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OTAN à la carte

Mes étudiants m'ont encore donné de bonnes idées, aujourd'hui. Il faut dire que j'avais un peu provoqué, en instaurant un débat : "Defense industry steers the Alliance : yes or no ?". Au début, la plupart m'ont regardé comme un martien, du style : "Quelle drôle d'idée ! pourquoi pose-t-il des questions comme ça ?". Une demie-heure plus tard, les avis étaient plus partagées... Et du coup, comme il y a eu des échanges, ça m'a donné des idées. De restaurant.

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En effet, l'OTAN fonctionnait surtout avec un menu : du style on entrait, on prenait le menu du jour, et tout le monde mangeait la même chose et payait la même chose. Le chef (je veux dire : le cuisinier, qu'allez vous chercher là) était américain et personne ne mouftait vraiment. Car si la cuisine était un peu grasse, il y avait un rapport qualité prix superbe : on mangeait de la sécurité à satiété qu'on ne payait pas très cher : juste le fait de manger américain.

Et puis la mondialisation est venue, le chef a écouté des conseillers en management qui lui ont dit qu'il fallait jouer les cost killers tout en augmentant le choix du client. Bref, on a abandonné le menu, on est passé à la carte. Du coup, les clients ont continué de manger gras, mais ils ont choisi les plats. Mais aussi, ils payent moins cher. Surtout, comme ils ne prennent plus le menu, ils consomment moins : c'est qu'eux aussi ont consulté, cette fois un conseiller an diététique, qui leur a expliqué qu'ils consommaient trop de sécurité et que compte-tenu de leur portefeuille et de leur débit à la banque, ils feraient bien de faire un régime. Moins de sécurité, donc, car moins de besoin de sécurité. Ce qui ne fait pas les affaires du chef, d'autant que celui-ci compte ouvrir une pizzeria à l'autre bout de la ville, mais souhaiterait continuer de faire fonctionner sa gargote...

Décryptons : avant, l'OTAN était "cohèse", tous groupés en rang d’oignons face à l'est, face à une grosse menace. Et du coup, chacun payait sans hésiter, même si les Américains faisaient déjà le coup du burden sharing.

Et puis on a eu les dividendes de la paix (perçus des deux côtés de l'Atlantique). Et puis il y a eu le 11 septembre, et les Américains ont cru qu'ils étaient en guerre : ils ont remonté leur budget au niveau de la guerre froide, shootant leur complexe militaro-industriel à coup de commandes toutes plus pharaoniques les unes que les autres. Les Européens ont fait semblant d'y croire, se sont beaucoup inquiété du terrorisme, puis de l'Irak, puis de l'Afghanistan, puis des COIN, ils ont appris que Galula était un grand penseur, des choses comme ça.

Ils ont été en opération : un peu en Irak, un peu plus en Afghanistan. Si possible au nord ou à l'ouest, mais quand ils étaient au sud ou à l'est, les Européens étaient bien embêtés : on a vu ainsi apparaître beaucoup de caveats, des restrictions d'emploi. En clair, on fait semblant d'y être, facialement, mais on n'y est pas vraiment. Une cohésion pour rire, car au fond, l’Afghanistan, ils ne considéraient pas que c'était leur affaire, ils n'y allaient que pour faire plaisir aux Américains.

En Libye, ce fut encore pire, ils ont écouté plus que jamais la doctrine Rumsfeld : "la mission fait la coalition". Et du coup, la moitié des alliés n'y est pas allée. L’alliance c'est plus que jamais une coalition permanente, où on choisit, c'est selon, d'y aller ou pas. Une alliance à la carte, pas au menu.

Même chose pour l'équipement : Au départ, le premier équipement acheté en commun était l'AWACS, c'était autour de 1980. En pleine guerre froide. Déjà, tout le monde n'y était pas, imaginez. Depuis, ça s'est aggravé. On raconte qu'on achète des trucs en commun (économies d'échelle, ce genre de trucs) mais en fait, il n'y en a qu'une toute petite partie qui achètent vraiment : 13 nations seulement ont acheté des C 17 placés sur la base de Papa (voir billet), 15 viennent de signer pour l'AGS (Air Ground Surveillance)....

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En équipement, c'est comme en opération : on n'a plus de menu, on ne choisit qu'à la carte. C'est ça, la doctrine Rumsfeld au quotidien....

Ces étudiants m'ont donné un vrai cours de restauration collective...

O. Kempf

NB : Ces propos n'engagent que moi et aucune des organisations pour lesquelles je travaille.

Commentaires

1. Le mardi 10 avril 2012, 21:30 par Midship

et comme c'est à la mode, on file tout à Sodexho-Xe ...

2. Le mardi 10 avril 2012, 21:30 par BQ

OTAN, suspends tes vols?

