Raisons et moyens de la perpétuation de l’Otan après la disparition des causes ayant présidé à sa constitution (1990-2010)
(pour mémoire... : quelques centaines de pages, bien sûr passionnantes mais dont vous pouvez vous passer)
Finalement, la transformation de l’Alliance a été une réussite : c’est parce qu’elle a su radicalement évoluer qu’elle demeure encore aujourd’hui au cœur de l’équation de sécurité euro-atlantique. Qu’il s’agisse de ses structures, de ses élargissements, de ses partenariats ou de ses opérations, l’Alliance n’a cessé d’innover pour aller parcourir de nouveaux champs et s’adapter sans cesse à une situation elle-même très changeante. Il faut d’abord constater cette plasticité, qui est au sens propre remarquable.
Pourtant, à cause justement de cette réussite, l’alliance est en déclin. C’est parce qu’elle a su répondre à toutes les difficultés qu’elle a de moins en moins de raison d’être. L’Amérique considère que l’Europe n’est plus ni un problème, ni une solution. Dès lors, elle a tendance à négliger l’Alliance qui lui est de bien moins grande utilité. Quant à l’Europe, elle ne ressent plus de réels problèmes de sécurité. Ainsi, les fondamentaux plaident en faveur d’un lent déclin de l’Otan, même si les aspects politiques (l’Alliance) persisteront.
L’Alliance, malgré son déclin, durera, et tout d’abord à cause du phénomène de l’émergence. J’ai montré par ailleurs que ce phénomène était une convergence économique, mais certainement pas une convergence politique. Au fond, nous ne sommes ni dans un monde unipolaire ni multipolaire, mais dans un monde apolaire. Nous voici revenu à l’âge hobbesien du chaos, simultanément à une lecture westphalienne (les nouvelles puissances affirment leur souveraineté) et à une réalité déjà post-westphalienne.
Dans cette mutation radicale où les institutions peinent à répondre aux défis (crise financière, crise écologique, crise sociale, crise politique), à l’heure où la réponse américaine est celle du « pivot » (qu’il faut traduire par basculement de l’Atlantique vers le Pacifique), pourquoi garderait-on l’Alliance ? A cause de ses valeurs. J’ai montré par ailleurs que ces valeurs « occidentales » étaient finalement ce qui réunit encore les Alliés. Même s’ils n’en ont pas une claire perception, ils sont vus par « le reste du monde » comme « l’Ouest » ou « l’Occident ». Ce mélange de libéralisme, de technologie, d’héritage gréco-romain, de démocratie et surtout d’esprit critique, voilà ce qui fonde « l’occident ». L’Alliance est le lieu résiduel de l’Occident, et elle demeurera pour l’incarner, tant que cet Occident sera utile en tant que catégorie.
***
J’ai longtemps pensé que l’Alliance était lampédusène : Lampedusa est en effet l’auteur italien du roman « Le Guépard », qui fait dire à un de ses héros, aristocrate sicilien confronté à la révolution garibaldienne : « il faut que tout change pour que rien ne change ». Autrement dit, les formes peuvent muter, les structures persistent. C’était au fond la stratégie de l’Alliance, qui a choisi le mouvement comme réponse et adaptation au mouvement environnant. Mais il s’agit probablement d’une illusion. Tout a changé et donc, finalement, quelque chose a changé. L’Alliance n’est plus aussi évidente qu’elle l’a été. Elle donne le sentiment d’être inadaptée. Pas forcément dans ses modalités que dans sa spécialisation, qui est militaire.
Elle subit le contrecoup de la dévaluation de l’outil militaire, à cause de phénomènes concourants : la dissuasion nucléaire, les guerres irrégulières, le bouleversement enfin de la conflictualité dû à la planétisation qui est resserrement du monde, mondialisation économique et enveloppement du cyberespace. Si la conflictualité demeure, les canons de la puissance ont changé : il s’agit ici de désigner aussi bien les normes que les armes.
