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L'Europe entre division et rétrécissement

La division ou plutôt le rétrécissement, semble désormais l’horizon de la survie européenne.

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Constatons tout d’abord qu’elle signifie l’abandon de la ligne stratégique d’élargissement, qui avait orienté l’Union au long des années 2000. On discutait à n’en plus finir du choix entre élargissement et approfondissement. Mais la nécessaire réunification européenne, et la concurrence de l’Otan (qui élargissait à tout va) avaient eu raison des prudences. On s’était retrouvé en 2007 sur les bords de la mer Noire tout en cherchant à surmonter l’échec du référendum sur le traité constitutionnel en 2005. L’arrêt des élargissements s’était focalisé sur le cas turc. Et si on admet des élargissements mineurs (la Croatie ou l’Islande), nul n’imagine d’accueillir aujourd’hui un grand pays.

Toutefois, ...

Toutefois, on pensait à un effet cliquet : bloquer le mécanisme là où il était, temporairement, et instaurer un statu-quo pendant quelque temps, le temps de régler deux ou trois détails techniques, à la faveur des circonstances, avant de passer à une nouvelle étape. Le traité avait même évoqué le moyen de cet approfondissement : il s’agissait des coopérations renforcées, moyen juridique de permettre à un groupe moteur de pays d’avancer.

Las ! Quand on n’avance pas, on recule, la loi est d’airain. Et comme les coopérations renforcées, permises par le traité de Lisbonne adopté en 2008, n’ont pas été mises en œuvre, on assiste à une sorte de dégradation. Car le traité de Lisbonne a été adopté en même temps qu’éclatait la crise systémique de la dérégulation. Alors que l’Europe avait été bâtie sur l’économie (les vingt-cinq premières années, de 1957 à 1986) ce principe étant ensuite renforcé par la dérégulation (de 1986 à aujourd’hui), elle était prise à rebours de sa logique interne : on appelait les Etats au secours pour résoudre la crise des banques, et chacun s’apercevait que les banquiers et les financiers étaient incapables de se réguler, et que le « libre marché » était une illusion.

Ses adversaires disent de l’euro qu’il était aussi une illusion. Mettons que c’est une croyance, ce qui n’est pas illogique en matière monétaire : les créances, comme les croyances, fondent les monnaies, dont les plus « physiques » (billets de banque et pièces de monnaies) sont dites « fiduciaires », au sens premier « objets de foi ». Toujours est-il qu’il reste aujourd’hui à sauver l’euro, car on n’a pas vraiment de créance/croyance de remplacement. Cela passe par les parties prenantes, celles qui font partie du club, c’est-à-dire les 17, voire les seize si la Grèce sort, ce qui est tout à fait possible. Somme toute, 17 sont moins que 27 ou 28, et voici une Europe qui se divise pour se sauver, pas mécontente peut-être d’éloigner, si l’on s’en tient aux critères démocratiques les plus admis, des pays soudainement « douteux » comme la Hongrie (question des minorités et de la liberté de la presse) ou récemment la Roumanie (destitution juridiquement discutable du président de la République).

Après l’élargissement, donc, le rapetissement. Parce que plus petit, c’est plus gérable. La division comme planche de salut.

Mais cela suppose quelque chose qui n’est pas assuré : que les seize ou dix-sept élus réussiront (ce qui n’est pas assuré) et qu’ils continueront d’avoir des relations « normales » (adjectif en vogue) avec les autres. Attardons nous sur ce deuxième point, puisque les autres commentateurs dissertent surtout du premier. Quelles relations cette UE résiduelle entretiendra avec l’Union ? Cette question, les Britanniques la posent déjà. David Cameron ne cesse de planter des banderilles. Il l’a fait lors du sommet de décembre dernier où il s’est retrouvé à sa grande surprise isolé. Il ne cesse depuis d’asticoter les Français, refusant au printemps de recevoir le favori de l’élection, ou formulant des déclarations aigres-douces à l’occasion de tous les sommets, du G8 en mai au sommet franco-britannique la semaine dernière.

Il y a plusieurs raisons à cette aigreur : elles sont pour la plupart intérieures, à cause tout d’abord d’un équilibre politique délicat, puisque sa majorité tory pousse à rompre avec l’UE et promeut un référendum sur la question d’ici deux ans. Il est très possible que les Britanniques voteraient pour une sortie de l’UE. La City et les milieux d’affaires n’y sont pas très favorables, même si elles sont très opposées à une taxe européenne sur les transactions financières. Mais l’esprit politique domine, surtout en ces temps de récession, et il faut bien trouver un bouc émissaire à la rigueur du moment, et au déclassement britannique qui est aveuglant.

