, car les traductions tuent plus surement Clausewitz que les citations de son œuvre répétées ad nauseam. Mais je vais aussi jouer l’iconoclaste, lire et méditer Clausewitz, ne rend pas l’officier-opérations meilleur techno-tacticien, il suffit pour cela de lire la "Tactique générale" de Michel Yakovleff. Car nous ne sommes pas dans la même problématique, si le Yakovleff existe c’est parce Marie von Brühl a publié "De la guerre". La philosophie de l’art de la guerre des pays occidentaux de ces deux derniers siècles jusqu’à aujourd’hui est ontologiquement clausewitzienne. Qu’on lise la documentation opérationnelle américaine, mère de toute la documentation otanienne, pour s’en convaincre, ce diable de Clausewitz est dans tous les détails. Ainsi le Clausewitz de "De la guerre" ne rend-il pas l’officier d’état-major meilleur technicien, mais il le rendra meilleur stratège, car quand il faut concevoir la guerre, les schémas, les principes et l’appel à l’expérience ne suffisent plus, il faut aussi être en mesure d’appréhender la guerre comme phénomène pour pouvoir la penser. Et sans être un thuriféraire, ou un iconodule, pardon Olivier, Clausewitz reste la bonne idole !
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

égéa : une réponse de PLL à l'iconodule ? voire Benoit D ?

3. Le mardi 27 décembre 2011, 19:00 par

Bonjour,

La réponse de JP va, je pense, dans mon sens. Lorsqu'il écrit "lire et méditer Clausewitz, ne rend pas l’officier-opérations meilleur techno-tacticien, il suffit pour cela de lire la "Tactique générale" de Michel Yakovleff." nous sommes sur la même longueur d'onde. On va lire Clausewitz pour se dire "Houlalala, j'y avais pas pensé", mais on va ensuite s'attaquer au livre de Yakovleff pour aller un peu plus vers le concret.

Ce qui est troublant c'est que le "micro livre" de Clausewitz "Principe fondamentaux de stratégie militaire" est présenté (à tord ou à raison, je n'en sais rien) comme cette concrétisation. Il est écrit au début "Les principes fondamentaux de la conduite de la guerre pour servir de complément à mon cours auprès de Son Altesse Royale le Prince Héritier". Sauf que le contenu me semble montrer (j'ai pas encore fini de tout lire!) cette grande difficulté de passage de l'idée générale (vue mentale) à des données concrètes.
On y trouve ainsi des idées assez étonnantes telles que celle prétendant qu'il faut "se préoccuper peu ou pas du tout de la longueur du front"... J'ai la vague impression que si on faisait lire ce petit livre à des lecteurs de "De la guerre", sans leur dire que l'auteur est le même, il leur serait difficile de déterminer la similitude.

En revanche, "Précis de l'Art de la Guerre" de Jomini, me semble prendre le problème à bras le corps. Il définie la stratégie, la tactique, la logistique d'une façon très en phase avec la réalité. A mon sens, Yakovleff rejoint beaucoup plus Jomini que Clausewiz dans son approche "terrain".

Concernant "De la guerre" quand je dis que tout le monde l'a lu, il aurait fallut écrire "tout le monde y fait référence", mais chacun y prend ce qu'il y comprend. Avec Yakovleff, Jomini etc... on est d'accord ou pas d'accord, mais l'interprétation personnelle est limitée.

Cela me rappel un peu la fiche de lecture d'Achtung Panzer, sur un site militaire Français, indiquant "Souvent cité, rarement lu". On pourrait peut être dire de "De la guerre", "Rarement lu, souvent cité toujours interprété".

Amitiés
Pierre-Louis

4. Le mardi 27 décembre 2011, 19:00 par Jean-Pierre Gambotti

En lisant le commentaire de Pierre-Louis Lamballais je m’aperçois que j’ai buggé sur la somme de Michel Yakovleff, il s’agit bien sûr de "Tactique théorique" préfacée par le général Garrigou- Grandchamp, et non pas de "Tactique générale", production plus officielle ! Que le général Yakovleff veuille bien m’excuser.
Pour revenir à Clausewitz et Jomini, je suggérerais à PLL de lire les remarquables publications de Bruno Colson sur le site ISC-CFHM-IHCC . http://www.stratisc.org/
Pour ma part, comme beaucoup de néophytes, c’est par Bruno Colson que j’ai pris conscience de l’influence de Clausewitz et de Jomini sur la stratégie américaine et ce faisant, sur la stratégie otanienne, donc européenne et in fine… française. Curieuses et étonnantes pérégrinations pour le génie français qui a ainsi traversé l’Atlantique dans les deux sens, géant sur des épaules de géants, car chacun sait que derrière Clausewitz et Jomini, il y a Bonaparte.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

5. Le mardi 27 décembre 2011, 19:00 par oodbae

Bonjour,

Je suis en train de lire "De la Guerre", et malgré mon modeste bagage littéraro-militaire, je souhaiterai présenter les remarques suivantes.