Dans un monde post-westphalien, la justification de l’Etat qui était la sécurité perd de sa pertinence. Il n’y a plus d’ennemi, plus de guerre, moins d’Etat, moins d’alliance. La déflation militaire entraîne la dévaluation de l’Alliance. Aucune des trois raisons de l’Alliance ne demeure vraiment valide (to keep the Germans down, the Russians out and the Americans in). Les Allemands sont tellement « soumis » (down) qu’ils ne veulent plus lire le vocabulaire traditionnel de la puissance. Les Russes sont tellement « exclus » (out) qu’ils ne constituent plus une menace ; quant aux Américains, ils n’ont plus réellement envie d’être « inclus » (in).
Est-ce si grave ? L’Alliance va encore se perpétuer, quelques années ou quelques décennies, sous le format d’une boite à outil dont on se sert à l’occasion. C’est une institution, et on ne se débarrasse pas des institutions sans hésitation ni prudence. Il faut être sûr qu’elles ne sont plus utiles. Le Saint empire romain germanique aura duré mille ans avant que Napoléon n’affirme tout haut ce que chacun savait : il ne servait plus à rien, coquille morte à l’heure de l’affirmation de l’ordre westphalien et de l’invention politique de la Nation. L’Alliance aura le même destin, même si cela prendra un peu moins de temps.
Mais il faut attendre encore un peu : n’est pas Napoléon qui veut.
O. Kempf
(désormais docteur en sciences politiques)
1 De -
Félicitations !
2 De -
Félicitations!
3 De -
Toutes mes félicitations docteur !
Bonne continuation.
4 De moi -
Félicitations!vous allez pouvoir vous consacrez plus pour ce blog?
égéa : Merci. Et pourquoi ? vous trouvez que je n'en fais pas assez ?
5 De Jean-Luc Cotard -
Félicitations!
Gradé... Vas-tu upgrader?
égéa : lol ^^^^
6 De yves cadiou -
Vous avez donc droit au port de la toge à trois rangs d’hermine.
J’ai appris la nouvelle ce matin, ouvrant mon ordinateur avant d’aller prendre le café à la terrasse d’un des bistrots qui bordent l’Erdre en bas de chez moi.
L’Erdre, c’est cet affluent de la Loire qui forme le début du canal de Nantes à Brest, un de ces endroits où l’on peut se demander si l’on est en France ou en Bretagne, comme s’il fallait choisir. Ces bistrots en rive, on peut les qualifier de ripicoles. L’on est en centre-ville mais on voit passer au-dessus de l’Erdre toutes sortes d’oiseaux qui sont plutôt campagnards et viennent faire un tour par ici, profitant du boulevard tranquille que forme pour eux la rivière. C’est là que j’ai fait connaissance, il y a quelque temps, d’un héron dont je vous ai parlé après l’avoir interviewé sur sa stratégie à long terme.
Ce matin, encore tout heureux de la nouvelle que mon ordinateur venait de m’apporter, je dis à mon héron stratège : « tu te rends compte ? Olivier Kempf est docteur ! »
Il a d’abord fait mine de n’avoir pas entendu. J’insiste : « tu n’as pas entendu ce que je t’ai dit ? Olivier Kempf est docteur !
----- Si, j’ai entendu mais je réfléchis : Olivier Kempf, c’est le gars qui voulait savoir si j’ai une stratégie à long terme, pourquoi je pêche des grenouilles, tout ça ?
----- Oui, mais tu ne réfléchis pas bien vite. Pourtant, dans ton très petit cerveau de héron, les idées ne devraient pas se perdre en chemin.
----- Ne fais pas trop le malin, s’il te plaît : avec ton gros cerveau, tu n’es même pas capable de faire ce que je fais.
----- C’est vrai : l’autre jour je t’ai vu faire un départ en vrille et stopper ta chute juste avant de toucher l’eau pour attraper une proie, je reconnais que c’était habile.
----- Je sais faire ça depuis longtemps, depuis beaucoup plus longtemps que tes aviateurs. Tu disais quoi, déjà : qu’Olivier Kempf est docteur ?
----- Oui. Tu as enfin compris. Mais laisse-moi observer que tu y as mis le temps.
----- Bon alors, ton docteur, tu pourras lui demander si c’est grave : depuis hier, j’ai une légère douleur à une rémige, ici à tribord.