Cet esprit de division peut aller fractalement encore plus loin, car il pourrait y avoir la même année deux référendums : l’un britannique pour sortir de l’UE, l’un écossais pour sortir du Royaume-Uni (et qui sait, rester en UE, dans une sorte de nouvelle Auld alliance)… On ne parle pas encore d’un mouvement indépendantiste des Shetlands, car les moutons ne valent pas si cher, mais on peut imaginer celui des Islays, qui trouverait à coup sûr de fervents supporters à travers le monde, à la gloire de la tourbe et du pur malt.

Ainsi, par une sorte d’ironie de l’histoire, ce serait la Grande-Bretagne qui, championne du plus grand élargissement, sortirait elle-même de l’UE lorsque celle-ci se rétrécissait, pour cause de survie. On en viendrait donc à une Europe carolingienne, une Europe à plusieurs vitesses avec un centre et des périphéries. Le centre travaillerait à l’approfondissement, puis intégrerait ultérieurement les marges lorsque celles-ci seraient prêtes…. A supposer qu’elles le veuillent.

Olivier Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 15 juillet 2012, 22:18 par yves cadiou

En 2005, le referendum ne fut pas exactement un échec : donner la parole directement au Peuple ne peut pas être un échec. Je dis bien « la parole directement au Peuple », sans y inclure tous les cas où l’on parle abusivement à sa place : assemblée dite « représentative » qui vote une loi avec 97% d’absents, instituts de sondages (voir à ce sujet les travaux d’Alain Garrigou), presse, traité de Lisbonne.
Le referendum de 2005 n’a pas été un échec mais a été ressenti comme un échec par l’ensemble de la classe politico-médiatique, l’aristocratie du Régime, qui espérait un autre résultat. Au contraire ce referendum de 2005 a remis les pendules à l’heure, c’est positif : comme vous le disiez récemment, « il faut revenir aux fondamentaux ».

Il y a cinquante ans, l’Europe était une belle idée, à la fois sentimentale et économiquement viable : la France, libérée de ses colonies, prenait ce qu’il y avait eu de bon dans la IV° République et jetait le reste. L’Allemagne de l’ouest savait enfin ce que signifiait « République » et se reconstruisait avec efficacité. A ces deux ennemis réconciliés s’associaient des entités industrieuses : le Benelux, l’Italie du nord. L’Italie du sud fournirait la main d’œuvre dont les précités avaient besoin, le problème n’étant pas le chômage mais le manque de main d’œuvre. L’autre problème qu’il fallait résoudre à l’époque, on l’oublie trop souvent, était de s’organiser afin de produire assez de nourriture pour tous les habitants de cette Europe des Six : à la fin des années cinquante, la malnutrition (je ne dis pas la malbouffe, qui est plutôt un problème de riches) était une réalité dans les grandes villes.

L'Europe des Six était un ensemble restreint et cohérent, y compris culturellement cohérent parce qu’il correspondait à peu près aux 150 départements de la France de 1812 sur des territoires qui, après avoir fait bon accueil à Napoléon et aux idéaux de la Révolution française, avaient gardé quelques principes administratifs napoléoniens.

Cette Europe, vous la qualifiez volontiers de « carolingienne » mais Charlemagne est un peu trop loin et il a surtout le défaut d’être une référence reprise à un mauvais moment par la 33. Waffen-Grenadier-Division der SS „Charlemagne“ (französische Nr. 1), dite Division Charlemagne.

Quant à ma référence de 1812, elle a le défaut de pouvoir déplaire aux Allemands mais elle présente l’avantage de déplaire sûrement aux Britanniques. Ce n’est pas le cas de la lointaine référence carolingienne dont ils se moquent un peu d’être exclus. Mais disons carolingienne si vous voulez : nous sommes ici chez vous, n’est-ce pas.


L’Europe des Six, de 1958 à 1972, était destinée à aller vers toujours plus d’intégration, notamment sociale et fiscale puis plus tard peut-être, quand le moment serait venu avec une intégration financière suffisante qui serait possible dans un ensemble restreint et cohérent, vers une monnaie unique.

Puis la belle idée a dégénéré sous l’effet d’élargissements successifs, tous opérés pour des motifs idéologiques : souvent sous prétexte de soutenir l’accession à la démocratie représentative, il s’agissait surtout de créer une large zone de libre-échange très ouverte aux importations du monde extérieur, telle que voulue par les Britanniques initiateurs de l’AELE, zone où la concurrence sociale et fiscale jouerait à plein.

L’idée initiale du Traité de Rome a été discrètement abandonnée et des institutions nouvelles ont été créées, antidémocratiques mais permettant d’affirmer que l’Europe « avançait » : par exemple le parlement, seul organisme élu, n’a aucun pouvoir et il est élu selon une procédure qui est entièrement aux mains des partis, le scrutin de liste.