3. Le mardi 10 avril 2012, 21:30 par

Prenons les choses dans l’ordre des cartes et des 4 billets évoquant les cartes: l’OTAN à la carte, mais auparavant revenons à la carte des pays membres de l’OTAN, de coalition face à un ennemi, en gros l’URSS, clairement défini, la chute de l’empire soviétique a posé quelques problèmes, quoi faire de l’OTAN? Et si on essayait de se servir de ce machin autrement? L’éclatement de la Yougoslavie et les conflits des Balkans, fût un instant une aubaine, L’OTAN pouvait servir à quelque chose.. « On » fût soulagé.. Puis vint le 11 septembre, à force de fabriquer des films catastrophes l’Amérique « et les Américains ont cru qu'ils étaient en guerre » merci j’adore votre phrase, ce qui justifiait une intervention contre le vilain Saddam avec l’OTAN comme outil.. Pas de chance ces frenchies n’eurent cure que de dénoncer certains mensonges, du coup le french fries disparurent de certaines cartes de restaurant Newyorkais et la France fût mise au « coin ». Heureusement, l’Afghanistan permit de montrer à nos alliés qu’on boudait, mais pas tout le temps, on fit donc contre mauvaise fortune bon cœur, nous revoilà sagement dans l’OTAN, sous commandement américain, mais avec des restrictions d’emploi bien français pour montrer notre indépendance.. Puisque désormais nous sommes redevenus de bons élèves, que nos Etat-major parlent l’anglais, le menu est imposé à la carte, je vous rejoins..

De retour du Maroc, je suis descendu au sud de Tata, je n’ai cessé de regarder la carte de l’Afrique.. Et j’ai constaté que la Maroc était le seul pays du Maghreb à se développer.. Routes, écoles.. Serait-ce une coïncidence? Le Maroc a bien regarder la carte, à deux façades maritimes, l’atlantique et la méditerranée? Serrait-ce une coïncidence, c’est aussi une monarchie constitutionnelle.. Autre constations cartographique, le Sahara marocain n’est pas si loin de Taoudenni et plus on descend vers le sud plus on ressent l’influence du désert et des espaces, où les frontières ne signifient plus grand-chose. Total a des intérêts importants dans ces régions, il serait intéressant de regarder plus précisément la carte des gisements de pétrole et l’impact économique de ces velléités d’indépendance qui ne sont finalement qu’un soubresaut de « prolifération étatique » qui est d’une certaine façon aculturelle à ces populations.

La carte et le territoire ne sont qu’une vision d’un monde qui ne demande qu’à se redéfinir, sans que les grandes puissances ne s’en mêlent, Cela nous bouscule idéologiquement, mais c’est un fait.

4. Le mardi 10 avril 2012, 21:30 par yves cadiou

Deux questions : 1 pourquoi « steers » et non « leads » ou, comme au resto, « order » ? 2 et que faut-il entendre par « il compte ouvrir une pizzeria à l’autre bout de la ville » ? Allusion probablement à l’intérêt américain pour les pays du Pacifique, où il y a une clientèle pour la Defence industry ?

D’autre part une affirmation dans votre article mérite d’être contestée : peut-on être vraiment sûr qu’avec l’OTAN « on mangeait de la sécurité à satiété » comme vous le dites ? Peut-être certains convives européens avaient-ils l’impression d’être rassasiés, ou du moins voulaient-ils s’en persuader, mais rien ne prouve que nos alliés d’outre-Atlantique se seraient précipités à notre secours ni qu’ils auraient brandi leurs fusées intercon(tinentale)s pour réagir à une attaque soviétique sur l’Europe de l’ouest. « Ils ne risqueront pas Philadelphie pour Hambourg » disait Charles de Gaulle. Cette certitude gaullienne, s’ajoutant alors à l’expertise de nos ingénieurs et techniciens, est à l’origine de notre force nucléaire indépendante grâce à laquelle les Européens ont pu (et peuvent encore) « manger de la sécurité à satiété » en laissant les Français régler la note.

En ce qui concerne l’avenir, on peut se montrer optimiste : si désormais les élèves de Science Po Paris sont sollicités sur des questions comme ça, on peut espérer la disparition progressive de la dangereuse et traditionnelle ignorance qui caractérise nos « élites » politiques non seulement actuelles, mais aussi récentes et passées, sur ces sujets.

5. Le mardi 10 avril 2012, 21:30 par Laurent

Excusez mon ignorance, mais ce qui m'intrigue dans cette réalité que vous decrivez si adroitement c'est l'écart entre la propagande OTAN (je veux dire leur plaquette disponible en téléchargement) et la réalité des faits.

A en croire le sercice com de l'' Alliance, les décisions de l'Otan se prennent à l'unanimité des membres "menu unique" or en Irak comme en Lybie c'est "à la carte". Pourriez vous nous éclairer sur le concept de l'unanimité des décisions?
Merci.

égéa : les décisions sont prises à l'unanimité : en clair, l'engagement de l'Alliance qq part est décidé à l'unanimité. Mais cela n'entraîne pas obligatoirement l'engagement individuel de chacun des alliés.