----- Mais non.
----- Quoi « non » ?
----- Deux fois non : 1 non, ce n’est pas grave (ne me dis pas que tu es une poule mouillée) et 2 non : Olivier Kempf est docteur en sciences politiques, pas en bobologie pour hérons.
----- Sciences politiques ? C’est donc pour ça qu’il voulait connaître ma stratégie ?
----- Oui, c’est pour ça. Je suis sûr que tu l’as beaucoup aidé. »
Il fait le modeste : « mais non, héhé…, je n’y suis pour rien… » S’il pouvait, il rougirait.
J’insiste parce que ça m’amuse de l’intimider. Si vous n’avez jamais vu un héron intimidé, essayez : c’est marrant. Lui qui est toujours collet-monté, il ne sait plus quoi faire de son cou. « Si, si : tu l’as beaucoup aidé. D’ailleurs il me l’a dit lui-même et aussi il a demandé si tu es Breton ou Français. »
C’est là que j’ai vu qu’un héron ne sait pas hausser les épaules. « Ton Olivier Kempf, il pose des questions trop difficiles. Alors que la vie est si simple. » Il s’éloigne de son pas lent et précautionneux, le cou déplié, observant le monde de son air hautain.
Il ajoute : « ton docteur en sciences politiques, il devrait faire de la politique. Tu m’as tellement dit que vos décideurs politiques sont trop souvent des incompétents, ça changerait. »
Je ne réponds rien mais je pense qu’il a bien raison.
égéa : j'ai une grave question : "pourquoi?" (même si je connais la réponse : "parce que"). Mes amitiés à votre héron qui a du jugement et qui surtout sait éviter de répondre à la bête question de l'identité franco-bretonne: c'est un sage. D'ailleurs, il ne fait pas de politique, ce qui en est le signe le plus évident.
7 De oodbae -
félicitations
8 De BQ -
Omedeto gozaïmassu!
9 De emke -
Pour parler doctement d'un doc' docteur ...
il fallait au moins Molière ou encore La Fontaine,
je lis là, une Fable fort séduisante,
qui de la stratégie et d'un de ses maîtres sait en des termes élégants révéler et le verbe et l'esprit !
Félicitations à celui qui sait dans son sillage attirer de si précieux témoignages !
Emke
10 De -
Toutes mes félicitations, docteur.
S'il ne devait persister qu'un motif à pérenniser la structure militaire de l'Alliance atlantique ce serait celui de la contrainte qu'elle fait peser sur ses membres à maintenir un haut niveau d'interopérabilité et de préparation.
On a pu mesurer le saut qualitatif du niveau tactique des forces françaises avant et après réintégration. La vieille armée d'Afrique est morte en vallée d'Uzbin.
S'il en fallait un second (on n'ira pas à trois... rassurez-vous) c'est que l'OTAN-outil fait peur hors de l'Alliance. On lui prête les pires turpitudes et les pires intentions, et cela est un très bon retour de préparation à la guerre. La défense commence par la peur qu'on suscite. Lyautey le disait autrement.
Bref ! Bravo !
C.
11 De JFDM -
Votre billet d’hier m’a permis de savoir que votre carte de visite s’est alourdie d’un titre, ce dont je vous félicite chaleureusement. Parmi les docteurs en médecine, il y a ceux qui font du préventif, et d’autres plutôt du curatif. Dans votre matière, il s’agit autant de forcer les esprits à ne pas s’ankyloser (préventif) que de chercher à comprendre les phénomènes a posteriori (curatif, pour en tirer les enseignements). Vous êtes donc à la poignée de l’éventail, je vous transmets tous mes encouragements pour y rester.
12 De BR -
Félicitations, docteur, pour cette reconnaissance universitaire qui sanctionne votre travail, votre créativité et votre persévérance !
13 De Hubac -
BRAVO !!!
14 De Colin l'Hermet -
"S'il ne devait persister qu'un motif à pérenniser la structure militaire de l'Alliance atlantique ce serait" celui... de faire phosphorer jusqu'au doctorat les esprits les plus curieux et les moins renonçants.
