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La relativisation de la guerre traditionnelle

Quelques petites réflexions sur les "buts de guerre", alors que les principales guerre irrégulières touchent à leur fin :à l'aune des guerres contemporaines, la guerre est déconsidérée : non seulement meurtrière, mais en plus inutile comme moyen d'atteindre des objectifs.

source

L’invention des guerres irrégulières après la guerre froide amène un nouvel enseignement : la guerre n’apparaît plus comme un moyen efficace de résoudre les conflits. Il faut probablement relativiser cette conclusion, qui souffre de la proximité des événements, par exemple en Irak et en Afghanistan : certes, la guerre n’est qu’un instrument parmi d’autres pour obtenir une victoire politique, et résoudre un conflit (surtout quand il s’agit de transformer une société pour lui donner des standards civilisationnels différents). Il faut dès lors mobiliser plusieurs outils (diplomatiques, policiers, de développement économique, …) dans une dynamique « d’approche globale » dont les résultats sont incertains.

Toutefois cette relativisation de la guerre tient aussi aux objectifs recherchés. En effet, les objectifs classiques supposent soit un accroissement de puissance par exemple par la conquête de territoire, soit une lutte pour la vie qui engage toute la nation.

Or, dans les conflits récents qui ont tant dévalué l’utilité de la guerre chez les Occidentaux, ces deux objectifs traditionnels n’ont pas été retenus : ni la conquête de territoire (impossible alors que chacun s’accorde, en conformité avec la charte des Nations Unies, à respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) ; ni la lutte pour la survie de la nation.

Dès lors, les puissances s’engagent dans des conflits avec des objectifs flous et donc des résultats relatifs, surtout une fois qu’on a atteint l’objectif initial qui consistait à déposer le pouvoir en place, présenté comme tyrannique (Saddam Hussein, les talibans, M. Kadhafi).

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 28 septembre 2012, 21:11 par Stéphane Taillat

Je dirais qu'aujourd'hui, la coercition sert essentiellement à influencer un autre acteur (le contraindre plutôt que de le persuader ou de le dissuader).
Or, ce fait entre en tension avec une culture stratégique dominante qui valorise la victoire décisive comme moyen de réaliser les buts de guerre. La stratégie d'anéantissement qui l'accompagne ne peut fonctionner dès lors que le contexte, tel que tu le décris, n'autorise pas les décideurs occidentaux à consentir tous les coûts d'une occupation sur le long terme, notamment face à des adversaires qui peuvent faire monter ces coûts sans trop de difficultés. La logique devient l'enchaînement du déni, de la promesse de l'escalade puis du retrait.
Enfin, cela entraîne un changement dans la perception de la nature de la guerre: non plus un affrontement des volontés entre deux adversaires qui se reconnaissent comme légitimes à recourir à la force, mais face à des ennemis à qui ce droit n'est pas reconnu (dictateurs, organisations non-étatiques)... Une opération de police en quelque sorte. C'est oublier que la coercition policière ne fonctionne pas seulement par une utilisation ponctuelle de la force brute, mais également à travers un dispositif continu de contrôle du territoire et des individus. La question centrale à mon sens pour redonner de l'utilité à la force est de réfléchir à la manière de sortir de ce dilemme de légitimité: puisque nous ne sommes pas légitimes, est-il possible d'utiliser la force pour influencer un adversaire?

egea : ta dernière remarque est extrêmement profonde... Peux-tu développer, pour publication ? (15 000 signes)

