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Saint-Denis

Samedi de printemps : pourquoi ne pas sortir de sa casemate et aller faire un peu de tourisme culturel, histoire d'emmener le "p'tit dernier" en dehors de son environnement virtuel ? Oui, bon, d'accord, le papa (c'est moi) il faut aussi le sortir de ses bécanes, je le confesse. Or donc, nous voilà à visiter la basilique, la-haut, au nord de Paris. Et je me suis fait la réflexion que la géographie sacrée était l'ancêtre de la géopolitique.

source

1/ La géographie sacrée n'est pas simplement une discipline ésotérique où elle est trop souvent cantonnée. On se référera ici aux écrits de Jean Richer (Géographie sacrée du monde grec, Géographie sacrée du monde romain). Il s'agit bien d'un monde "religieux", celui d'avant le désenchantement du monde décrit par Marcel Gauchet. Alors, la religion oriente la vie publique. Le roi n'est pas qu'un homme d’État (a-t-on assez remarqué à quel point l’apocryphe "L’État c'est moi", prêté à Louis XIV, signifiait une laïcisation de la vie publique ?).

2/ C'est tout l'enjeu de la Renaissance, qui dans l'ordre politique se conclut pas les traités de Westphalie : sortir justement de ce monde religieux, où le sacré oriente la vie quotidienne. Mais auparavant ? La géopolitique n'était-elle que "rivalité de puissances sur des territoires" ? alors qu'on avait des luttes de princes et des systèmes féodaux compliqués ? Notre approche contemporaine pouvait-elle suffire ?

3/ Au fond, les rois étaient non seulement des "hommes d’État", c'étaient aussi des personnes sacrées, tenant une fonction liturgique (cf. La royauté sacrée, décrite par Jean Hani). Et cette sacralité devait s'inscrire dans la géographie. Elle passait non seulement par le travail de l’Église qui marquait le territoire avec de nombreux lieux de culte, n'hésitant pas à convertir des sanctuaires païens en lieux de culte catholique. Elle passait aussi par la constitution d'une géographie royale qui devait couvrir le territoire. On peut penser aux places royales de Paris, ou aussi à la fabrication de Chambord (cf. mon billet sur Chambord, un château politique), ou bien sûr à la scénographie de pierre et de jardin mise en place à Versailles (ne jamais oublier le rôle fondamental des jardins dans l'ensemble de Versailles).

4/ Saint-Denis participe de ce même objectif : les rois français inventent l'idée de nécropole royale, avec Dagobert puis avec Saint Louis. L'abbé Suger, en inventant le style gothique, invente le premier soft power de l'histoire : le "style français" se répand dans toute l'Europe (lisez les Piliers de la terre, roman agréable de Ken Follett qui raconte justement l'invention de Saint-Denis).

5/ L'idée de nécropole royale se répand également en Europe : Westminter et l'Escurial sont toutefois plus tardifs (dans cette fonction) (voir la liste des nécropoles royales). En faisant se reposer les corps des rois dans un lieu unique, la royauté marque le territoire : la fonction du monarque qui instaure un lien personnel avec ses sujets, est symbolisée par cette similitude d'humanité. Le cimetière de famille devient celui du royaume.

6/ Aussi, ce n'est pas un hasard si la Révolution, dans ses derniers mouvements d'ivresse de la fin 1793, s'acharne contre cette nécropole et disperse les ossements. Puisqu'il faut mettre à bas ce vieux lien personnel, il faut déménager le symbole. Et dresser un symbole alternatif qui sera le Panthéon, "pour les grands hommes". Une géographie sacrée de remplacement, laïque cette-fois.

7/ Le dernier avatar de la sacralité posthume passe par les monuments aux morts. Les premiers sont inventés à l'issue de la guerre de 1870 (même si l'on peut mentionner l'Arc de triomphe de l’Étoile, ou la porte Desille à Nancy)... Mais c'est la guerre de 1914 qui va diffuser ce monument communal, dont l'expansion s’explique par la gigantesque saignée de la première guerre mondiale. Alors, le souvenir des morts se démocratise et se répand sur le territoire. Le monument aux morts est à la fois sacré (puisqu'il évoque le mystère de la mort) et national (puisque sa cause est la défense de la Nation).

