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La dame de fer

Je suis entré dans la salle de cinéma avec du scepticisme, et en suis ressorti convaincu. Voici donc un film, La dame de fer, qui peut être propice à la réflexion, malgré ses apparences. Bon, d'accord, c'est un peu soap, mais pas seulement.

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1/ Ce film aurait pu être plus directement "politique" : aussi bien sur la scène intérieure (la révolution néo-libérale, la grève des mineurs, la gestion de l'IRA) que sur la scène extérieure (pour la période, la discussion avec l'Europe, la Perestroïka, la guerre des Malouines). Or, délibérément, le film ne raconte pas cette histoire là : en ce sens, il ne s'agit pas d'un documentaire. Ce qui ne signifie pas que ces événements sont absents : juste qu'ils sont en arrière-plan, et qu'ils ne sont pas le "sujet". Le sujet, c'est Margaret Thatcher.

2/ Bien sûr, on a là un biopic avec ce qu'il faut d'émotion pour faire pleurer Simone. Grâce à un double ressort : le deuil du mari qui a été négligé (sur le thème "la femme et son couple un peu cabossé"), mais aussi les troubles de la mémoire (sur le thème : "ouh! la! la! le vieillissement nous touche tous, même les plus grands, nous sommes bien peu de choses ma pauvre dame"). Si on en reste là, c'est de la bonne machine, efficace et émouvante : cinématographique. Avec une Meryl Streep étonnante, adoptant un phrasé anglais superbe, et confirmant qu'elle est une très grande actrice.

3/ Alors ? alors, pourquoi en faire un billet sur un blog de géopolitique ? Parce que la géopolitique admet l'influence du facteur humain. Bien sûr, il s'agit des populations, et aussi de leur représentations. Mais il ne faut pas oublier un facteur particulier, celui de l'homme d’État. Trop souvent oublié comme sujet d'étude, alors pourtant qu'il est essentiel dans notre compréhension des rapports de forces et des intentions des puissances.

4/ Ce fut la réflexion que je me faisais, au long du film : un homme d’État n'est pas qu'une résultante d'intérêt, c'est d'abord un homme (bon, ici, une femme, mais vous m'avez compris). Et le fait qu'il ait marqué l'histoire, et qu'il soit devenu un grand homme d’État, force justement à se poser la question de sa personnalité, de son rôle en tant qu'être humain.

5/ On se reportera ici à deux livres qu'il faut lire, car ils illustrent, différemment mais avec la même interrogation, cet état de l'homme d’État.

  • tout d'abord, la deuxième partie de "Introduction à l'histoire des relations internationales" (Pocket, Agora, 1991), par P. Renouvin et JB Duroselle. Le deuxième partie, écrite par Duroselle, s'intéresse justement à l'homme d'Etat : un livre écrit en 1964 et qui reste d'actualité.
  • ensuite, le livre de Jean-Yves Haine, "les États-Unis ont-ils besoin d'alliés?" (2003, Payot) qui lui aussi, dans des circonstances plus contemporaines, montre l’importance de la psychologie de l'homme d’État dans la prise de décisions d'importance.

6/ Un homme d’État est d'abord un homme politique, qui passe ses journées à mener une vie idiote, à assister à des réunions les plus emm... tes les unes que les autres, à passer ses week-end à aller dans les maisons de retraite, sur les marchés ou dans les assemblées générales d'associations les plus diverses, à subir des calculs politiques outs plus trash les uns que les autres, car la politique est d'abord un combat (aucun néo-schmittisme là-dedans : juste l'observation que la lutte électorale est une lutte où il faut beaucoup de caractère). Un métier ingrat, très mal vu, avec peu de récompenses, quoiqu'on en dise. Et je suis sincèrement admiratif de ceux qui s'y consacrent, car je crois qu'ils ne font pas ça pour l'argent ou les honneurs ou les passe-droits. La dernière fois que j'ai dit ça, on m'a pris pour un fou, on a cru que j'avais moi-même des calculs politiques, on a interprété. Or, il n'y a pas à interpréter : ce métier ne vaut pas le coup. Car justement, on abandonne sa personne. Sa vie privée.

7/ Un homme d’État, par construction, est un homme "public". A peu près aussi mal vu que les femmes publiques. Cette publicité de l'homme politique qui déconstruit sa personnalité, on en avait déjà eu un aperçu dans l'excellent film "l'exercice de l’État", dont je vous avais déjà parlé, et qui racontait justement cette histoire. Ici, dans la dame de fer, on est dans la situation après l'exercice de l’État : quand l’homme se retrouve seul et doit se reconstruire, si c'est possible.

8/ Du coup, et c'est le deuxième enseignement de ce film, on pose la question de la continuité : de ce qui existait avant, pendant et après l'action. Qu'est-ce qui a fait que cet homme (cette femme) a eu cette influence dans ces conditions ? On le voit, et le film le montre habilement en mélangeant les flash-back (ah ! l'interrogation permanente de la mémoire, si bien vue quand Maggie signe ses Mémoires -ses Mémoires!- et se trompe de signature, inscrivant son nom de jeune fille), et en remontant aussi bien à la Margaret Thatcher premier ministre qu'à la jeune fille si fortement influencée par son père, et assumant sa faiblesse initiale (femme et fille d'épicier, rendez vous compte) pour la transformer en atout de son intégrité.

