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Canard, Charlie, médias et islams

Personne n’a été surpris de voir qu'egea ne réagissait pas au tumulte médiatique lancé à la suite des "affaires" de Benghazi puis de Charlie. Maintenant que le tumulte est passé, il est possible de commenter ces affaires avec un peu de lucidité.

source

1/ Tout d'abord pour constater que ces affaires ont été largement "provoquées" par les médias : à force de courir après la nouvelle et d'avoir peur d'être en retard, ils sont en avance et en viennent à "créer" l'événement. Ce sont les mêmes qui dénoncent ensuite les prophéties auto-réalisatrices des banquiers, sans voir que leur rôle est essentiel dans la construction de ces bulles événementielles. Autrement dit, les médias font de la spéculation informationnelle.

2/ Benghazi : OK, une attaque et un ambassadeur au tapis. Aussitôt, éditos enflammés sur la théorique "rue arabe", cette masse nommée et irréelle, construction fantasmée d'observateurs qui n'observent pas, justement. Et justement, il n'y a pas eu de manifestation dans le monde arabo-musulman, sauf opérations d'agit-prop du Hezbollah. Autrement dit encore, pas de réaction de masse. Et on a à peine rendu compte des origines de l'affaire (une manip de groupes salafistes) et quasiment pas de la contre manif des Benghazistes contre lesdits salafistes. Mais ça n'était pas conforme au fantasme. Par contre, les 200 ahuris qui ont été se faire voir devant l’ambassade des Etats6-Unis ont été copieusement couverts médiatiquement : on voudrait inciter au drame, on ne s'y prendrait pas autrement.

3/ Charlie hebdo : ils n'avaient pas publié que TF1 et France 2 avaient déjà envoyé des norias de journalistes faire le siège du journal pour savoir s'il n'y allait pas y avoir de débordements. Et la mayonnaise médiatique a pris, mais seulement dans le monde clos des médias: aucune, mais absolument aucune réaction face à ces caricatures, et un mauvais et lourd débat sur la liberté d'expression, avec les éternelles déclarations lourdingues des politiques prenant des positions héroïques (et sans danger) devant l'absence d'adversité.

4/ Ce qui nous a valu un délicieux édito du Canard enchaîné, plein de subtilité (si, au sens propre, ce billet était subtil et nuancé) expliquant que la liberté d'expression n'empêche pas d'être adroit. Et qu'elle ne nécessitait pas d'insulter tous les croyants alors qu'on veut s'attaquer aux extrémistes. Mais au fond, ce n'est pas Charlie le plus coupable, mais bien la soupe médiatique qui a voulu créer l'événement, et a versé à haute dose de l'huile sur un feu qui n'existait pas.

4/ Là est probablement le plus étonnant dans cette affaire : l’absence de réaction des dites populations, ici ou ailleurs. Car on voit bien le mécanisme : il consiste à vouloir faire coïncider une réalité (différente) avec le fantasme, celui de masses homogènes, barbares et fanatisées et musulmanes, avec en plus la double dimension menace externe/menace interne : hors, ce fantasme ne correspond pas à la réalité. Parce que les musulmans de l'intérieur sont dans leur immense majorité laïcisés; et que les islams de l'extérieur sont tellement fragmentés que notre diversité culturelle est pet de nonne par rapport aux divisions internes aux islams, n'en déplaisent au schématistes.

5/ Pas besoin d'être spécialiste (et je ne suis pas spécialiste de ces choses là) pour apercevoir que l'islam africain diffère de celui d'Indonésie, du Maghreb et des Machrek ou de ceux des Asie centrales. Qu’il faut ajouter la ligne de partage chiite sunnite (sans même évoquer leurs multiples ramifications), entre Al Ansar et gardiens des lieux saints, entre Hamas et Hezbollah, entre frères musulmans et salafistes, etc.... Conclusion bien simple, dans cet orient compliqué : "LE" musulman, n'existe pas, malgré les prétentions à l'unité des croyants, mais il y a de bien nombreuses variétés de musulmans : il y a DES musulmans, ce qui est très différent.

6/ Alors : inconscience? bêtise? machiavélisme? calcul ? course au fric ? Un peu de tout ça. Et tentative de recycler sur un bouc émissaire qui n'en peut mais des difficultés qui viennent d'ailleurs, et notamment de la crise économique et ses conséquences sociales. Avec des manifs qui se développent dans tous les pays du club Méd, l'avez vous remarqué ?

7/ Bref, ces médias si prompts à faire la morale et à accuser la finance pour son irresponsabilité me font penser à cette histoire de paille et de poutre. Heureusement, vous avez des blogs ...

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 27 septembre 2012, 21:29 par Laurent

Excellente mise au point ! Bravo !