1) je suis d'accord avec le commentaire de M. Gambotti. Cet ouvrage est une source de méditation.
2) A propos du caractère pédagogique, excusez mon caractère taquin mais il me paraît difficile pour carl von Clausewitz de proposer aux lecteurs d'aujourd'hui des activités de découverte en groupe malgré le souhait qu'en formule M Lamballais, d'une part parce qu'il n'accorde plus la moindre attention aux mortels, et d'autre part parce qu'à son époque les applications pour ordinateur à vocation pédagogique pouvant interpréter les réactions humaines n'existaient pas et n'ont donc pas pu former l'un des éléments de son oeuvre telle qu'elle se concrétiserait aujourd'hui, soutenue par un site Internet accessible pour les acheteurs du livre.
3) Et pourtant, et pourtant... Prenant le chapître 23 (la clé du pays) du livre 6 (la défense), après quelques phrases d'introduction, CvC écrit: "S'il existe une contrée sans la possession de laquelle on ne commettra jamais l'imprudence de pénétrer dans le pays, c'est elle que l'on pourra désigner à juste titre comme la clé du pays. Pourtant , les théoriciens ont estimé que cette notion simple, mais peu fructueuse, était insuffisante. Ils l'ont donc élargie en y introduisant l'idée de points qui décident de la possession de l'ensemble". Il enchaîne avec un exemple historique. Ensuite, il présente différentes conceptions relatives à ce concept et les invalide par l'argumentation, ou les confirme, et ainsi de suite, jusqu'à sa conclusion. " Si l'expression position-clé correspond à une conception spécifique en matière stratégique, ce ne peut être qu'à celle d'un secteur sans la possession duquel il serait imprudent de pénétrer dans un pays. Mais s'il s'agit de désigner par là tout accès facile d'un pays, ou tout point central nécessaire à nos opérations, ales cette appellation perd toute signification, donc toute valeur, et désigne quelque chose qui se trouve plus ou moins partout; elle n'Est plus qu'une figure rhétorique complaisante".
Il y a là plusieurs éléments qui relèvent d'un souci pédagogique:

  • - l'argumentation, la démonstration au soutien de ses propos, qui permettent à tout lecteur attentif de mettre en question les conclusions du maître, de se les justifier, de les compléter et peut-être même de les réfuter à l'appui de ses propres arguments.
  • - le souci de présenter différents points de vue, dont ceux que l'auteur ne partage à l'évidence pas, ce qui constitue une alternative aux "activités de découverte" proposées par M. Lamballais, dans la mesure où il n'y a pas une infinité de points de vue et même, moins les lecteurs/élèves sont connaisseurs, plus restreints sont encore ces points de vue, tant en terme de diversité que de profondeur, ce qui constitue une évidence même si elle n'est pas flatteuse pour les élèves, donc dévie légèrement des théories pédagogistes actuelles où l'élève ne doit surtout jamais être blessé dans son orgueil.

De manière générale, je remarque

  • - la qualité de l'écriture, ce qui participe à un souce de pédagogie à mon sens. certes, l'ensemble est un peu décousu et ressemble parfois à un amoncellement de chapîtres, mais les chapîtres se lisent avec autant de plaisir que des nouvelles. En comparaison de "la guerre" de Sun-Tzu, qui ressemble à un succédanné de théorèmes et de principes dogmatiques, "de la Guerre" de CvC est une(ou un?) sinécure, même si le volume constitue une difficulté, je le reconnais.
  • - L'utilisation régulière de références historiques qui constituent la seule alternative pour un livre à des exercices d'application.

Donc je trouve l'ouvrage remarquablement pédagogique, dans la même lignée que les grandes oeuvres de ces siècles passés, tels les ouvrages de mathématiques où de grands esprits comme D'Alembert parvenaient à présenter des démonstrations de mathématiques dans un francais académique sans le moindre sigle (abstrait) qui effraie nombre d'écoliers de nos jours.

Enfin, CvC se réfère souvent à Bonaparte, mais souvent aussi à Frédéric 1er et à d'autres. S'il a été marqué par Bonaparte, et pour cause, je trouve exagéré d'affirmer que "derrière CvC, il y a Bonaparte".

Cordialement,

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