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Bahrein, Irak, pétrole et successions

J'écoutais hier sur France Inter "Conversations avec M X". Sujet du jour : le Bahreïn. Cela nous renvoie à l'article du Monde d'avant-hier, et à l'articulation entre le clivage religieux (sunnite contre chiite), le clivage linguistique (arabe contre perse) et le clivage économique (pétrole contre économie)... Développons.

source

1/ Que disait Monsieur X ?

  • qu'après avoir lancé une nouvelle constitution en 2002, le roi Hamad Al Khalifa est en fait revenu assez rapidement sur cette initiative. Et qu'alors qu' au printemps 2011 les principales oppositions portaient sur des questions d'inégalité, le pouvoir a joué assez rapidement la confessionnalisation du conflit, jouant une majorité sunnite contre une minorité chiite. C'est d'ailleurs la lecture que nous avons tous eue de la révolte qui s'est déroulée, et qui a été matée manu militari.
  • que les ressources de l'émirat tiennent de moins en moins au pétrole (production de 200. 000 barils par jour) mais de plus en plus à des institutions financières, dites de finance islamique.
  • que l'Arabie Saoudite regarde de très près ce qui se passe dans le royaume, au moyen notamment du premier ministre Khalifa ben Salman Al Khalifa, vrai titulaire du pouvoir; ce qui expliquerait d'ailleurs l'intervention armée saoudienne.

2/ Voici donc l'internationalisation du conflit mise en place. C'était au moment des révoltes arabes, mais chacun a interprété ce qui se passait à l'aune de la rivalité entre chiites et sunnites, et a fait attention à la grande rivalité entre l'Arabie et l'Iran. Moi le premier, d'ailleurs. Or, il semble ben que l'Iran a été très discret, et que les chiites barheinis regardent surtout du côté de l'Ayatollah Sistani, qui est certes chiite, mais irakien, donc arabe.

3/ Ainsi, ce n'est pas seulement une histoire de pétrole, ni même une histoire de rivalité religieuse intra-islamique, le troisième facteur géopolitique (la langue et, par extension, l'ethnie) jouant à plein.

4/ Du coup, il faut lire un peu différemment les deux nouvelles du week-end. La première est pétrolière : l'Irak a retrouvé quasiment ses niveaux de production d'avant-guerre à 3M de barils par jour (voir ici). Surtout, compte-tenu de ses réserves, il peut monter assez rapidement à 6 millions voire à 9 ou 10 : autant que la production saoudienne. Autrement dit, il y a une possibilité d'alternative au bloc saoudien qui constituait la principale garantie du royaume. Si, bien sûr, les Irakiens arrivent à dominer leurs déchirements sur le partage des revenus pétroliers entre chiites, sunnites et kurdes.

5/ L'autre nouvelle tient au décès du prince hériter saoudien, le prince Nayef (voir ici). Il fut en effet l'homme de la lute contre Al Qaida, mais aussi de l'intervention au Bahrein.... Mais surtout, c'est tout la question de la succession dynastique qui va se poser, puisque le roi actuel Abdallah a plus de 80 ans et a du mal à gouverner. Or, son successeur sera-t-il encore un fils direct du fondateur de la dynastie moderne, Abdel Aziz Al-Saoud (voir ici).

6/ Après les révoltes arabes, on va peut-être avoir une révolution arabe de palais.... Ce qui justifierait l'idée émise par plusieurs analystes : celle d'une la bascule d’alliance des États-Unis, qui abandonneraient des Saoudiens trop dangereux (et Wahhabites, donc finançant les extrémistes de la région) pour s'appuyer sur des Iraniens et leurs relais chiites.

Ce scénario est aujourd'hui très hypothétique : mais force est de convenir que les pièces bougent beaucoup et que la situation paraît aujourd'hui très fluide et mouvante... Prolonger les vieilles tendances n'est peut-être pas la bonne stratégie. Attendons nous à être surpris.

NB : la semaine prochaine, M. X parlera du Qatar : mais ça, je vous en ai déjà parlé (ici et ici).

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 17 juin 2012, 19:01 par Expert multicarte

Anonyme par timidité du fait que je ne suis pas compétent sur le sujet traité, je me permets cependant de ne pas vraiment suivre « l’idée émise par plusieurs analystes, celle d’une bascule d’alliance des Etats-Unis (…) pour s’appuyer sur des Iraniens et leurs relais chiites ». C’est très hypothétique, comme vous le dites.

D’après ce que j’entends dire au Café du Commerce, le nucléaire iranien inquiète beaucoup de gens et inquiète Israël en premier lieu, aux premières loges et passé en un demi-siècle de « peuple sûr de lui et dominateur » à peuple parano. Une telle bascule d’alliance des Etats-Unis signifierait qu’ils lâchent Israël, ce qui ne calmerait pas la paranoïa de celui-ci et rendrait la situation dans la région beaucoup plus dangereuse qu’elle n’a jamais été.

égéa : il peut y avoir une bascule du bloc US Israël, non ? quant à l'opposition Israël Iran sur le nucléaire, il y a une part de comédie...