2. Le vendredi 28 septembre 2012, 21:11 par Stéphane Taillat

Je développe: la légitimité est un processus qui accorde les structures objectives de pouvoir avec les croyances subjectives quant à celles-ci (les relations de pouvoir apparaissent comme "naturelles" et l'imaginaire politique - c'est à dire la capacité à envisager des alternatives - est clos). Le problème est que ce processus se fait dans le temps long ("l'amnésie des origines" si on veut).
Dans le cas qui nous intéresse (celui d'opérations expéditionnaires, qui sont bien des guerres même si on les pense autrement), la prétention à recourir légitimement à la force s'adresse à plusieurs audiences: internationales, nationales (domestiques) et locales (le théâtre pour faire court). Or, cette prétention ne peut réussir dès lors que la force est utilisée de manière brute et ponctuelle, comme forme d'assujettissement (rappeler qui est le plus fort). La coercition fonctionne ici par la peur, et non par l'acceptation.
Une deuxième étape consiste à équilibrer l'acceptation par la peur par la fourniture de sécurité. Cela fonctionne à deux conditions: être en concurrence avec d'autres acteurs disposant de moyens de coercition (et prétendant éventuellement au monopole de son recours légitime), et être présent pour contrôler territoire et population. La force peut être employée de manière plus sélective, d'autant plus si s'enclenche un cercle vertueux qui permet davantage de renseignements pour frapper.
Par ailleurs, la présence permet de tenter de contrôler les allégeances politiques et de nouer des alliance sur la base d'un consensus. La coercition n'induit plus la peur de la punition comme dans la première étape (et donc la possibilité de résister si les individus estiment qu'il est plus coûteux de subir que de se révolter), mais elle participe à la définition d'intérêts partagés (sécurité contre allégeance et/ou collaboration).
La troisième étape, celle de la légitimation, est plus complexe et plus longue: elle émerge lorsque l'on passe de l'obéissance par intérêt à l'obéissance par croyance. Cela est possible, sur une certaine durée, à partir du moment où s'opèrent des modifications identitaires. C'est à dire lorsque nous parvenons à faire preuve de retenue d'une part, à désigner l'adversaire comme ennemi commun avec la population d'autre part. Nouer des contacts est le meilleur moyen de passer de l'alliance fondée sur les intérêts à un modèle de diffusion de nouvelles conceptions, de nouvelles idées qui enracinent les nouvelles identités de chacun (l'adversaire préalablement hégémonique comme ennemi, l'intervenant extérieur comme ami). Cela peut être renforcé si l'adversaire cherche à conserver son hégémonie en usant à son tour d'une force brute et ponctuelle: le voilà pris à son tour dans le "dilemme de la coercition d'état" (Kalevi Holsti) qui suppose que si un pouvoir perd de sa crédibilité et de sa légitimité, toute tentative de sa part pour regagner l'obéissance par la force ne fera que renforcer sa délégitimation.
Dernier point: il est important de distinguer la revendication au monopole des moyens de coercition, de la revendication au monopole de l'usage légitime de la force. La seconde est bien plus avantageuse, mais peut s'accommoder dans un premier temps de l'existence d'autres acteurs qui détiennent eux-aussi des moyens de coercition....

3. Le vendredi 28 septembre 2012, 21:11 par Colin L'hermet

Bonsoir,

Un long blabla pour exposer les idées du Pr P.Dumouchel.
En effet, le point a) correspond à votre thème, mais il est englobé dans le reste d'une réflexion qui aborde, en creux, votre idée.
J’ajoute que P.Dumouchel fait le détour sur l’international pour in fine traiter de la question domestique, notamment au plan du droit civil.
Mais les deux sont complémentaires et consubstantiels à la problématique.
Or, vous fixez au premier chef votre attention sur l'international. Peut-être cela ne vous intéressera-t-il pas.

selon Paul Dumouchel, Pr de philosophie, in Le sacrifice inutile, 02/2011
. l'actuel démantèlement de l’ordre territorial s’accompagnerait de la modification du concentrisme et des codifications des espaces de l’usage de la violence
. les précédentes légitimités constituées sont remises en cause
. les sacrifices transcendant l'individu seraient devenus inutiles (la place du soldat en est remise en cause)
. la violence politique s'avère incapable de donner naissance à un ordre stable, tant en interne qu’e projection extérieure, ces deux échecs se nourrissant mutuellement

Paul Dumouchel pose que la fonction première de l'Etat moderne est d'assurer la protection de ses citoyens :
. les uns des autres
. et contre les adversaires extérieurs

dans le fonctionnement ordinaire de l’Etat constitué :
. l’ordre territorial sous-tend le système juridique national
. et les règles de réciprocité des échanges sont au coeur du droit civil

doxa :
on assiste à un démantèlement de l’ordre territorial
avec ses conséquences :
. sur le fondement de l’égalité devant la loi ;
. bouleversement des règles de réciprocité des échanges ;
. affaiblissement du modèle de solidarité sociale ;
. et transformation des garanties pénales (illustrée par les usages antiterroristes).