(mais je persiste à penser que la finance n'est pas à sauver ; seul point de désaccord)

2. Le jeudi 27 septembre 2012, 21:29 par

Ne pas confondre la manifestation de Benghazi et l'attentat de Benghazi. De fait, on a du mal à établir un lien de responsabilité entre les médias occidentaux et un attentat planifié par des groupes qui avaient déjà frappé en juin dernier et qui ont utilisé les manifestants comme plastrons.

3. Le jeudi 27 septembre 2012, 21:29 par yves cadiou

Les Guignols de Canalplus ont été bons aussi sur ce coup-là : « j’espère avoir contribué moi aussi à la terreur ambiante » dit le journaliste-marionnette PPD à la fin de son sujet le 17 septembre ; le 19 septembre « arrêtez d’utiliser le mot musulman à tort et à travers, on va finir par avoir des ennuis » ; « le hot-dorade, c’est délicieux et ça ne choque personne » ; le 24 septembre « je crains que les musulmans soient bien intégrés en France
----- alors là c’est clair, c’est la fin du journalisme. »
http://player.canalplus.fr/#/730631

4. Le jeudi 27 septembre 2012, 21:29 par Ronin

Tout à fait d'accord.

Juste un chiffre : 800.000 €, c'est le bénéficie tiré des ventes de Charlie Hebdo de ces 2 jours de diffusion de leur édito polémique (avez-vous remarqué que Charlie a fait 2 tirages : 1 le mardi, 1 le vendredi ?).

Personnellement je pense simplement que la liberté d'expression s'arrête là où commence le respect et la tolérance.
D'autres exemples historiques :
- Blasphème envers la religion chrétienne : "La dernière tentation du Christ" de Scorsese en 1989, plusieurs cinémas brulés en France, 1 mort.
- Blasphème envers la religion bouddhiste : Manifestations en Birmanie en 1992 suite à la peinture des grands bouddhas blancs de Rangoun par des milices, 23 morts.
Et j'en oublie certainement...

Pierre Desproges disait qu'on pouvait rire de tout, mais pas avec n'importe qui. Je pense qu'on ne peut impunément se moquer de tout, et que le respect de certaines choses reste un fondement important de nos sociétés, sinon le ciment sur lequel nous construisons ensuite nos relations.

5. Le jeudi 27 septembre 2012, 21:29 par

Et oui, merci Internet, et merci les blogs : il était temps qu'on sorte de cette centralisation de l'information et de diversifier les sources.
L'humanité s'assagit, et ce n'est pas grâce aux médias.

6. Le jeudi 27 septembre 2012, 21:29 par panou

Je vois quelques aspects positifs à l'affaire des caricatures et du film.
-les gouvernements musulmans et notamment arabes ,aprés l'affaire de Benghazi,ont respecté les régles de la coexistence internationale en protégeant les ambassades.C'est un point essentiel car le rôle des diplomates est le dialogue et s'il n'y a plus de diplomatie la guerre n'est pas loin.Sur ce point il n'était pas opportun de fermer notre ambassade à Damas.Certes nous avons fermé à Bagdad en 1991 et à Tripoli plus récemment.Un diplomate courageux(il n'en manque pas au Quai d'Orsay) confiait:"je ne dois partir que si une bombe française peut m'atteindre".Mais les diplomates sont comme les miltaires:ils obéissent même quand leur point de vue ne correspond pas à celui des politiques.
La petite muette en quelque sorte.
-l'attitude des médias musulmans et plus particuliérement arabes.Aucune huile sur le feu.Certes les images de Benghazi sont estampillées Al Jeezera.On connaît le traitement particulier qu'a accordé la chaîne qatari à la révolution lybienne(Cadiou ne me démentira pas).Mais sur les caricatures profil trés bas de tous les médias sauf pour relayer les appels au calme gouvernementaux.Il faut considérer les traitements médiatiques des deux côtés et l'attitude de Al Jeezera est significative.N'en connaissant que la version anglaise le web m'a appris qu'il n'y avait pas de distortion avec les émissions en arabe...ce qui arrive parfois et est de bonne guerre médiatique.
-au plan national l'attitude résolue des"savants" musulmans pour appeler au calme qu'ils soient sous influence algérienne, marocaine ou UOIF.Unanimité "républicaine" de la Oumma française où la fitna est habituelle.Je terminerai en faisant remarquer l'absence de dignitaires noirs chez les musulmans français alors que les communautés d'origine sahélienne et comorienne sont nombreuses.Mais comme vous le soulignez l'Islam est diversifié et certainement hiérarchisé.....un peu comme chez les catholiques chez qui le pontife est toujours blanc si ce n'est italien.

