Du renseignement, par R Pietrini

Voici un texte sur le renseignement proposé par Roland Pietrini : c'est à la fois un compte-rendu de colloque et une réflexion personnelle. Sur la forme, cela nous rappelle qu'assister à un colloque n'est en soi pas très utile : il faut en effet percoler ce qu'on entend. Rien de mieux qu'un stylo pour cela. Rédiger permet non seulement de prendre des notes, mais aussi de proposer des synthèses, des raccourcis, une valeur ajoutée.... En fait, un travail d'analyse qui permet aux spécialistes, à partir de données brutes (ici, les interventions du colloque) de les transformer en "renseignements" élaborés et construits. En cela, ce texte est doublement significatif de la question du renseignement. Merci à lui.

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O. Kempf

Le 12 janvier 2012, invité par le CF2R, j’ai suivi avec intérêt le colloque « Analyse et perspectives d’une école française du renseignement » organisé conjointement par le Groupe de recherche sécurité et gouvernance de l’université Toulouse 1 capitole et le CF2R. A cette occasion, j’ai pris quelques notes sur les échanges et les observations très riches, qui ont eu lieu, que j’ai complété par quelques-unes de mes réflexions. Ces réflexions me sont bien évidemment inspirées par les professeurs d’université et directeurs de recherche (1) et les intervenants (2) ayant tous eu des responsabilités de direction au sein de la DGSE, de la DST de la DRM et permettront, je l’espère, d’ouvrir à la réflexion et au débat.

Bien évidemment et volontairement, je ne prendrais pas position sur l’opportunité ou non d’un tel enseignement à ce niveau universitaire. Cet enseignement de type Intelligence studies qui fait du renseignement un objet d’étude en tant que tel, a-t-il ou n’a-t-il pas sa place dans une université qui reste jalouse des ses prérogatives mais qui s’ouvre de plus en plus au monde extérieur, par nécessité évidente ? Je ne peux y répondre. Cet enseignement qui est par ailleurs dispensé aux États-Unis et en Grande-Bretagne et en d’autre pays, ferait-il avancer l’acculturation à la nécessité du renseignement ? Personnellement, je le crois. Cette « éducation » devrait avoir « pour ambition de s’affirmer dans la communauté scientifique internationale et de proposer une analyse à la fois alternative et complémentaire de la vision anglo-américaine ».

Le renseignement en tant qu’objet d’étude dans les champs de recherche universitaire français, dans les domaines aussi divers que l’histoire, les sciences politique, les relations internationales, les sciences de l’information et de la communication, les sciences de gestion, la sociologie, la géopolitique... serait-il utopique ? Cet enseignement est d’autant plus difficile à mettre en place que notre culture se heurte à des mentalités plutôt conventionnelles, un culte du secret, une culture du renseignement négligé autant dans le monde militaire que dans le monde civil, à tel point qu’il a fallu attendre le dernier Livre blanc pour voir apparaître la nécessité d’une « intelligence économique » rendue d’autant plus nécessaire que la survie d’un pays se mesure à sa capacité à comprendre, réagir, s’adapter au monde moderne, sans lequel il n’y a pas de survie possible. Combien de marchés perdus par manque d’information et de réactivité face à un besoin mal évalué ou à une concurrence mal comprise ? Si nos grandes entreprises sont relativement bien armées en la matière (mais les budgets « Intelligence » sont encore une variable d’ajustement), nos PME sont et restent parfaitement démunies. Nous avons en cette matière, un déficit culturel évident.

Les armées ont encore en ce domaine de réelles lacunes. Quelle place donne-t-on, à l’enseignement du renseignement à Saint-Cyr ? Cela est un peu moins vrai dans la Marine et l’Armée de l’air ; et les blocages à la française font que l’on regarde souvent ailleurs, alors qu’il suffirait d’utiliser les compétences de ceux qui savent... L’enseignement de l’histoire du renseignement ( mais celle-ci est à écrire) pourrait formater nos futurs cadres à penser intelligence avant de penser action. Comment comprendre l’autre ? Comment savoir l’autre ? Si le renseignement participe à la recherche et au développement dans le domaine de l’entreprise, dans le domaine militaire, cela est une évidence et permettrait d’éviter de posséder les outils et les organisations du passé pour faire les guerres du futur sans être certain d’être adapté aux guerres du moment.