Ce démantèlement contribuerait à une nouvelle approche dans la constitution des Etats territorialisés
et génèrerait de nouveaux enjeux dans les phénomènes de leur dissolution (Yougoslavie, Soudan, Syrie)

a)
auparavant, on pouvait observer la superposition dans 3 cercles des espaces sociologiques voire westphaliens :
. l’espace immédiat de l’amitié
où l’on note l’illimitation et l’inconditionnalité dans la solidarité
on y postule un refus juridique de l’usage de la violence, refus que l’on formule par la punition de droit pénal en cas de survenue
. l’espace de l’inimitié, de réciprocité équilibrée
c’est l’ex-concert des nations, où se déploient la conditionnalité et la proportionnalité de la violence ritualisée-contrôlée, notamment par les droits de la guerre entre égaux-proches
. un espace d’hostilité-prédation
c’est l’espace peuplé par l’Altérité, terra nullius
mais néanmoins codifiée comme lors des Traités inégaux ou de la Colonisation

b)
la mondialisation-globalisation induit la disparition graduelle de superposition-coïncidence de 3 espaces :
. le géographique ;
. le culturel-sociologique ;
. et le juridique-éthique.

désormais la globalisation provoque leur non-coïncidence
donc la mondialisation induit le démantèlement de l’agencement-ordre territorial et la transformation des règles de réciprocité des échanges

c)
traditionnellement, on avait 2 catégories d’ennemi :
. extérieur, amoindri avec la disparition des guerres inter-étatiques
. et intérieur, indéfini et fantasmé, obnubilant-obsédant faute d’ennemi extérieur, cf le tropisme anti-terroriste

néanmoins on observe clairement que des violences sont perpétrées par des Etats sur des civils, souvent leurs propres ressortissants
ces actions répondraient à une logique structurelle :
l’Etat ne disposant plus d'ennemi extérieur comme focus ou bouc émissaire, multiplierait les ennemis de l'intérieur
dans un transfert de la violence vers des victimes acceptables

paradoxalement :
. là même où l’idée d’attaque préemptive est mal ressentie
. on ne marque cependant pas grande inquiétude face aux lois nationales anti-terroristes

d)
la globalisation du monde provoque effectivement une renégociation perpétuelle des règles de droit civil
on constate par exemple la disparition de la contrainte étatique, ce qui induit une internalisation de ces règles
parallèlement, se pose le problème des institutions devant qui former un recours
on peut aller jusqu’à craindre une dilution-redéfinition du droit civil

(Paul Dumouchel, Pr de philosophie, in Le sacrifice inutile, 02/2011)

Je vous invite à consulter l’ouvrage, il est autrement plus précieux que cette vague fiche de lecture.
Bien à vous,
Colin./.

egea: superbe et extrêmement fécond. Merci de nous l'avoir signalé.
4. Le vendredi 28 septembre 2012, 21:11 par oodbae

Bonjour,

On a quand même l'impression qu'on mène des guerres contre des entités qui ne nous en veulent pas particulièrement donc on occupe souvent la position d'agresseurs, quelques soient les justifications apportées. Donc on se mêle de ce qui nous regarde pas vraiment. Et quand je dis "on", c'est l'article indéfini, pas en lieu de "nous" ou "les francais".
Par contre, on utilise les gros moyens, comme le dit S Taillat en 1 à propos de la tension avec une culture stratégique dominante qui valorise la victiore décisive. Quoi d'étonnant aux semi-échecs? A chasser des mouches avec un marteau, on casse surtout des meubles. Les qataris, eux, ont bien compris. Ils sous-traitent les combats par la France en Lybie, financent leurs mouvements subversifs dans tous les pays et font comme le préconisent les textes anciens, entre autres "Sun-Tzu - l'art de la guerre", ils attendent que les états adversaires soient prêts á tomber comme des fruits mûrs.

cordialement

5. Le vendredi 28 septembre 2012, 21:11 par AMBASSA

Le "tout droit"pourrait aussi être considéré comme l'un des facteurs contribuant à la relativisation de la guerre. En sus la crise de la légimité et de la reconnaissance.

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