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L'islamisme est un occidentalisme

Ouh ! la! la! Quel déluge médiatique. Pire que DSK, dites. Insupportable. Mais puisque j'entends des interrogations sur l'islamisme, réfléchissons un peu pour constater qu'il est un occidentalisme.

source (intérieur de Saint Sophie : Sophia, la sagesse grecque...)

1/ On le sait : l'islamisme est un modernisme, cela a été assez répété par pas mal d'auteurs, comme Olivier Roy. Modernisme en ce sens qu'il est une réaction à la modernité, qu'il intervient dans une période moderne.

2/ Certes, c'est une sorte de réaction religieuse, bien différente des idéologies en -isme du XX° siècle qui promettaient un avenir. L'islamisme promet un passé, c'est-à-dire un retour aux sources. Remarquez qu'il renvoie assez bien au protestantisme qui lui aussi était un retour aux sources. Ainsi, l'islamisme est un protestantisme, un choc de modernité. Et comme le protestantisme, il est pluriel et ne cesse de se ramifier. Il y a des islams. Et il y a donc des islamismes, comme il y a des protestantismes (luthérien, calviniste, presbytérien, évangéliste, et toutes les ramifications ....).

3/ Au fond, derrière la promotion de la communauté, il faut apercevoir la possibilité d’un profond individualisme. Les radicaux sont des individualistes. L'individualisme, un des critères de la modernité.

4/ Notons également le phénomène de réseau. L'islam est marqué par l'absence d'église, et il permet une sorte de déterritorialisation de la propagande. Celle-ci peut devenir "universelle" et "technologique", grâce notamment à Internet. Il est frappant de voir que beaucoup d'auteurs d'attentats sont des jeunes connectés aux réseaux électroniques et qui n'écoutent pas les prêches du quartier, mais s'auto-intoxiquent à distance. Universalisme ? technologie ? voici deux autres critères classiques de l'Occident.

5/ D'ailleurs, observez le phénomène "Al Qaida". On nous l'a présenté comme un réseau, ce qu'il fut peut-être au début. Mais aujourd'hui, qu'est-ce ? une marque. Un phénomène "marketing", qui utilise le système commercial de la franchise. AQ n'organise rien, mais se pérennise en acceptant que des initiatives locales se réclament de lui, pourvu qu'on respecte la marque : AQ en Irak, AQ dans la péninsule arabique, AQ au Maghreb islamique.... Al Qaida, c'est un peu comme coca. Une marque désormais universelle. Et les occidentaux y sont d'ailleurs sensibles (ils adorent tellement les marques) : désormais, la marque, c'est l'ennemi ! Voici donc ce commerce, cette manifestation particulière du capitalisme, qui est là, sous-jacente, à ce phénomène islamiste. Capitalisme ? voici le dernier critère traditionnel de l'Occident.

Pas de doute : l'islamisme est un occidentalisme. Au fond, l'ennemi créé pour établir une altérité, et donc nous confirmer dans notre identité.

O. Kempf

NB1 : Un taré a tiré : ce devrait être le seul commentaire à faire. Philippe Faucon, auteur du film "La désintégration", interrogé dans Le Monde d'aujourd'hui, ne dis pas autre chose : "MM reste un cas extrêmement marginal (...) Si les actes commis par lui l'avaient été par un néonazi, on ne les aurait pas associés à autre chose qu'une dérive individuelle pathologique et des références idéologiques marginales". Un taré a tiré. Point.

NB2 : As usual, ces propos n'engagent que moi et aucune des organisations pour lesquelles je travaille.

Commentaires

1. Le dimanche 25 mars 2012, 19:50 par

J'aimerais avoir le temps et la patience de faire une réponse construite, mais je me contenterai de répondre et de commenter quelques points.

1. J'approuve complétement le fait que l'islamisme est un modernisme, mais parce que justement il est un pur produit de la modernité, et non pas une simple réaction contre elle. L'islamisme est une idéologie politique, catégorie de la modernité. Pour la référence à Olivier Roy, parfait, mais ce qu'il écrit ne va pas exactement dans le sens de votre observation.