6. Le mardi 10 avril 2012, 21:30 par yves cadiou

Elargissons la question posée par Laurent (n°5), en nous rappelant que la plupart des actions otaniennes consistent en bombardements : au sujet des « décisions de l’OTAN » il serait intéressant de savoir quel personnage, selon quels critères, avec quelle légitimité, désigne les cibles ? Les cibles sont en principe des objectifs militaires, mais quand il s’agit d’infrastructures civiles (ponts, centraux téléphoniques, etc.) les choix mériteraient d’être discutés avant décision : le sont-ils ? J’ai entendu dire (les gens sont si médisants !) qu’en Serbie par exemple le positionnement des entreprises américaines sur le marché de la reconstruction était pris en considération pour le choix des cibles. Qu’en est-il ?

égéa : vous posez là la question du "ciblage" (targeting). Effectivement, il a été développé à la suite de l'expérience du Kossovo, en 1999. Depuis, on a développé la théorie des EBO/EBAO (opérations fondées sur les effets) : en peu de mots (que les spécialistes me pardonnent ce schématisme), on comprend que dans la guerre moderne il ne s'agit plus que de violence physique, et donc de taper très fort pour aller jusqu'à un centre de gravité : mais qu'il faut penser "les effets", c'est-à-dire le système de l'ennemi (d'où les qq débats d'égéa sur la pensée système, cf Gambotti et Morin).

Si on pense "système", on cherchera à avoir des effets sur l'équilibre de l'ennemi, mais aussi en prenant en compte plusieurs échelles de temps : aujourd'hui, après-demain, et l'après guerre (et donc la reconstruction, et pas forcément pour les entreprises US, car nous FR avons bien su jouer à ce jeu là aussi, ne faisons pas les candides). Bref, le lignes d'opérations ne sont plus aussi parallèles qu'elles pouvaient l'être selon la planification traditionnelle/

Les EBAO ont été décriés à partir de 2007 (échec d’Israël face au Hezbollah en 2006). Il reste que les guerres irrégulières, notamment en Afghanistan, posent la question de l'approche globale, et reposent la question de ce ciblage...

Ce qui signifie que tous les états-majors modernes ont développé des capa de ciblages : à l'OTAN, mais aussi en France (Centre national de ciblage, à Creil de mémoire).

7. Le mardi 10 avril 2012, 21:30 par yves cadiou

Dans mon commentaire précédent (n°6, en date du 14 avril) je demandais qui, selon quels critères, avec quelle légitimité, désigne les cibles ? Vous m’avez indiqué, en France, le Centre national de ciblage (CNC), sis à Creil et je vous en remercie.

J’ai voulu en savoir plus au sujet de ce CNC et j’ai trouvé quelques infos sur internet, beaucoup concernant les procédures techniques (recherche de la cible ; désignation physique de la cible pour le tireur, les aviateurs appellent ça « éclairer la cible » ; évaluation du résultat) mais rien qui réponde à la question de la prise de décision et notamment de sa légitimité.

J’ai trouvé un rapport parlementaire sur le CNC et je m’attendais logiquement à y voir traitée la question de la légitimité du choix des cibles, mais non. Tout ça reste bien mystérieux. Pourtant, lorsque l’on détruit sciemment des infrastructures civiles, c’est bien entendu au motif de leur intérêt militaire mais ça n’est pas neutre politiquement ni économiquement. C’est un choix qui est fait par l’autorité politique, ou par quelqu'un à qui l'autorité politique a donné délégation, et en considération de nos intérêts économiques. Mais le problème est que la politique, l’économie, le droit, sont des domaines où les militaires ne sont guère compétents du fait qu’ils sont systématiquement mis à l’écart des centres de décisions de la société civile (je pense notamment à l’interdiction de fréquenter les partis politiques). Si l’on en juge aussi par les sujets des concours d’entrée dans les écoles militaires et notamment à l’EdG, dont egeablog se fait l’écho, les réalités politiques et économiques ne leur sont pas non plus enseignées par l’Institution. Alors je continue de me poser la question que j’ai rappelée ci-dessus.

Lorsque j’ai fait observer (commentaire n°6) que certains de nos alliés ont détruit de préférence en ex-Yougoslavie ce dont leurs entreprises pourraient obtenir le marché de reconstruction vous m’avez répondu « nous FR avons bien su jouer à ce jeu là aussi, ne faisons pas les candides ».
Si nous savons « jouer à ce jeu là aussi », c’est très bien mais la question mérite éclaircissement : en ces années où, à causes d’interprétations libres voire fantaisistes de la Constitution par le personnel politique, l’on ne sait plus très bien qui dirige notre politique étrangère et nos interventions militaires. Il serait donc intéressant de connaître la genèse des décisions qui sont prises en notre nom à tous. Même si cet aspect des choses n’intéresse pas les Parlementaires http://www.assemblee-nationale.fr/r...

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