1/ Avec l'après-guerre froide, les sommets se sont ritualisés pour intervenir tous les dix-huit mois : grâce d'une part à la facilité des transports, mais aussi pour deux objectifs précis :
- permettre la rencontre en direct des exécutifs pour discuter des problèmes importants, afin de trancher régulièrement des dossiers qui s’enlisaient dans les arcanes diplomatiques des états-majors et des chancelleries.
- Accessoirement, il y a un effet de "diplomatie publique" pour tenir compte du nouvel environnement médiatique : montrer aux opinions publiques que l'Alliance existe et qu'elle démontre sa cohésion. Les réunions de familles, ça sert aussi (surtout) à faire des photos.
2/ Dès lors, les sommets sont des machines bien huilées, "pré-parées" : on y tranche relativement peu de choses car les négociations ont lieu en amont : la date est un moyen d'inciter les uns et les autres à transiger. Normalement, cela suffit, sauf exception : Dissensions sur une éventuelle Opération Otan en Irak (sommet d'Istanbul, 2004) ou veto grec à l'admission de la Macédoine (Bucarest, 2007).
3/ Cette année toutefois, le sommet était placé dans une triple configuration :
- d'une part, il faisait suite à un précédent sommet qui avait été important, puisque les Alliés avaient décidé à Lisbonne un nouveau concept stratégique, la défense anti-missile balistique (DAMB) et la réforme de structure. Par construction, le sommet suivant devait être un sommet de digestion. Certes, entre temps, le monde a connu les révoltes arabes, l’opération en Libye et la crise financière. Il n'en a pas trop été question à Chicago.
- la campagne présidentielle française, où le seul sujet de défense et de politique étrangère a été la question du retrait des troupes d'Afghanistan, d'autant que la campagne électorale n'a cessé de faire remarquer que le premier rendez-vous diplomatique du président élu serait à Chicago. Par curiosité mécanique, des gens qui se désintéressent en temps normal de l'Alliance se sont intéressés à ce sommet, ce qui a augmenté la couverture médiatique.
- la campagne électorale américaine, encore en cours. Chicago est la ville d'origine du président Obama, en lice pour un second mandat. Celui-ci devait donc être une réussite, y compris médiatique. Avec là encore l'attention des médias, américains cette fois.
4/ Cela justifie un battage médiatique beaucoup plus fort que d'habitude, qui tenait surtout aux circonstances plus qu'au résultat proprement dit du sommet. Le contraste entre le tintamarre et la déclaration proprement dite est d'autant plus saisissant, et explique la déception d'un certain nombre de commentaires, sur l'air de "tout ça pour ça?".
5/ Ajoutez que les deux "héros" du jour, F. Hollande et B. Obama, ne pouvaient se permettre le moindre impair : le premier en confirmant ses engagements de campagne, et notamment celui touchant au "retrait des troupes combattantes avant 2012" ; le second en aboutissant à un résultat déminé, où tout défaut était rigoureusement banni pour éviter qu'il soit transformé en argument de campagne par l'équipe de Mitt Romney. D’ailleurs, si j'en crois ce que j'entends, la campagne américaine est vite passée à autre chose.
Toutes ces raisons expliquent le contraste entre une déclaration assez lisse et le show assez brillant. Toutefois, le sommet n'est pas aussi insignifiant qu'il y paraît, car il emporte quelques options qui ne sont pas négligeables, même s'il faut les lire entre les lignes, ainsi que le suggère excellemment Vivien Pertusot. J'y reviendrai dans de prochains billets.
(à suivre) NB : Ce billet n'engage que son auteur et en aucune façon l'une quelconque des institutions pour lesquelles il travaille.
O. Kempf
1 De bertrand -
Mon commentaire n'est pas directement en rapport avec ce post, bien qu'il puisse, entre autres, s'appliquer à la réflexion sur le rôle civilo-militaire voulu par les initiatives "sécuritaires" de type OTAN ou PSDC...
Puisque l'on reparle en ce moment (avec le nouveau "management normal" du président "normal") du partage de responsabilités et d'attributions entre PR et PM en matière de "Défense nationale et forces armées" (article 5 et 15 contre article 21), ou de ré-articulation du couple "sécurité/défense" dans le cade de la révision du LB, j'ai retrouvé un texte très intéressant publié dans la Revue Droit & Défense, n° 94/4, octobre 1994 (retour vers le futur? juste avant dernière mandature socialiste avec ou sans cohab...), pp. 11-20.
L'auteur, B. Warusfel,rappelle pourquoi la "révolution" conceptuelle apportée en la matière par la constitution de 58 et l'ordonnance de 59 n'a pas abouti, et présente une étude des notions de "sécurité" et de "défense", accompagnée de modalités de transition, inversion ou translation "interne/externe" ou "civil/militaire". Ce papier me parait très utile à la réflexion actuelle, à maints égards. En particulier : la fin du premier paragraphe en page 7, écrit 7 ans avant le 11/09/01, Guantanamo, assassinats ciblés, etc. Je trouve aussi qu'il y a une certaine bijectivité amusante dans ce papier : il critique l'articulation défense/sécurité du LB de 94, annonçant le LB de 2008, mais je suis persuadé que d'aucuns arriveraient à exploiter cette étude dans l'autre sens, pour justifier une modification de la rhétorique LB08... Amusant aussi (si l'on considère les affaires récentes de perquisitions dans des locaux protégés SD) la révision du code pénal en 1992, élargissant la notion de SD... le Garde des Sceaux d'alors étant de gauche (M. Vauzelle).
Désolé, j'ai écrit ce commentaire un peu vite, vous comprendrez mieux en lisant ledit papier ici : www.droit.univ-paris5.fr/warusfel/articles/SecuDef_warusfel94.pdf