2. La définition du concept d'islamisme pose de réels problèmes, mais il est clair qu'historiquement c'est d'abord un produit du réformisme musulman (al-Afghani, Muhammad Abduh, Rashid Rida), lui-même s'inscrivant dans le contexte plus général de la Nahda arabe. La réflexion d'al-Afghani consiste à adapter l'islam à la modernisation (en accordant une place moindre à la Sunna, la tradition). On est bien d'accord sur la pluralité de l'islamisme, ce qui complique d'ailleurs la réflexion. Olivier Roy remarque que le terme de salafisme a été forgé par al-Afghani, mais qu'évidemment il n'a plus rien en commun avec ce qui peut exister aujourd'hui sous cette appellation. Il faut également distinguer le néo-fondamentalisme d'al-Qaida et de quelques mouvements salafistes de l'islamo-nationalisme du Hamas, du Hezbollah, etc.

3. Complétement d'accord pour l'individualisme, les trajectoires des membres d'al-Qaida étudiées par Roy le montrent bien. Il va jusqu'à considérer que l'attentat-suicide est une réalisation de soi pour les candidats jihadistes. Cette individualisation est d'ailleurs un phénomène qui touche plus généralement l'islam (via l'émergence de la question de la foi, les néo-confréries soufies, etc.) et d'autres religions (cf. "La Sainte Ignorance" de Roy, toujours).

4. L'absence d'église en islam, c'est quand même un peu une tarte à la crème... Il y a un clergé très organisé dans le chiisme. Le soufisme, mouvement pluriel, connait des hiérarchies. Et le sunnisme possède une certaine organisation: les écoles de Fiqh, les grandes institutions religieuses (al-Azhar), les autorités nommées par les États (les muftis, etc.). Mais, je le concède, l'autorité religieuse est relativement décentralisée (enfin, s'il y avait encore un calife, on s'empresserait de faire un parallèle avec le pape catholique...). Sinon, l'universalisme est déjà inscrit dans la genèse de l'islam. La technologie n'a jamais posé problème non plus, sans attendre l'islamisme (les déboires de l'imprimerie sont d'abord dues à la caste des religieux qui y voyaient un risque pour son autorité).

Après avoir été un peu chiant, je finirai par dire que l'islamisme est aussi un modernisme parce qu'il est le fait de non-religieux: Qutb, Mawdudi, etc. Il méconnait les traditions de la pensée musulmane, et se caractérise pas une pauvreté théorique qui en fait son efficacité.
Tout ça pour dire, finalement, que non, l'islamisme n'est pas une réaction contre la modernité, mais bien son produit (ce qui ne l'empêche pas de critiquer d'autres produits de la modernité, comme le capitalisme ou le socialisme...).

2. Le dimanche 25 mars 2012, 19:50 par jc

faudrait revoir votre vocabulaire. Pie X définit le modernisme comme "la raison humaine, enfermée rigoureusement dans le cercle des phénomènes, c'est-à-dire des choses qui apparaissent, et telles précisément qu'elles apparaissent, n'a ni la faculté ni le droit d'en franchir les limites". Le modernisme s'associe donc au progressisme et au libéralisme...

3. Le dimanche 25 mars 2012, 19:50 par

Bonjour,

Sans entrer dans le détail d’un sujet que je maîtrise mal par manque de lectures, tout dépend de ce que l’on entend par modernisme et surtout qui regarde qui. Nous discutons comme des Français héritiers des Lumières - pour reprendre une formule surfaite mais dont on réalise de nouveau l'extrême pertinence - mais comment les autres qui sont restés à un stade d’évolution antérieur voient-ils l’Islam ? Comment une évangéliste américaine voit-elle le salafisme ?

Un exemple un peu à côté de la plaque mais concret : j’aide dans un dossier une confrère avocate d’origine kabyle à faire écarter dans une affaire de succession intéressant trois Françaises « d’apparence musulmanes » (puisque ça vient de sortir) la loi marocaine pour un immeuble acheté en France par leur père. Je ne rentre pas dans les vieux mécanismes de renvoi du droit international privé, simplement il s’agit du partage des parts. Pour notre Code Napoléon, si on oublie la réserve héréditaire, c’est garçons et filles à parts égales. Pour la loi coutumière au Maroc c’est, pour faire simple, deux parts pour chacun des garçons et une pour chacune des filles. Français, ça nous choque. Oui, mais dans les pays qui n’ont pas adopté l’équivalent du Code Napoléon et en sont restés à la situation de la France d’avant la Révolution, par exemple aux Etats-Unis où un père peut déshériter ses enfants, la loi coranique est égalitariste, partageuse, révolutionnaire bien avant l’heure, et favorable aux filles et aux veuves.