9/ Ce qui surprend, c'est la détermination. L'absolue détermination, et la conviction que les idées, simples peut-être, mais enracinées, peuvent changer le monde. Là réside peut-être la différence entre Maggie et ses concurrents : elle y croit. Le triomphe de la volonté, on l'observe. Jusque dans ses maladresses, comme cette scène pénible où elle gourmande et corrige le numéro 2 du gouvernement. La volonté, quasi churchilienne, qui la fait entrer dans l'histoire. Moment remarquable de décision au moment des Malouines : l'envoi de l'armada, mais aussi la décision de couler le bateau. Et immédiatement, la lettre manuscrite écrite à chacune des 300 familles de militaires tués. La volonté n'est rien sans l'authenticité. L'homme d’État, celui qui rentre dans l'histoire, est d'abord lui-même. C'est d'abord un homme, ou une femme, qui réussit à dominer les institutions et les circonstances pour changer le cours de l'histoire. A ses risques et périls. Au point de perdre le fil de sa vie. La différence entre un homme d’État et un homme politique de circonstance, changeant au gré de la brise, incapable de tenir face à la bourrasque de l'histoire. L'un est cohérent, l'autre incohérent.

10/ Film émouvant, et qui rend sympathique Margaret Thatcher. Si vous arrivez avec des préjugés, notamment idéologiques, vous serez déçus. Mais si vous vous posez la question de l'humain, alors, ce film est nécessaire.

Enfin, cette belle citation, reprise dans le film : "Watch your thoughts for they become words. Watch your words for they become actions. Watch your actions for they become...habits. Watch your habits, for they become your character. And watch your character, for it becomes your destiny! What we think we become. My father always said that... and I think I am fine." Splendide !

What we think we become ! Et donc, la conclusion : just think ! Beau programme pour égéa.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 20 février 2012, 19:21 par emke

Le paragraphe 6 retient mon attention , comment peut-on d'un côté affirmer que :
" Un homme d’État est d'abord un homme politique, qui passe ses journées à mener une vie idiote, à assister à des réunions les plus emm..."
puis assurer que :
"Et je suis sincèrement admiratif de ceux qui s'y consacrent, car je crois qu'ils ne font pas ça pour l'argent ou les honneurs ou les passe-droits."
Admiratif ?
Si vous trouvez que c'est une vie idiote' , vous seriez plutôt : que sais-je : stupéfait, interloqué, dubitatif.
Je ne vous comprends pas !

Quand à nous écrire que les hommes politiques ne font pas cela pour l'argent et les honneurs, je vous trouve, mon cher, un peu rêveur ... ou simplement jésuite ?
Enfin, "abandonne sa personne", non mais sa personnalité parfois ... communication oblige !
J'aimerai revenir sur ces mots :
"un homme d’État n'est pas qu'une résultante d'intérêt, c'est d'abord un homme (bon, ici, une femme, mais vous m'avez compris) et aussi à ceux-ci :
" jeune fille si fortement influencée par son père, et assumant sa faiblesse initiale (femme et fille d'épicier, rendez vous compte) pour la transformer en atout de son intégrité."
Oui, le rôle ou plutôt le statut du père, peu reluisant ( c'est ce que le film laisse transparaître)est un facteur déclencheur de sa formidable volonté d'agir, de prendre sa revanche...
Mais je voudrai parler de l'intelligence, elle n'a pas de sexe et conviendrai avec vous de son rôle éminent dans la construction de toute action, notamment politique.
Cependant, à l'heure où la parité est toujours en question, il semblerai opportun de souligner la féminité de madame Thatcher et d'envisager que sa formidable volonté, sa dureté, son exigence tiennent non seulement à ses origines mais aussi à son entité de femme.Je conçoit que vous vouliez niveler les différences, fort d'une tendance à l'égalitarisme, mais je crois vraiment que les femmes peuvent, en raison des obstacles qui furent et sont encore les leurs, donner à leur action un aspect parfois plus mordant que les hommes.
En tant que femme, ce film a évidemment flatté mon "féminisme" et renforcé mon désir de voir les femmes continuer à progresser dans tous les domaines.
D"ailleurs, la reine Elisabeth en a fait une baronne...
Je vous arrête : ce ne sont pas là des relents de jeune-fille rêvant des couronnes mais bien la reconnaissance par une souveraine sans pouvoir d'une femme souveraine ...
l'Histoire s'en souviendra ...
What we think we become !

égéa : eh voilà ! je suis devenu un immonde macho : ça devait bien venir un jour ! Plus sérieusement : j'ai justement voulu éviter de mentionner cet aspect des choses, car il était tellement attendu.  Soit qu'on insiste sur la compensation, comme vous le suggérez, soit qu'on s'attarde sur la seule virile parmi les lavettes, ce qu'on entend parfois également. Pas intéressant. En fait, pour moi, l'homme politique est de genre neutre.

Admiration : les Anglais pratiquent parfois de l'understatement. Et parfois, voulant signifier la même ironie, de l'overstatement. Mais seuls les Anglais y parviennent. Visiblement.

2. Le lundi 20 février 2012, 19:21 par St Taillat

Excellent! Merci Olivier, tu me donnes envie d'aller voir ce film.. Très belle analyse aussi du "facteur humain".

3. Le lundi 20 février 2012, 19:21 par emke

Il est fort aisé de faire ce genre de pirouette ...
Quant à l'understatement, il se pratique davantage à l'oral ...
Quel dommage donc que vous ne donniez pas juste un peu d'éclat à la face Nord des glaciers ...
Bien à vous,

égéa : j'en reste sans voie. Pardon, sans voix.

4. Le lundi 20 février 2012, 19:21 par emke

En montagne, on dit " couloir" ...
Avec "écho" ...

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