1/ La première chose, quand on regarde la carte, c'est de constater les formes bizarres des frontières : tout d'abord elles sont un peu difformes, et surtout rectilignes. Regardez le Mali, centré à Bamako avec son excroissance entre la zone sahélienne et la zone saharienne, au nord du fleuve Niger, après Tombouctou. Regardez aussi le sud de l'Algérie qui s'élargit jusqu'à Tamanrasset pour englober le Hoggar. Regardez le Niger, lui aussi polarisé autour de Niamey et du fleuve, avec la grande excroissance vers le nord-est... Regardez la frontière orientale de la Mauritanie...
2/ Au fond, ces confins étaient délaissés. La vraie mer, autrefois, n'était pas liquide, mais sableuse. Le Sahara séparait plus que la Méditerranée. Loi relative, bien sûr : les grandes caravanes ont toujours traversé le désert, et les Touaregs ont toujours conservé un mode de vie adapté à la survie dans ces régions. Mais elles étaient marginales, inexploitées. Au fond, les frontières linéaires n'étaient là que pour faire plaisir aux Occidentaux, on obéissait à une logique de confins : des espaces vides et délaissés, des sas de sécurité entre des pôles éloignés, qui se satisfaisaient de cette incertain. Alors, la frontière n'était qu'un front. Une zone plutôt qu'une ligne.
3/ C'est pourquoi, à rebours de ce qu'on lit partout, je reste un peu circonspect quand on m’explique que "ces Etats sont incapables de contrôler leurs frontières". Parce qu'on fond, ils ne l'ont jamais vraiment voulu, du moins selon notre acception westphalienne et nationale. Au contraire, ils découvrent aujourd'hui ces frontières, ils s'aperçoivent qu'il ne peuvent plus se contenter d'en faire des fronts, des confins. On voit apparaître des débats de souveraineté.
4/ C'est ce que dit l'Algérie depuis longtemps (car cela appartient à son logiciel géopolitique depuis l'indépendance, et la discussion initiale sur la souveraineté du Sahara : puisque le Sahara lui échut, elle développa très tôt un discours, et donc une pratique de souveraineté). C'est aussi ce que dit la Mauritanie, désireuse de tenir sa frontière. Et ce fut autrefois le litige entre Libye et Tchad, à propos de la bande d'Aouzou.
5/ Pourquoi maintenant ? Méfions nous de la théorie des zones grises, ou de la lecture néo-terroriste. AQMI est un label sur une réalité sous-jacente, Boko Haram n'est pas "simplement" un islamisme radical. Mais il y a des réalités ethniques, religieuses, réticulaires. Elles existaient, elles sont aujourd'hui révélées. Pourquoi ?
6/ Ici, je formulerai des hypothèses : je répète que je ne suis pas un spécialiste, que je n'ai pas observé les choses en détail, t que donc je raconte très probablement (une fois de plus) des bêtises: démentez moi donc. Parmi donc ces"raisons" :
- Peut-être un effet "remplissage" (démographique) et exploitation (des ressources) : ces zones étaient inutiles, elles deviennent utiles.
- Surtout, une meilleure traversée grâce à des véhicules et une logistique décentralisée qui permettent à tous les acteurs de se porter vite d'un point à l'autre. L'obstacle gêne de moins en moins, let les liaisons deviennent de plus en plus faciles.
- Du coup, la logique ancienne de confins est inadaptée, et on en vient à vouloir "garder la ligne".0
- Ajoutons un effet "autoroute de la drogue", en provenance d'Amérique du sud : voilà pour le coup une conséquence observable et directe de la mondialisation, bien plus que l'hypothèse néo-huntingtonienne de jonction des terrorismes.
- Pour autant, j'ai l'impression (une impression, rien qui le prouve) que ce n'est pas simplement une criminalisation : là encore, la lecture Hauferienne me semble trop univoque pour tout expliquer.
Le Mali est un révélateur géopolitique du Sahel. Celui-ci ne montre pas un moins d'Etat, mais au contraire un désir d'Etat.
O. Kempf
NB : ces propos n'engagent que moi et aucune des organisations pour lesquelles je travaille.
1 De Midship -
Si je vous suis, ne devrait-on pas voir des points d'appui (pardon, langage civil : des villages) grossir et devenir des villes, plus loin dans le désert, sur ces routes commerciales, vers les frontières ? Des ports sur ces mers de sable ?
égéa : eh!!! ben oui.... Voilà un critère... Dites, les géographes : donc il y a sécheresse dans le sahel et donc des exodes de population vers le sud : donc, apparemment, ma théorie ne tient pas. Est-ce que pourtant on n'observe pas des "points étapes" qui se développent ?
2 De panou -
Sans être beaucoup plus africaniste que vous quelques éléments historiques:
Les frontiéres fixées à l'indépendance de l'AOF aussi bizarres qu'elles soient n'ont jamais fait l'objet de contestations:certes la fédération du Sénégal-Mali a vite explosé en raison de l'antagonisme politique Senghor-Keita.On pourrait y ajouter les guéguerres Mali -Burkina pour la bande d'Agacher mais elles ne concernent pas la bande sahélo-désertique et ont été réglées par arbitrage international.On est là au stade anecdotique.