2. Le dimanche 17 juin 2012, 19:01 par HBT

L'échiquier bouge aussi du côté de l'OPEP et de sa gouvernance, donc des implications sur l'économie mondiale. Le basculement vers l'Iran est-il sérieux pour les US alors que va se jouer une triangulaire Arabie Saoudite/Irak/Vénézuela (à qui ont a attribué cette semaine des réserves officielles plus grandes que l'AS) ?
Le basculement vers l'Iran favoriserait un rapprochement avec le Vénézuela (et Chavez n'est pas éternel), mais contribuerait à éloigner les US de quelques soutiens arabes durement acquis. Leurs intérêts en Irak sont trop forts pour jouer de la rivalité entre les deux pays.
Je ne trouve pas l'hypothèse donc très réaliste à moyen terme. Il faudrait une "surprise" dans la gouvernance de l'Irak, qui passerait à un gouvernement chiite proche de l'Iran, pour que cela s'envisage au delà de l'hypothèse de travail.
Mais vous l'avez suffisamment écrit, les surprises stratégiques arrivent tout le temps !

3. Le dimanche 17 juin 2012, 19:01 par oodbae

a moi, le rapprochement entre les USA et l'Iran ne me paraît pas improbable ne serait-ce que parce que cela ennuierait encore les russes, et même la Chine, et rien que cela justifierait ce retournement d'alliance aux yeux de ces nostalgiques de la guerre froide. Ils l'ont déjà fait jusqu'en 1979 en soutenant les islamistes de Khameinei pour garder un pied dans le pays, sentant les communistes entretenir l'agitation contre le Shah. Avec en plus leurs soucis pour stabiliser l'Irak et l'Afghanistan, ils ont tout intérêt à bâtir une alliance avec l'Iran.

4. Le dimanche 17 juin 2012, 19:01 par Colin l'Hermet

Bonsoir Docteur Kempf,

Personnellement :
scénario très hypothétique :

1) plutôt proche de la recherche forcenée des fameuses "ruptures stratégiques" si glorieuses dans les salons parisiens.
[je sais que ce n'est nullement cela qui vous guide, il ne s'agit donc pas d'une attaque ad hominem , mais il convient de se défier des pièges de la prospective en vue de jouer les Cassandre]

2) l’alliance avec "les chiites" (terme à définir, de Kerbala à Qom, on s'observe, on diverge, on disside) revient à s’opposer :
a) démographiquement aux sunnites (niveau peuples)
et b) en terme de Relations internationales (niveau gouvernements et méta-instances de pouvoir-puissance dont ONU, OCI, etc) à des ensembles où la confessionalité a été un facteur historique d'agrégation-intégration au moment des "nationalismes arabes" baa'thismes et autres socialismes soit-disant non alignés ; sur lesquelles agrégations ont été superposées d'autres alliances plus régionales (OTASE, ASEAN, etc, peut-on imaginer les USA faire volte-face à l'Indonésie ou leur expliquer que sunnisme et chiisme sont solubles dans le business ?)
[vous mentionniez la finance islamique, le dogme et le business ne sont pas si miscibles, il y a un cadre très rigide qui repose sur le Dogme, justement]

3) quels liens de confiance mutuelle peuvent exister ou se développer afin de poser une alliance entre un Irak aujourd'hui dévasté et "occupé" et son "futur ami" US ?
a) Si le lien est gouvernemental (élitiste) il se coupe de la base populaire. Pour qui est venu en promettant la Démocratie pour feuille de route, la défaite est cruelle. (Mais la vie est pleine de petits renoncements, hein ?)
S'il est d'assise populaire il est perdu d'avance de le rêver, en raison du niveau de détestation envers les "envahisseurs" et leurs drones tueurs dont le maintien donne le sentiment aux populations d'attiser le feu de la guerre et du terrorisme intérieur intra-religieux [je tiens à rappeler que les 1eres victimes, en nombre à plusieurs rangs, sont avant tout locales dans une logique de jeu indirect entre factions ou religieuses ou géo-implantées].
b) Commentaire désabusé : c'est justement toute la problématique... de la démocratie représentative !!! et de la légitimité des orientations d'un gouvernement au nom de sa population !
Si on s'essayait à une telle recherche de recomposition-reconfiguration, on pourra voir si l'Irak passe effectivement l'épreuve de la Démocratie.

4) conclusion du pt3b) dont je doute fondamentalement.
La voie de l'élitisme, et de la confiscation du pouvoir du peuple qui, lui, en est habitué (coutumier oserai-je dire), pourrait tenir si les alliés des USA avaient les moyens de ce pouvoir (i.e. les taleban et les seigneurs de la guerre hyper-localisés).
Or ce même émiettement-atomisation des détenteurs des "fragments de la couronne" ne permettra pas de voir émerger un "primus inter pares" avec lequel et sur lequel construire une alliance internationale. Car :
a) nous avons discrédité comme fripouilles tous ceux qui pouvaient à une époque tenir ce rôle ;
et b) comme explicité supra il n'y aura pas de nation à sa base.
En tout cas, pas dans un délai suffisamment court (cf nos calendriers de désengagement et de formation des institutions irakiennes) pour être synchrone avec les turbulences qui agiteront l'Arabie saoudite sous 4-6 ans.

Mais bien sûr :
i) votre hypothèse audacieuse est plus que bienvenue, elle est salutaire ;
ii) notamment parce qu'il ne faut s'interdire aucune hypothèse de prospective, c'est une hygiène de vie qu'il faut savoir maintenir ;
iii) car en explorant certains de ses pans, on voit bien apparaître quelques lignes fortes, dont les impossibilités que je souhaitais esquisser ici ;
iv) cette esquisse est toute limitée par la maigreur de ma conception subjective du monde et de ses rapports de force, mais j'avais cette conviction et je souhaitais vous la soumettre.

Bien à vous,
Cl'H

égéa : égéa est un blog où je dis des âneries intelligentes : il est donc tout à fait pertinent de les critiquer.... ça fait progresser Buridan

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