Alors c’est quoi le modernisme, et pour qui ?

Bonne semaine.

Immarigeon

4. Le dimanche 25 mars 2012, 19:50 par

J'ai lu avec intérêt l'interview de Phlippe Faucon, et si j'ai souscrit, bien modestement, à ses remarques, j'ai quand même tiqué sur cette phrase, justement : "Si les actes commis par lui l'avaient été par un néonazi, on ne les aurait pas associés à autre chose qu'une dérive individuelle pathologique et des références idéologiques marginales" Le hic, c'est que si MM a été marginal en France, il est assez difficile de le considérer comme un cas unique à l'échelle de notre environnement stratégique proche. La situation en Irak, au Nigeria, au Pakistan ou en Somalie dément ce genre d'affirmation, me semble-t-il.
Quant à la qualification de "taré", elle me paraît tellement réductrice. Les kamikazes tamouls étaient-ils fous ? Et les veuves noires tchétchènes le sont-elles ? Parler de folie évite de regarder en face le ressenti de ces quelques milliers d'individus qui, à tort ou à raison, estiment que leur cause et leur façon de la défendre sont justes.

egea : les tamouls sont à Ceylan, les tchétchènes dans le Caucase. Nous parlons ici du cas français. Et égéa ne cesse de montrer, je crois, les particularités des autres environnements. Qui diffèrent, tu en conviendras, de celui de Toulouse. Je te renvoie à la fiche de lecture sur "Géographie de la colère".

5. Le dimanche 25 mars 2012, 19:50 par

@Immarigeon :
Les règles de succession favorisant l'aîné avant la Révolution ne concernent que les nobles, ce qui fait de loin pas la majorité des successions avant 1789. On est déjà dans un système tendant vers l'égalitaire (ce qui est d'ailleurs la règle générale dans la Rome républicaine car le testament y est dérogatoire et pour tous les descendants mâles dans les systemes germaniques, morcellant ainsi les royaumes).

6. Le dimanche 25 mars 2012, 19:50 par br

Je connais bien l'auteur de ce blog; je sais par conséquent qu'il aime la provocation. Parfois fine, parfois moqueuse mais parfois un peu trop simplificatrice. Alors quand il écrit "l'islamisme est un protestantisme", il savoure le bon mot, il sait qu'il va choquer et mieux, ce qu'il aime par-dessus tout, susciter le débat. Quitte à couper dans les virages ou tordre son raisonnement pour servir l'idée qu'il défend.
Allez, je tombe donc dans le panneau et me sens obligé de répondre.
OK part donc d'Olivier Roy qui nous dit que l'islamisme est un modernisme, modernisme devant être compris comme une réaction à la modernité. Ce point mérite d'être développé parce que c'est lui qui, à mon avis, permet de biaiser le raisonnement avec le protestantisme. La réaction à la modernité que décrit O. Roy est la suivante : l'islamisme qui peut entraîner, prôner, engendrer des manifestations violentes est une réponse (pas la seule d'ailleurs) pour combattre les avanies engendrées par la modernité d'une société considérée comme déboussolée.
Le parallèle avec le protestantisme n'est pas saisissant (sauf à comparer les indulgences non pas comme un excès (=point de vue de Luther) mais comme une simple avanie de la modernité et dans ce cas, la Basilique Saint Pierre, origine de la campagne d'indulgences combattue devient le World Trade Center!) Le protestantisme s'est voulu non pas un retour aux sources, mais un autre chemin, une autre lecture (plus dynamique?) des Ecritures. Catholicisme et protestantisme se séparent essentiellement par la manière dont ils articulent et relient entre eux les grands thèmes de la foi chrétienne. Il n'y a donc pas de retour aux sources. Et le protestantisme, loin de combattre les évolutions liées à la modernité, les utilise pour mieux s'ancrer dans son temps. On pense en particulier à l'imprimerie.
Bon, j'arrête là mais cette provocation là méritait quand même qu'on y réponde!

égéa : protestantisme comme retour aux sources de l'écriture, ce qui ne signifie pas retour en arrière. Vous dites une autre lecture : je dirais un lecture tout court. Protestantisme comme expression de l'humanisation du monde, la sortie d'un enchantement, celui du Moyen-Âge où la société était polarisée religieusement, microcosme d'un macroscosme. Guerres de religion qui succèdent à la Renaissance et à l'humanisme.

Bref, pas tant provocateur que ça.