En revanche plus au nord en ''Afrique blanche'' les frontiéres désertiques ont dés le départ posé probléme.Vous avez évoqué le cas de la bande d'Aouzou mais il faut signaler la guerre des sables entre Algérie et Maroc un an à peine aprés l'indépendance de l'Algérie.D'ailleurs la frontiére est toujours fermée pour cause de Sahara ex espagnol.Là aussi les visées sahariennes de Rabat se sont affirmées dés la naissance de la Mauritanie indépendante que le Maroc n'a reconnue qu'en 1969 alors que les Espagnols faisaient encore tampon avec leur Sahara.Quand ils l'abandonnent,s'en débarrassent même,Mauritanie et Maroc se le partagent mais Nouackchott céde en 1979 sa part du gâteau au voisin du Nord.
Qu'en est-il aujourd'hui à mon humble avis?Dans l'histoire connue le Sahara a été une zone de transit unilatérale au profit du Nord.Importations de matiéres précieuses et de main d'oeuvre esclavagiste noire.Certes les données écrites manquent dans ces régions et si l'on peut retracer le parcours des éléphants d'Hannibal en Europe on n'est bien incapable de préciser comment ils sont parvenus à Carthage et d'où ils provenaient(Afrique ou Asie).Mais zone de transit idéologique aussi dans le sens Nord -Sud cette fois avec la propagation de l'Islam devenu aujourd'hui majoritaire dans l'Afrique sahélienne.
Or l'Islam noir est par sa nature et ses pratiques condamné par les Arabes qui veulent le califat.Le musulman négro-africain lambda ne rêve pas d'universalisme djihadiste.Ce qui compte pour lui c'est l'intermédiaire local à savoir le marabout son saint terrestre.Cette particularité explique le phénoméne confrérique condamné totalement par les islamistes qui n'acceptent pas qu'on vénére un intermédiaire vivant et qu'on se rende à des pélérinages sur les tombeaux des ''saints''.Avec beaucoup d'audace on peut dire que l'islam noir est en ce sens plus proche du chiisme que du sunnisme dont il procéde pourtant largement dans ses rites malékites et soufis
A ces divergences religieuses s'ajoutent des faits économiques et culturels concernant le statut de la femme négro-africaine musulmane qui participe pleinement à la vie quotidienne hors de son domicile.
Quitte à ne pas faire du politiquement correct j'ajouterai que le racisme joue aussi son rôle.Le conflit entre Sénégal et Mauritanie en 1990 n'était pas frontalier.Ni religieux puisqu'entre musulmans(la minorité catholique sénégalaise n'y a joué aucun rôle).Mais raciste avec en fond de tableau le passé esclavagiste.Du coup les sénégalais de confrérie Qadrya d'origine mauritanienne ont pour beaucoup déserté leurs marabouts blancs pour se tourner vers le mouridisme exclusivement sénégalais.
On retrouve ces antagonismes en France où notre immigration négro-africaine est majoritairement musulmane(Mali,Sénégal) .Or il est rare que dans une mosquée l'imam soit un Noir et ils sont absents dans les institutions représentatives.Grande différence avec le clergé catholique français qui accueille de plus en plus de curés africains.
J'arrête là bien qu'il y ait beaucoup à réfléchir sur la zone de fracture religieuse et culturelle saharienne mais celà deviendrait marabout-bout de ficelle-selle de cheval....vous connaissez la suite comme moi.
égéa : cheval de course, course à pied, pied à terre. Plus sérieusement, c'est à dessein que je n'ai pas mentionné le Sahara espagnol : certes, dans la zone et donc assimilable au schéma, mais astreint à une géopolitique particulière, au fond maghrébine, qui prend le pas sur tout autre considérant. Jusqu'à présent....
3 De AGERON Pierre -
tres rapidement sur les villages frontaliers: dynamiques de fronts pionniers (cf M. Foucher, 1991) Existence de ces doublons en zone soudano sahélinne Tchad-Cameroun- RCA Mbaibioum : profit du différentiel= place de marché (Cf Bennafla, 1998 in Autrepart)
Pour la zone saharienne voir travaux d'Ali Bensaad; cf croissance démographique d'Agadez au carrefour des routes Dakar-Port-Soudan et Golfe de guinée-lybie.
4 De -
A vos hypothèses, je pense que vous pourriez ajouter la déstabilisation des équilibres dans la région par l'intervention en Lybie, qui a déversé des armes et des mercenaires aguerris en recherche de nouvelles fortunes vers ce noeud fragile du Sahel.
Cordialement
égéa : vous avez raison...
5 De korrigan -
je me permets de rajouter quelques reflexions à ce sujet :
1/ Zone grise : Certes mais la zone a été démilitarisée par le Malie il y 5 ans sous préssion de l'UE qui craignait une répression du gouvernement Malien à l'encontre des mouvements Touaregs. De fait la zone s'est retrouvée dégagée de toute obstacle pour les différents mouvements politiques ethniques et ou religieux qui se la diputent actuellement.
2/ l'Algérie dans cette région souffle le chaud et le froid et une intervention militaire occidentale viendrait perturber la zone. L'Algérie considérant cette zone comme une zone d'exclusion, elle lui est utile pour reffouler certains groupes radicaux.
3/ logistique de "ces mouvements rebels" :
Armements / dépôts d'armes de lybie
Financement/ La drogue qui continue à transiter par ce grand térritoire qui n'a jamais cesser d'être un carrefour commercial et d'échange et enfin le rençonnage....