La géographie sacrée a alors changé de lieu. En se laïcisant, elle est devenue une représentation, appartenant à la géopolitique.

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 24 mars 2012, 19:06 par Bryaxis

Deux petites questions que je me pose suite à votre article :

- Les mausolées d'Auguste et d'Hadrien, monuments publics occupant l'espace public et, dans le cas du mausolée d'Auguste, "colonisant" un nouveau territoire en y apportant la "paix" (par l'Ara Pacis, qui n'était pas à l'emplacement du musée actuel, et par la description - via les Res Gestae Divi Augustae, son testament politique gravé dans la pierre et déposé devant le mausolée - de la manière dont l'Empereur apporta la stabilité à l'Empire) alors que l'emplacement était précédemment consacré à la guerre (Campus Martius, champ de Mars) ne sont-ils pas déjà, de par cette publicité et de par cette utilisation continue par une (Mausolée d'Auguste) ou plusieurs (Mausolée d'Hadrien) dynasties, les premières nécropoles royales ? D'autant plus que nous savons que le Champ de Mars servit de décors à de nombreuses autres structures funéraires impériales ( cf. http://www.maquettes-historiques.ne...)

- Invention du Soft Power par le style gothique : ne pourrais-t-on par dire que la diffusion dés son vivant de nombreux portraits d'Alexandre le Grand ou encore l'invention par Auguste du culte impérial romain, sans même parler de toute l'iconographie monétaire (inscriptions, détails des images représentées) étaient non seulement de la propagande mais aussi et peut-être même surtout du soft-power, diffusion de l'image de la puissance impériale, de l'idéologie de l'occupant du trône, etc... ?

égéa : Pour la première question : oui, toute la rhétorique des arcs de triomphe constitue une affirmation politique. Quant au lien entre l'ordre politique et la divinisation du pouvoir romain, il est assez connu par ailleurs. Enfin, reportez vous à Jean RIcher, qui est fondateur ... Pour la seconde question : peut-être... En tout état de cause, je connais mieux la culture européenne et la diffusion du gothique correponds réellement à un phénomène d'imitation d'un courant qui n'est pas simplement artistique... Ce n'est pas un hasard si à l'époque, il fut surnommé "l'art français".

2. Le samedi 24 mars 2012, 19:06 par

Sur la laicisation de la vie publique, on peut la faire remonter à avant Louis XIV je pense, ou alors au contraire la faire intervenir plus tard :

- Les libertés religieuses introduites par l'Edit de Nantes changent la donne.
- Les rois de France n'ont pas beaucoup été à la botte du pape (développement du gallicanisme, épisode de Nogaret etc).
- Louis XIV est justement celui qui révoque l'édit de Nantes (plus son côté dévôt avec l'âge) !

3. Le samedi 24 mars 2012, 19:06 par

Bonsoir,

Je pense que l'unification des coutumes dans le Royaume de France, par le travail des Rois de France, intéresserait très grandement le pacha du blog. Ce travail de codification visait à faire disparaître les coutumes locales, donc les droits locaux, au profit d'un droit royal, donc "national", ou plutôt, "uniformisé" pour tout le Royaume. N'y aurait-il pas là un marqueur politique de la royauté face à l'Eglise, qui elle-même remplaçant l'empire romain ?

égéa : Oui, tu as raison. Tout à fait raison, sur la tendance (Philippe Auguste,Louis XI, Louis XIV).

Toutefois, avec des limites, cf la guerre des Parlements au XVIII°. On oublie que les privilèges, abolis le 4 août, n'étaient pas simplement les privilèges individuels des deux premiers ordres : c’étaient surtout (et dans la construction géopolitique, ce fut bien plus important) les privilèges collectifs des communes, des provinces... des territoires. Les octrois, les monnaie,s les mesures,... Unification réalisée aussi par la loi Le Chapelier...

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