Si l’océan est l’avenir du monde, sommes-nous suffisamment préparé à notre devenir, comment nous préparons-nous ? alors que nous sommes l’un des États possédant le plus d’intérêt maritime au monde et que nous sommes ouverts par notre positionnement géographique à tous les océans.

L’objet problématique du renseignement est le risque. L’étude du renseignement est justement celui de comprendre le risque et de le diminuer afin de mieux le cerner.

Le renseignement touche aussi le domaine du droit, il existe une juridique du renseignement et la judiciarisation du renseignement impose d’en étudier les nécessités et les limites. Est-il besoin d’une éthique ou d’une déontologie ? Quel part doit-on affecter entre l’éthique, la déontologie et le droit. Si on accepte mal qu’on nous fasse la morale, on comprend mieux que l’on nous rappelle les exigences éthiques. Mais pour avoir été un praticien du renseignement, je comprends que cette réflexion puisse être utile. Et d’ailleurs il y a souvent confusion entre le renseignement en milieu ouvert et le renseignement clandestin : Où se situe la frontière ? Jusqu’où peut-on aller ? Comment s’accommode-t-on de droits étrangers a notre propre droit et à notre culture ? Il y a plusieurs monde du renseignement.

Le monde militaire a d’ailleurs beaucoup à apprendre de l’appréhension du renseignement économique dont les pionniers en France sont issus aussi parfois du monde militaire. La collecte, l’analyse, la mise en forme et la diffusion ne sont pas des termes qui devraient effrayer nos États-majors. Il devrait y avoir un management de la connaissance. Il me paraît nécessaire de réfléchir à notre conception synthétique à la française qui est en fait, incroyablement cloisonné, ce qui est un de notre paradoxe face au pragmatisme offensif US. Et pourtant, avec l’arrivée du président Bill Clinton à la Maison Blanche, il y a eu « une montée en puissance du courant national libéral dans l’administration ». Ce qui s’est traduit par un décloisonnement des ressources d’information pour servir de base de compétitivité nationale. Une des meilleures sources d’information pour les entreprises est le Département américain chargé du Commerce. Pouvons-nous en dire autant ? Le renseignement et l’intelligence sont un apport de puissance, nous ne l’avons pas encore totalement compris. Les pertes de contrat de Dassault, d’Areva, d’Alsthom devraient nous servir de leçon…

On met trop souvent l’accent sur la manœuvre au détriment du renseignement préalable, comme si l’action était une fin en soi et obnubilait la nécessaire connaissance de l’autre. D’ailleurs le grand Karl Clausewitz parle très peu du renseignement sinon pour dire qu’il est faux. Nous manquons de culture renseignement et si l’université est un vivier d’expert alors l’apport de l’université pourrait être utile en apportant par ricochet plus de présence « renseignement » dans l’enseignement militaire. Je pense ne pas déformer le propos du général Masson. Quant au préfet Yves Bonnet, il rappelait à juste titre qu’alors que si les espions sont ennoblis par la reine, Napoléon dit à Schulmeister, l'espion de l'empereur : « on n’ennoblit pas les espions ». Et évoque à juste titre, que le renseignement de sécurité ( DST, Police judiciaire..) est un renseignement opérationnel, et que dans le renseignement il faut connaître l’amont avant de connaître l’aval.

Le renseignement mériterait un énorme chantier de réflexion, travaux de prospective, de recherche, d’organisation, sujet passionnant tant il est vaste et recoupe de nombreuses disciplines et laisse la place autant aux chercheurs qu’aux « pratiquants ». J’espère que nous ferons un point du mûrissement des réflexions en cours d’année.

Roland PIETRINI

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