7. Le jeudi 27 septembre 2012, 21:29 par Colin L'hermet

Bonsoir,

L’un de mes patrons attribuait à Molière un aphorisme de ce genre : ce qui est exagéré est ridicule, et ce qui est ridicule ne mérite pas l’attention.

On dira que je chipote, ou que mes notions de physique sont à rafraîchir sérieusement,
mais…
… Quiconque "a versé à haute dose de l'huile sur un feu qui n'existait pas" sait que cela ne produit aucune inflammation, ni combustion, ni, ni.

Or les flammèches du feu de paille médiatique sont là pour nous prouver le contraire.
Donc il y a bien un feu.
Même si ce n’est pas celui que veut nous faire accroire la vulgate médiatique.
C’est peut-être cette question de cet endo-feu que nous pourrions explorer plus avant. Votre point 6 entrouvre la porte : l’approche géopolitique d’une nation comporte une part de projection de ses imaginaires-représentations.
Quel imaginaire plaquons-nous sur une rue arabe qui n’existe pas ?

@Panou, première incise, sur les diplomates : permettez-moi de penser que "leurs fleurets sont mouchetés, comme le fond de leurs caleçons".
Si la muette l’est de facto, d’un bout à l’autre de la troupe en raison d’une perception de la notion de résilience (perception archaïque au vu des nouveaux modes et paradigmes de la "communication"), les diplomates sont une troupe plus disparate où, là, la discipline ne règne nullement. Ceux qui "représentent" et donc participent d’une action, fût-elle orale ou non verbale, sont moins nombreux que la noria des administratifs et/ou analystes qui en sont plus commentateurs. La scène n’est pas les coulisses.
Le rapport à la parole n’est pas le même : cohésion de façade bien entendue, mais pour ce qui est "d’obéir aux ordres", il n’y a pas de manifestation des réalisations des ordres politiques.
Donc pas de faits objectifs au moyen desquels mesurer la cohésion que vous leur prêtez.
Si on peut finalement obtenir l’action, mécanique, massive, visible et mesurable, du militaire de par la discipline qu’il a enduré, on n’a que peu de visibilité de l’action de la démarche diplomatique menée cette fois par un très petit nombre, parfois à huis-clos. Tout au plus peut-on percevoir les effets, si tant est qu’il y ait eu publicité sur l’existence de la démarche.
C’est l’un des rares points communs avec cette diplomatie que l’on dit parallèle menée par les services spéciaux : discrétion, peu d’acteurs, effets si possible découplés de l’agenda public, fantasme et conjecture autour du non-su.
Peut-être l’action diplomatique est-elle à l’action ce que le courage intellectuel est au courage : c’est à dire un bon sujet de gaudriole, avec profondeur, d’Y.Cadiou pour un prochain billet.

Sur le point particulier d’un respect "des règles de la coexistence internationale" : les gouvernements de ces pays (avec l’Islam religion d’Etat ou non) ont déjà bien trop à jouer sur leur scène intérieure pour trop risquer sur la scène internationale. L’Islam et l’Etat séculier ne font pas bon ménage (cf les travaux de L.Babès sur cette aporie politique, in Utopie de l’Islam).

Quant à l’Islam, dans sa définition première, il est une religion révélée qui formalise par la succession des prophéties l’Alliance entre un dieu et le genre humain, sur la base de l’obéissance aux commandements divins et la recherche de l’excellence attendue pour le mérite et la maintien d’une telle alliance. Après, on passe à la mise en place pratique et chaque pays dont l’islam serait religion d’Etat le met en œuvre différemment.

Idéalement, ces gouvernements, tous divers et différenciés, auront appelé au calme ou à la passivité parce qu’ils auront compris que tout cela n’est qu’un outil de déstabilisation international de plus.
Au mieux leur attitude est un intérêt bien compris dans une période de flottement international (crises éco et sociale, Libye, Syrie, Iran, mer de Chine, etc).
Au pire, elle est un aveu de leur faiblesse dans le jeu des rapports de force internationaux (commerce avec les USA et/ou l’Europe, flotte Pacifique rempart contre le soupçon d’impérialisme Chinois, tensions déjà existantes sur lesquelles ne pas peser, factions religieuses internes à ne pas laisser aller au débordement etc).

Bon, sans me relire, je m’excuse pour l’impression que vous retireriez du couplet sur les diplomates, mais à relire B.Badie in l’Intrus et le diplomate, il convient de se faire à l’idée que les relations internationales ne sont plus des relations intergouvernementales et la prérogative des Etats, mais bien un bordel ambiant où les ONG et la société civile se sont invités depuis 20 ans. Le maintien ou la fermeture d’une ambassade, en tant qu’événement intergouvernemental, n’est qu’un élément du puzzle, élément à la dimension symbolique amoindrie.

Bien à tous,
Cl’H

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