1/ Quand le CREC avait organisé son colloque, l'an dernier, j'y avais jeté un coup d’œil distrait. Et puis j'avais lu la lumineuse série de trois articles sur les robots, publiée par M. Yakovleff dans la RDN cet hiver. Aussi, quand j'ai aperçu le bouquin samedi dernier au FILM (GdB venait juste de l'avoir, en sortie de carton, une heure plus tôt) et qu'on (merci JP) me l'a donné mardi, j'ai eu le temps de creuser un tout petit peu le sujet : de ce point de vue, ce livre est passionnant.
2/ Un livre collectif mais sur un sujet tout neuf, avec donc des experts qui échangent et bâtissent un ouvrage cohérent. C'est ce qu'on appelle un ouvrage "séminal" qui ouvre une discipline et un champ d'étude : il fera référence.
3/ Il est organisé en quatre parties : la première s'intéresse à l'action des robots dans la manœuvre globale et la gestion du champ de bataille ; la seconde s'intéresse aux aspects technologiques, industriels et économiques; la troisième s'attarde aux questionnements socio-politiques ; la dernière enfin ouvre sur des réflexions prospectives, avec le texte de Yakovleff déjà cité.
4/ plusieurs auteurs américains, un auteur tchèque, la triple dimension scientifique/technologique, sciences humaines et stratégique : tout y est.
5/ Oui, mais encore, pourquoi est-ce intéressant ? Tout simplement parce qu'il s'agit là d'une couche supplémentaire d'artificialisation ; que la guerre révèle des bouleversements sociaux; et que cette évolution va de pair avec plusieurs mouvements :
- pas de robotisation sans cyber : c'est d'abord la raison première qui me fait m'intéresser à ce sujet, en marge de la cyberstratégie
- le coût de la vie et du facteur "travail" (donc les hommes) impose donc de compenser cette faiblesse par notre ligne de force, qui est celle de la technologie. On peut "perdre" des robots, à la différence des hommes. Dimension économique (voir le prochain bouquin à paraître sur "guerre et économie"), mais aussi stratégique (stratégie des moyens).
- autrement dit, cela pose des problèmes éthiques (pour la plupart déjà soulevés par les drones) : celui de l'actionneur du robot, celui de la complémentarité avec les combattants (car il faudra toujours des hommes sur le terrain), celui enfin de rendre la guerre plus possible puisque plus distante et moins moralement insupportable. En cela, on retrouve là des logiques observables dans le cyber, mais avec des cheminements différents : l'artificialisation rend la guerre à nouveau possible.
Bref, la question des robots n'est pas simplement celle de gadgets d'enfants technophiles mal grandis qui veulent continuer à jouer avec leurs maquettes; ce n'est pas non plus la poursuite des rêves de lectures adolescentes asimoviennes teintées de Georges Lucas; c'est aussi et surtout quelque chose de plus important : et c'est pourquoi ce livre est nécessaire : à avoir dans une bibliothèque.
Enfin, la robotisation annonce l'étape suivante, celle de la machinisation du soldat, autrement dit l'implantation des machines dans son corps, pour que l'interface homme machine ne se fasse plus à l’extérieur du corps, mais à l'intérieur. La droïdisation du soldat. Le mélange homme bionique et cyborg. Bon, on n'y est pas, mais il faut commencer à y penser.
O. Kempf
1 De -
Olivier, tu ouvres un champ de réflexion très vaste, et l'actualité des drones nous le montre chaque jour. Je te propose une réflexion sur "l'humanisation des armes", avec le commando-suicide (un corps greffé sur une bombe) et les "boucliers humains" (une couche d'humains pour préserver une cible). J'y vois une symétrie troublante avec la robotisation !
2 De -
Le CREC a fait un très gros boulot conceptuel depuis début 2009 sur le sujet : en matière de recherche, c'est un excellent exemple.
Tiens, si tu veux le "prequel" de l'ouvrage dont tu parles : http://www.dsi-presse.com/?p=435.
Autre point de départ, l'ouvrage de P.W. Singer, Wired for war.
égéa : merci Joseph. Quant à Peter Singer, c'est effectivement un auteur très important.
3 De jon234 -
bonjour,
bien que lecteur régulier de votre blog c'est la première fois que je poste un commentaire.
En effet, je me pose la question de la pertinence économique des drônes à l'heure où des études évoquent et je cite:"Les 22 scientifiques de l'étude proposent aux gouvernements d'entreprendre quatre actions immédiates : diminuer radicalement la pression démographique... "
http://ecologie.blog.lemonde.fr/201...
et où le coût des matières premières et des terres rares en premier lieu ne cessent d'augmenter.
pour rebondir sur le commentaire de pierre bayle je propose une réflexion à prendre avec des pincettes sur le fait que l'humanisation des armes est un moyen d'action trouvé par des populations religieuses tandis que l'occident trouve dans les drônes un paliatif jetable à "l'homme-dieu" à développer
égéa : félicitations tout d'abord pour avoir commenté. Et votre proposition est tout à fait pertinente
4 De Ronin -
Je vais volontairement mettre les pieds dans le plat. Non seulement parce que je crois que c'est l'esprit de ce blog (susciter la réflexion), mais surtout parce que j'étais présent lors de cette colle (certes cela ne me donne aucune légitimité... mais le sujet reste passionant).
Bref, pourquoi ce livre. Pourquoi plusieurs années d'étude du CREC, éminent centre de recherche de la lande bretonne, bien connu de tous ? Qu'est-ce qui justifie cette étude, basée uniquement sur la forme la plus improbable de conflictualité qui nous attend à horizon 2020 ?
En effet, aux vues de ce que j'ai parcouru du livre sur le net, cette étude sur la robotisation du champ de bataille n'est pertinente que dans une guerre type Intervention, une guerre symétrique, à la rigueur dissymétrique, un choc des volontés d'une nation à une autre comme Jomini et ses héritiers américains aiment les décrirent.
Lors d'un conflit asymétrique, stabilisation ou normalisation, l'utilisation d'outils très technocentrés reste limité : l'humain reste bel et bien le facteur déterminant qui permet d'emporter la victoire, ou non (il n'y a qu'à constater l'ensemble des retex d'Algerie, avec les sections SAS, ou l'Afghanistan, avec l'importance capitale du contact avec les populations).
Le soldat agit au cœur des populations, et ce n'est certainement pas une machine qui va prendre sa place pour faire son travail. Cette machine agit sur le côté face de la guerre COIN : les Predator/Hellfire sur les terroristes au Pakistan en sont le meilleur exemple.
Mais pour le côté pile, gagner les cœurs et les esprits (je renvoie à la dualité COIN chère à Galula), la robotisation ne nous servira à rien. Mais vraiment à rien.
Donc je pose cette question : pourquoi une recherche qui nous a coûté des milliers d'euros portant sur une forme de conflictaulité que nous ne rencontrerons probablement plus? (une guerre majeure intra-étatique). Le CREC ne peut-il pas plutôt investir dans d'autres domaines ?
Alors bien sur, la guerre robotisée est intimement liée au lobby des industries de défense... La DGA se frotte probablement les mains et pensant aux futurs investissements de l'Etat qui ne manqueront pas de se manifester prochainement (remarque suite au fiasco des études prospectives sur les drones français, cela ne serait que justice). Le voilà le vrai sujet. Investir... Pourquoi... Comment ?