Il y a cinquante ans, on pouvait y croire : l’existence de la jeune Europe des Six était un composant du moral des Français, je m’en souviens. Aujourd’hui quand on fait partie de ceux qui ont payé depuis le début les élargissements et les dépenses d’institutions non contrôlées toujours plus nombreuses et dont la représentativité est douteuse, le sentiment dominant est devenu l’eurodéfiance.

Il est largement temps de « revenir aux fondamentaux ».

2. Le dimanche 15 juillet 2012, 22:18 par Ronin

Je rejoins tout à fait cette idée de retour aux fondamentaux de l'Europe, bien que cette expression fasse très "chef militaire qui vient de prendre son commandement".
Ces fondamentaux quels sont-ils ? Je pense qu'il y a 3 grandes lignes de force qui ont guidé la construction de l'Europe et dont nous nous sommes éloignés aujourd'hui.
1/ La solidarité économique, à l'origine de la CECA et plus tard de la CEE. Cette solidarité si chère à Jean Monnet et Robert Schuman, qui prônait une meilleure économie pour le bien de tous. A défaut de la faire par le haut (grâce au politique) en 1950, l'Europe s'est faite par le bas (l'économie), et c'est une des grandes victoires de Monnet. Il est d'ailleurs paradoxal de constater aujourd'hui que c'est justement à cause de l'économie que l'Europe décline. Le colosse a eu les pieds d'argile face au tremblement de terre de 2008.

2/ La "vision", la fameuse "vista" comme on la nomme en rugby, qui, une fois que vous vous êtes saisi du ballon, vous permet de tracer un schéma mental qui vous fera slalomer entre les plaqueurs adverses. Cette vision reflète plus les courants de pensée européens développés par Adenauer, et elle permet de planifier très en avance les grands changements qui certes bouleverseront la vie des européens (euro, schengen), mais accompagneront nécessairement un monde qui change et que nous devons suivre. Aujourd'hui plus rien de tout ça. Les mesures prises par le Parlement ne sont que du court terme, il n'y a pas de grand projet directeur, l'Europe essaye simplement de ne pas couler et pare au plus urgent.

3/ Le projet des Etats-Unis d'Europe, cher à Jacques Delors et VGE, autrement dit le fédéralisme. Fédéralisme ne veut pas dire fusion, encore moins élargissement. Il n'y a qu'à constater comment le fédéralisme a été mené d'une main de fer par Lincoln après la fin de la guerre de Sécession : sans compromis, avec un contrôle fédéral puissant au service d'une politique unique.
L'Europe s'est laissé tenter par le projet de raccrocher les anciens Etats satellites de l'URSS après 1989, au nom d'une certaine "idée de la démocratie". 13 pays sur les 27 d'aujourd'hui sont rentrés dans l'UE entre 1997 et 2004, et aucun d'entre eux n'étaient prêt économiquement à y rentrer, et toujours aucun d'entre eux ne respectent le Mécanisme Européen de Stabilité.

Alors oui, l'avenir de l'Europe doit passer je pense par un resserrement (et donc le départ de certains Etats membre), et par un approfondissement, idée maîtresse que l'on aurait jamais dû perdre de vue dès 1990. Et ces idées reflètent l'esprit des grands courants européens du début.

Maintenant vous me direz, c'est bien joli tout ça, mais concrètement, que fait-on ?
- Resserrement : si le RU veut quitter l'Europe, personne ne l'y empêchera. Certains Etats du Sud outre la Grèce se manifestent déjà à ce sujet. Inexorablement l'idée fera son chemin.
- Approfondissement : c'est simplement l'amélioration de ce qui existe déjà, et les pistes ne manquent pas : meilleur pilotage de la valeur de l'euro par Francfort, restreindre le conditions d'accès au marché européen face aux pays émergents, plus de pouvoir au Parlement, création d'un conseil des ministres (type Sénat américain), orienter le budget plus vers les villes et les régions, vers les PME/TPE ce qui favorisera l'innovation, initier des vrais partenariats stratégiques (Russie-UE, CEDEAO-UE, MERCOSUR-UE, etc.).

Bref je pense que ce qu'il manque vraiment, c'est un vrai projet directeur qui déclinera tous ces domaines (oui j'ai arrêté avec le mot "aspect", plus traumatisant). Le fédéralisme doit fixer le cap.

Certes ce n'est pas très "PCPS" tout cela, mais j'ai quasiment réussi à rédiger en 10 minutes.

égéa : moi, j'aime bien les chefs militaires qui viennent de prendre leur commandement et qui donnent une poignée d'ordres. Quant au PCPS.... L'important, c'est de penser.

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