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LA Russie, la Syrie et la politique d'influence par V. Fortat

A la suite d'un billet récent sur la Syrie, Vivien Fortat a bien voulu envoyer cette réflexion sur l'attitude russe et sa politique d'influence à partir de son siège permanent au CSNU.

source (un article de Courrier international sur le même sujet des raisons poussant Moscou à soutenir Damas)

Mille mercis à lui. O. Kempf

A l'heure où le plan Annan et le cessez le feu sont chaque jour bafoués en Syrie, la Russie continue d'opposer son véto à une intervention internationale armée. Cette posture, permise par son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU, a été largement commentée. Différentes raisons ont été avancées pour expliquer la position des représentants Russes comme la volonté de se prémunir de toute ingérence dans ses affaires internes (ex : le conflit en Tchétchénie), protéger son allié Syrien afin de préserver les intérêts Russes au Moyen-Orient (port militaire de Tartous hébergeant les navires militaires Russes patrouillant en Méditerranée ou faisant escale, client d'arme important, seul allié dans la zone) ou encore redorer l'image du régime en interne en s'affichant comme une puissance majeur (le duo Poutine-Medvedev ayant fortement joué sur le patriotisme et la restauration du prestige Russe pour détourner l'attention du grand public de certaines difficultés majeurs auxquelles le pays fait face).

Cette volonté de s'afficher comme une puissance majeure en profitant du siège permanent au conseil de sécurité, qui confère à certains de ses détenteurs un pouvoir bien supérieur à celui qui est le leur en terme économique et militaire, a pourtant été quelque peu délaissé par les analystes lorsqu'il s'agit de son aspect « international ». Hors, cette opération de signal (ou « d'influence » pour reprendre un terme à la mode) est sans doute un élément extrêmement important symbolisant la résurgence d'un jeu de pouvoir entre grands pays.

En effet, en s'opposant à une intervention de l'ONU, la Russie montre ainsi à de nombreux pays qu'elle est en mesure de les protéger face à un certain niveau d'ingérence étrangère. Certains pays en délicatesse avec avec la communauté internationale (et son membre le plus important, les États-Unis), pourraient être tentés de se mettre sous la protection Russe afin d'échapper aux sanctions internationales voulues par les membres de l'ONU. La Russie serait alors en mesure de bénéficier de nombreux avantages provenant de cette rente de situation au conseil de sécurité : soutien aux propositions Russes au sein de grandes organisations internationales (OMC, ONU, FMI, mais aussi d'autres moins évidentes comme le CIO...), accès prioritaire aux ressources naturelles, ou encore des préférences accordées aux entreprises Russes lors d'appels d'offres (armements, infrastructures, etc.).

La Chine, bien que s'opposant également historiquement à toute ingérence pour des raisons philosophiques, n'est pas en reste et commence également à développer cette stratégie d'influence au fur et à mesure que son poids dans la gouvernance et l'économie mondiale croit. La France, qui vient d'élire un nouveau président, serait bien avisée de se rappeler elle aussi des nombreuses possibilités stratégiques offertes par son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité et de mettre en place une politique audacieuse en la matière. Après avoir raté le train de la mondialisation, la France ne peut plus se permettre un nouveau décrochage qui ne manquerait pas d'affaiblir durablement son influence internationale.

Vivien Fortat , Docteur en Économie

Commentaires

1. Le jeudi 24 mai 2012, 19:00 par Midship

Si 1 - on veut que le CSNU fasse des choses, et que 2 - chacun veut son quota de choses "bloquables", va falloir en proposer des tas, des résolutions !

2. Le jeudi 24 mai 2012, 19:00 par BQ

Merci pour cet éclairage aussi intéressant qu'original!

La position chinoise démontre une fois de plus que les BICS, et autres pays déjà bien plus industrialisés que la France, ne veulent pas "tenir" leur rang à l'ancienne dans le Concert de klaxons hurlants des Nations.

Et puis, tellement utile pour les 3 autres membres permanents qui ne veulent de toute façon pas y aller! Mais le temps qui passe a sa propre action...

3. Le jeudi 24 mai 2012, 19:00 par Colin l'Hermet

Focalisation :
1) Les sanctions n'ont pas seulement vocation à être internationales et universelles : elles peuvent être unilatérales et/ou régionales. Le seul avantage d'un train de sanction universel c'est qu'il maintient - en théorie - tous les concurrents à la même interdiction et ne fausse pas la concurrence "idéale". Quand l'Europe se tire une balle dans le pied en mettant en place des sanctions qui lui font renoncer à des parts de marché-activité au bénéfice d'autres pays, les dites sanctions n'ont pas à être validées par le CSNU. A titre corollaire, on observera que leur mise en place est désormais contestée/contestable devant le juge au titre des droits de la défense. Si ce dernier phénomène est pour l'heure marginal (des individus visés par l'interdiction de voyager, initialement) il pourrait croître prochainement à la faveur de la normation toujours croissante.
En outre, il est bon de savoir que l'UE a considéré que la genèse d'un train de sanctions ONU par résol.CSNU n'est pas suffisant pour fonder une immunité juridictionnelle à leur mise en oeuvre.
Début 2012, 3/4 des recours sur l'UE concernaient désormais des sanctions autonomes visant des pays et non plus des individus.
Tout un pan jurisprudentiel est en train de s'écrire devant le juge de l'UE, et dernièrement devant la CEDH.
2) On pourrait y percevoir un glissement du centre de pouvoir hégémonique du CSNU vers une sphère de normativité.
Dans la ligne des travaux de Michel Foucault postulant le pouvoir plus comme "conduite des conduites" plus que comme exercice pur.
C'est ce que dessine M. Fortat en rappelant que le siège CSNU est une rente de positionnement en vue de rallier, convaincre, séduire. Bref chercher à inscrire des comportements chez autrui par détention d'une position stratégique. Autour des sièges CSNU, les discours et tribunes ne sont plus le reflet de rapports de domination institués, mais clairement l'émergence d'un "jeu des pouvoirs".
Dans ces conditions le blocage CSNU contribuerait sans être plus central que d'autres lieux de ces "jeux". Russie et Chine ont peut-être compris cela plus vite que nous, interrogés par la montée de l'Inde qui se positionne en puissance et les talonne, sans pour autant être ni P5 ni TNP.
Bien à vous,
CL'H

4. Le jeudi 24 mai 2012, 19:00 par Colin l'Hermet

Re-bonjour,
Sur les thèses de Michel Foucault un (grossier) condensé, pardonnez SVP. Il peut se plaquer aux thèmes d'Egea.
En particulier chap. 1, 3 et 7.

https://docs.google.com/viewer?a=v&...

Je sais, la sociologie paraît toujours fumeuse.
Mais il faut vraiment commencer à envisager nos "outils" stratégiques selon un angle différent si on veut être sur le qui-vive.
ce n'est pas de la dispersion, ce serait plutôt du réalignement.
Bien à vous,
Cl'H

égéa : réalignement  = remise dans l'axe ?

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