7. Le dimanche 25 mars 2012, 19:50 par yves cadiou

Je vais m’écarter du sujet « occidentalisme » pour réagir à deux récentes déclarations gouvernementales qui m’ont scandalisé.
Il est inexact de dire, comme le Premier ministre le 23 mars : « aucun élément ne permettait d'appréhender Merah avant les tueries » http://videos.tf1.fr/infos/election... , ce qu’un ministre d’Etat confirme quelques jours plus tard en invoquant des « failles » dans la loi http://www.lepoint.fr/fil-info-reut...

La vérité, c'est que deux lois existent qui permettaient aux pouvoirs publics de neutraliser Merah avant qu’il ne tue : la Loi n° 90-527 du 27 juin 1990, modifiée, qui reprend une série de lois dont la première date du 30 juin 1838, elle-même reprise d’un décret de 1790 au sujet des « événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés ou les furieux laissés en liberté ». Wikipedia propose une page très claire à ce sujet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Soins_...
Ainsi notre Code de la Santé Publique (les articles L3212 et L3213 reprennent les textes mentionnés ci-dessus) permettait d’interner et de soigner Merah avant qu’il ne devienne un tueur.
Ce qui précède n’est pas de la théorie : lorsque je travaillais en Mairie, j’ai dû moi-même mettre en œuvre une telle procédure envers un administré qui était manifestement dément et dangereux pour lui-même et autrui. C’est une procédure très encadrée parce qu’elle pourrait facilement déboucher sur de la détention arbitraire, mais elle existe. Dans le cas de Merah cette procédure d’internement et de soins psychiatriques devait être mise en œuvre.

Si dans le cas de Merah, on préférait ne pas invoquer le Code de la Santé Publique qui pourtant s’appliquait, ou si les psychiatres ne se mettaient pas d’accord sur l’insanité mentale de l’individu qu’on leur présentait, alors les pouvoirs publics disposaient de l’article L 2336 du Code de la Défense par lequel la détention d’armes de guerre est interdite http://www.legifrance.gouv.fr/affic... Détenant des armes de guerre, Merah était, avant de devenir un criminel, un délinquant : pour ce motif il devait être arrêté et son matériel devait être confisqué.

Par conséquent c’est ignorer la loi que d’affirmer « aucun élément ne permettait d'appréhender Merah avant les tueries ». Au contraire la loi imposait de neutraliser Merah avant qu’il ne commette ses meurtres. Le gouvernement ne peut pas ignorer la loi : les pouvoirs publics pouvaient et devaient légalement agir avant que l’individu, parfaitement connu des services, ne passe aux actes criminels.

S’interrogeant sur tout ça le citoyen que je suis se demande bien évidemment pourquoi les pouvoirs publics, en toute connaissance de cause, n’ont pas fait en temps utile ce qu’ils devaient faire. Le citoyen que je suis se demande aussi pourquoi aucun Parlementaire, dont c’est pourtant la fonction, n’a demandé au Gouvernement (à moins que ça m’ait échappé) de s’expliquer sur son retard à appliquer la loi.

Un taré a tiré, c’est vrai : il n’aurait jamais tiré si les responsables politiques avaient fait appliquer la loi par les services quand il le fallait : « le Premier ministre assure l’exécution des lois » (Constitution, article 21). Il reste que les ayant-droit des victimes peuvent s’adresser à la Justice et demander des comptes aux agents publics (membres du Gouvernement ou non) qui, connaissant le danger, ont cependant laissé en liberté ce malade dangereux au lieu de le présenter aux médecins-psychiatres pour internement et soins.

Je ne sais pas si l’islamisme est un modernisme. Mais ce que je sais avec certitude, c’est que notre République est forte de deux siècles d’histoire et ne doit pas se sentir désarmée face à la résurgence, sous de nouvelles appellations, de problèmes anciens que l’on sait parfaitement traiter depuis longtemps. Il est trop facile de prétendre que la situation est nouvelle et que nos lois ne sont pas à jour. Nos lois, même anciennes, ne sont pas périmées et restent opérantes contre le fanatisme et contre (je reprends les termes d’un décret républicain vieux de plus de deux siècles qui n’a jamais été abrogé mais qui a été complété et précisé) « les insensés ou les furieux laissés en liberté ».

Les déclarations ministérielles affirmant l’impuissance des pouvoirs publics avant que les meurtres soient commis sont fausses.

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