Félicitations à vous !
Cl'H
15 De panou -
Bravo et surtout bonne continuation tant les sciences politiques tendent vers l'infini où les paralléles se rencontrent
16 De -
1. Suite du n°6, réponse à la question « pourquoi ? ».
Effectivement « parce que », mais je ne m’arrête pas là : c’est à cause du « syndrome BHL » dont parlait Colin l’Hermet à la suite de votre billet du 16 juin « stratégie incertaine ». Son commentaire est à relire, il répondait par avance à votre « pourquoi » : http://www.egeablog.net/dotclear/in...
2. Ceci nous amène fort logiquement au commentaire n°10 « catoneo », où l’on trouve une affirmation intéressante qui demande à être explicitée par son auteur : « la vieille armée d'Afrique est morte en vallée d'Uzbin ».
Je crains que ce ne soit qu’une formule formulatoire, pour le plaisir des mots parce que, voulant en savoir plus, j’ai suivi le lien qui est en hypertexte dans la signature de ce commentaire n°10. Là, j’ai trouvé un blog qui traite de toutes sortes de sujets. Peut-être ma connaissance de la langue française est-elle insuffisante, c’est possible : j’ai eu l’impression que derrière le verbiage il y avait peu de concept.
Mais lorsqu’on parle d’une « vieille armée d’Afrique » qui serait « morte » (on précise le lieu mais pas l’heure, ce qui est pourtant la règle pour un constat de décès), j’aimerais savoir de qui l’on parle parce que Bazeilles n’est pas en Afrique et j’aimerais savoir ce qu’on entend par « morte ». Notre armée évolue, elle a toujours évolué, trop souvent dans la douleur à cause de l’imprévision politique.
L’armée dont catoneo (n°10) semble vouloir nous parler a évolué et ce n’est pas nouveau : elle évoluait déjà en Yougoslavie. La bataille du pont de Vrbanja à Sarajevo en mai 1995 n’avait rien de commun avec ce qui s’était fait en Afrique. Pourtant la compagnie qui accomplissait ce fait d’armes improvisé à Sarajevo rentrait juste du Rwanda.
Il est probable qu’en ce moment nous assistons à une nouvelle mutation de notre armée. Est-ce à cause de notre réintégration dans l’OTAN, je ne le crois pas : nous étions déjà en Afghanistan sans être dans l’OTAN et nous continuerons d’évoluer avec ou sans l’OTAN comme nous l’avons toujours fait. Il est possible que certaines armées des pays membres de l’OTAN, pays guère mieux pourvus que nous en personnel politique mais armées plus enclines à la routine, aient besoin de l’émulation otanienne pour évoluer. Quant à nous, nous n’avons pas besoin d’être stimulés car nous ne savons faire que ça : évoluer. J’ai moi-même, et c’est pourquoi la question m’intéresse, été pendant un court instant en première ligne de l’une de ces évolutions. Depuis un demi-siècle, pour ne pas remonter au-delà de la V° République, nous n’avons pas arrêté d’évoluer au point qu’aucun de nos services publics ne peut se flatter d’une telle capacité d’adaptation.
Alors « la vieille armée d'Afrique est morte en vallée d'Uzbin », qu’est-ce à dire ?
17 De florimond -
Bien joué ! Dites, Dr Kempf, à quand un livre sur un sujet d'opinion de géopolitique, si possible, hors Otan et hors cyberespace même si c'est passionnant ? Votre regard interessera pour sûr le grand public ! Encore bravo.
égéa : une surprise prévue à la rentrée...
18 De JH -
Félicitations !
19 De ThomasAu -
Voil une bien belle nouvelle !
Felicitation !
Que voulez-vous faire maintenant ?
Continuer sur cette voie ? Se diriger vers autre chose ?
En tous cas une chose est sur, c'est que vous allez continuer de poster vos precieux billets car dans le cas contraire, nous vous en voudrions !
20 De Midship -
mes félicitations !
21 De Hans De Marie -
Félicitations Dr Kempf. Bonne continuation!!!
égéa : merci. Le numéro vient de paraître, félicitations à vous aussi....