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Qatar : une surdimension (2/2)

Non, je n'ai pas oublié, mais il y avait deux trois choses à faire entre temps. Suite doncde ce billet sur le Qatar, au tournant de 2012.

Carte_Qatar.jpg

6/ Toutefois, c'est au cours des récentes évolutions arabes qu'on a observé le rôle de l'émirat. En fait, le Qatar apparaît comme le porte-voix et le poisson pilote de l'Arabie Saoudite. Celle-ci pèse et influence, utilisant notamment le conseil de coopération du golfe (CCG). Cependant, l'Arabie est intervenue directement dans deux cas :

  • au Bahreïn, pour soutenir la famille régnante contestée dans la rue (à coup d'une intervention "ferme" mais finalement assez facile dans le tout petit émirat, où l'opposition n'avait aucune profondeur territoriale, à la différence de ce qui s'est pssé en Libye ou de ce qui se passe en Syrie). "Stabilisation" réussie.
  • au Yémen, pour gérer la transition du président Ali Abdallah Saleh : cela s'est fait difficilement, Saleh manquant de mourir à la suite d'une blessure (éclat de mortier) et ayant été soigné en Arabie : on l'a fait revenir pour "sauver la face" et permettre au vice président, Abd-Rabbou Mansour Hadi, de lui succéder à la suite de la prochaine élection présidentielle où il sera le seul candidat. "Transition" réussie.

7/ Autrement dit : l'Arabie s'occupe directement de "l'étranger proche" (comprendre : la péninsule arabique). Et elle laisse agir le Qatar pour l'étranger un peu plus éloigné. C'est-à-dire le Proche et le Moyen-Orient. Le cas de l’Égypte est ambigu : le pays est trop important pour être laissé au seul Qatar, surtout que l'actif le plus important demeure l’université Al Azhar, la plus influente de l'islam. Aussi s'est-on arrangé pour "jouer" la révolution : on a laissé tomber Moubarak, mais en maintenant l'armée aux commandes et en permettant le succès des frères musulmans aux élections. Du lampedusisme pur jus, où tout a changé pour que rien ne change, afin de laisser la cogestion Armée-FM se perpétuer.

8/ C'est un peu le même scénario qui s'est joué en Tunisie, même si la chose fut plus impromptue, et soudaine. Il reste que la famille Ben Ali s'est réfugiée en Arabie. Au fond, le Qatar a vogué sur la vague. En finançant (probablement) le parti Enahda. En accueillant le leader du parti islamiste, Rached Ghannouchi, au lendemain des élections. Et aux festivités du 14 janvier (anniversaire de la révolution), l'émir du Qatar est venu avec énormément de promesses d'investissement (voir ici).

9/ Mais c'est en Libye que le Qatar a été le plus offensif, dans tous les sens du terme : tout d'abord en soutenant diplomatiquement la coalition occidentale, et donc en légitimant auprès de la population arabe l'opération de l'OTAN : Al Jazeera fut ici une aide précieuse à la ligne d'opération "info ops" d'OUP...! Mais l'offensive fut directe, car outre les avions qatariens volant pour faire respecter la no-fly-zone, l'émirat a livré des tonnes de munitions et même envoyé tellement de forces spéciales que leur nombre, si on en croit certains compte-rendus de journalistes n'ayant aucune idée de la chose militaire, dépassait quasiment le volume total des forces armées qataries (5000 FS sur une AT de 8700 hommes : voir ici). Et après le départ de l'Otan, le Qatar aurait repris les affaires en main, au point d'importuner les Français et les Libyens (voir ici).

10/ 2012 voit toutefois un changement d'orientation : le Qatar délaisse le Maghreb pour se tourner vers la Syrie. Une Syrie alliée de l'Iran, et accessoirement dirigée par le dernier régime Baas et donc laïque de la région. Là encore le Qatar est aux avant-postes de la Ligue Arabe.

11/ Il reste alors à s'interroger sur les motifs de cet activisme. J'en vois plusieurs possibles, et peut-être pas si concurrentes ou contradictoires que ça.

  • tout d'abord, la volonté de soutenir un islam politique qui serait sinon dur ou radical, du moins très affirmé. De ce point de vue, il y aurait un rassemblement des sunnites autour du cœur arabique de la religion. Et cela expliquerait un certain acharnement envers les régimes "laïcs" (Libye, Tunisie, Syrie). Destiné à contrer aussi bien le chiisme iranien que le néo-ottomanisme de l'AKP : car il y a concurrence des islams politiques, ce qu'on oublie trop souvent en France.
  • Mais la promotion de l’islam peut aller de pair avec un accord avec un certain consumérisme : en clair, proposer un alternative au manichéisme Occident/djihad. Comme le dit Thierry Brésillon, le choix du football (coupe du Monde de foot, PSG) ferait partie de cette stratégie conciliante. Une voie moyenne entre Al Qaida et la "dépravation" de l'Occident.
  • il peut y avoir l'ivresse de celui à qui tout "réussit", et qui se prend d’orgueil, d'hubris, et ne sait pas s’arrêter, faisant trop de choses. Trop d'argent, trop d'influence, trop d'Al Jazeera...
  • Il peut y avoir l'utilisation de la période de transition en Arabie, où la transmission dynastique compliquée et vieillie ralentit les choses, permettant des marges d'action qu'un pouvoir plus présent ne tolérerait pas.
  • Y a-t-il d'autres ambitions, plus cachées ? pour l'instant, rien ne les laisse vraiment voir. Seul le temps les dévoilera.

Une chose est sûre : le Qatar est bien surdimensionné !

Peut-être, si j'ai le temps, ferai-je un jour un billet sur le Qatar et la France, et la France et le Qatar...

Références :

  • Présentation du Qatar par le MAE : ici
  • Billet Qatar sur Wikipedia.
  • Billet Qatar par l’université de Laval (Québec)
  • Billet de Jacques Charmelot sur le Golfe, § 9 sur le Qatar
  • sur les relations Tunisie-Qatar : ici et ici.
  • Qatar après la Libye : ici.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 6 février 2012, 22:33 par arnaud

Juste pour signaler une petite coquille, vous avez écrit "Oman" au lieu de "Yémen" :)

égéa : je change : il était tard, hier soir....

2. Le lundi 6 février 2012, 22:33 par republicain

Monsieur Kempf vous avez fait une erreur en parlant du soutien de l'arabie saoudite au président Saleh il s'agit du Yémen et non pas d Oman comme vous l'avez écrit

3. Le lundi 6 février 2012, 22:33 par AGERON Pierre

Ai entendu ce matin le rôle d'arbitre et d’hôte pour le Qatar ds la réconciliation Hamas/OLP avec la signature d'une coalition (possible) dans les territoires palestiniens. Israel aurait-elle donc perdue ds la stratégie "diviser pour contrôler"? (ceci est une question ouverte non rhétorique).

égéa : oui, j'avais oublié de mentionner cet aspect. Mais cela ne me semble pas un axe majeur de la politique qatarie.

4. Le lundi 6 février 2012, 22:33 par JR

il est peut-être un peu rapide de voir une articulation Qatar/ArS. Les deux régimes ne s'aiment guère, car les Saoudiens considèrent, en gros, que le Qatar devrait leur appartenir tandis que les Qataris estiment que les Saoudiens ne sont que des péquenauds bien trop riches (un sentiment largement répandu dans le monde arabe). De plus, si on prend le cas de la révolution égyptienne, les Saoudiens et les Qataris soutiennent et financent des islamistes rivaux et ne se font pas de cadeaux.

Vu d'ici, le Qatar et l'ArS sont bien plus rivaux que complémentaires, même si, naturellement, ils se retrouvent autour de la défense d'un islam politique très dur, (comme vous le notez très justement dans le point 11), de la lutte contre l'Iran et contre les régimes arabes laïcs. On pourrait aussi évoquer la concurrence entre les deux devant les Etats-Unis (qui ont évacué leurs troupes d'ArS en 2003 et ont relogé tout ce petit monde au Qatar) et la différence d'approche. Le Qatar est bien plus subtil que son grand voisin.

5. Le lundi 6 février 2012, 22:33 par panou

On peut imaginer que le Qatar n'est que l'éclaireur dans tous les sens du terme de l'ensemble des monarchies arabes qui face aux désordres et aux incertitudes nés des printemps arabes renforcent leur solidarité notamment au sein du Conseil de Coopération du Golfe qui réunissant au départ tous les rois,émirs, princes,sultans de la péninsule arabique s'ouvre actuellement aux royaumes de Jordanie et du Maroc pourtant plus proche des Golfes de Gênes et de Gascogne que du détroit d'Ormuz.
Cette stratégie s'opére avec la bénédiction des partenaires occidentaux et sans l'hostilité de Pékin et Moscou.
Les républiques arabes dont l'avenir paraissait radieux du temps de la guerre froide sont en train de perdre totalement leur messianisme. Elles ont raté la transmission héréditaire du pouvoir(fils Khadafi et Moubarak) soit celle ci n'est pas garante de stabilité("dynastie Assad").Dans des états sunnites où aucune hiérarchie religieuse n'existe( à la différence des pays chiites ) une monarchie offre l'édredon indispensable pour amoindrir les insatisfactions populaires quitte à consentir à de douces évolutions au prix parfois de révolutions circonscrites aux palais.La rente pétroliére permet en plus de distribuer au bon moment la brioche chére à Marie-Antoinette et au panem amélioré on ajoute les circenses du football et des télé novelas.Ajoutons-y les billets gratuits pour le hadj à La Mecque bien plus important et qu'un pélerinage à Lourdes ou à Fatima.Civilisations différentes pour l'instant qu'on le veuille ou non.
Ben Laden n'avait qu'un but:renverser ces monarchies qui du coup sont peut-être le meilleur rempart contre ses disciples.
Le pragmatisme aurait voulu que le retour d'un roi en Afghanistan et en Libye permette beaucoup plus un arbitrage tribal que les chouras des capitaines de l'OTAN.Alors bien sûr ce raisonnement ne peut qu'hérisser les aristocrates germano pratins mais c'est oublier que nos philosophes des lumiéres ne sont pas allés "évangéliser" les serfs prussiens et les moujiks mais plutôt les cours de Berlin,Vienne et Moscou.Là était la vraie ingérence celle qui repose sur la raison plutôt que sur l'émotion.
Alors que l'émir du Qatar s'éclate au parc des Princes ou au CIO est culturellement bon signe quitte à faire qqes concessions du style paris PMU sur les courses de chameaux.Un retour politique sur investissement est plus probable de sa part notamment si on se remémore le retour que nous a valu un exilé à Neauphle le Château.
En conclusion:s'ils le veulent et si on leur fait partager habilement nos préoccupations(nos intêrets étant souvent communs) les monarchies arabes avec Qatar en grenadier-voltigeur devraient savoir calmer les outrances islamistes qui agitent la plébe.Ghanoucchi vient de déclarer à Tunis que 2012 verrait les manifestations populaires créer un printemps arabe dans les états monarchiques.Il joue là un jeu dangereux....pour lui

6. Le lundi 6 février 2012, 22:33 par AGERON Pierre

Pour une analyse multifactorielle récente, cf. Confluences Méditerranée "Qatar : jusqu'où ? N° 84, 2013/1 194 pages avec des thématiques telles que l'inévitable mondialisation et événements sportifs mais aussi, qatar, puissance agricole...

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