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Priorités LB

Marrant : il y a plein de gens qui me contactent, comme ça, pour papoter et me demander ce que je pense de ceci ou cela. Ce doit être la rentrée : pléthore de commission, GT, cellules réponses, sous-cellules, black groups et autres réunions où ça cause de stratégie. Et comme s'il n'y en avait pas assez, on vient poser la question à quelqu'un qui ne fait partie d'aucune. Comme si une idée de plus pouvait faire un tant soit peu avancer le schmilblick. Mais pour répondre à un ami suédois qui me demandait "quelles sont les centres d'intérêt ?" et pour aider les candidats qui terminent leur préparation à l'oral, voici donc les questions de diagnostic géopolitique auxquelles j'essaierai de répondre, si j'avais à prendre des décisions stratégiques.

source

Est-il besoin de préciser que ces quelques idées n'engagent que moi, et peuvent d'ailleurs être pillées sans vergogne. Mais puisqu'il paraît que l'on veut consulter large, j'apporte ma pierre à l'édifice commun.

1/ La première question à laquelle répondre est la suivante : jusqu'où y a-t-il découplage transatlantique ? en effet, celui-ci a pris naissance au Kossovo, s'est envenimé avec l'affaire d'Irak, a été péniblement réparé en Afghanistan, mais les Américains nous le disent, par la voix de Bob Gates ou celle de la QDR : l'Europe n'est plus leur priorité. Même si beaucoup d'Européens ne cessent de courir après Washington (sans toutefois mettre la main à la poche).... Bref : avons nous intérêt à suivre les États-Unis dans leur stratégie globale (remarquons au passage que ce sont les seuls à avoir encore l'ambition de cette stratégie), notamment envers la Chine, ou avons nous d'autres intérêts collectifs européens ? Ce qui pose la question de l'Europe.

2/ L'Europe est-elle assimilable à l'UE ? Cette question est stratégique, sa réponse l'est donc tout autant, et la réponse n'est pas aussi évidente qu'elle en a l'air. J'ai déjà mentionné le miroir aux alouettes que constituait l'expression "Europe de la défense" qui est invendable à l'extérieur. Or, force est de constater qu'il y a des Europes. Laquelle veut-on ? qui choisit-on ? La GB ou l'Allemagne ? la grammaire de puissance (sérieusement écornée) ou le noyau carolingien ? l'océan ou le continent ? une grande Europe ou un noyau agissant ?

3/ Il y a des vulnérabilités intérieures. Je ne pense pas à cette sénatrice qui demandait l'armée contre les trafiquants de drogue (voir cette remarquable réponse d'Abou Djaffar : ce serait bien que les sénateurs connaissent quand même l'état du droit qui fait un Etat de droit qui empêche toute mesure de ce type). Non, le sujet est ailleurs : quid si une catastrophe type Fukushima intervient ? les FAD japonaise ont déployés 100.000 hommes, nous ne pouvons déjà plus le faire. Autre exemple : une tempête casse des lignes à haute tension, mais les équipes EDF qui utilisent leurs téléphones portables ne sont plus en liaison puisqu'il n'y a plus d'électricité pour approvisionner les relais telecom. Autrement dit, la question n'est pas celle des infrastructures critiques (tout est critique), mais celle de l'intégration systémique et donc du risque systémique. Nous vivons aujourd’hui sur une économie de flux (1,5 jours de stocks dans les supermarchés de la région parisienne), que faire si ça s'arrête ?

4/ Dernier côté du triangle, celui au sud. Quand verrons-nous que l'arc de crise est une invention qui n'a plus de sens, que le désengagement américain du Moyen Orient élargi et d'Asie centrale pose un problème qui n'est pas le nôtre (malgré ce qu'ils disent), qu'il y a plusieurs Méditerranée (une à l'ouest et une à l'est, voir ici et ici point 9) et plusieurs Afrique (voir ici), et qu'il faudrait peut-être choisir. Notre façade méditerranéenne nous regarde, nous riverains, sans que tous les Européens n'aient forcément à nous dire quoi faire, tout comme il est normal que les riverains de la Baltique s'entendent entre eux sans que l'UE soit au Conseil baltique...

Il n'y a rien de bien nouveau ici, puisque j'avais déjà évoque quelques points dans ma série "stratégie française". Disons que voici les questions stratégiques qui se posent.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par JMM

"Autrement dit, la question n'est pas [...] Nous vivons aujourd’hui sur une économie de flux (1,5 jours de stocks dans les supermarchés de la région parisienne), que faire si ça s'arrête ?"

Voila une bien belle question que je n'avais pas encore vu posé.. Le Cygne Noire pourrait il se loger par ici ? projetant les individus à la base de la pyramide de Maslow, quelle serait la stratégie à adopter ? Voila une question qui vaut bien une tentative de simulation, non?

2. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par VonMeisten

Une réponse de nos cousins :
http://www.getprepared.gc.ca/index-...

egea : Von Meinstein...! Heureux de vous relire, cela faisait longtemps....

3. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par VonMeisten

Responsabiliser le citoyen me semble une bonne première approche. L’Etat ne peut pas tout (surtout pas en ce moment !). Demander à chaque foyer de garder 72 heures d’autonomie serait déjà un premier pas vers une résilience civile à ce genre de problème.

4. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par

Merci pour la mention ! Amitiés

egea : ben il était croustillant, ton article. J'aurais aimé l'écrire, pour tout te dire.... Bravo

5. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par Ronin

Juste une petite remarque, vis-à-vis du point 1 : lorsque vous dites "remarquons au passage que ce sont les seuls à avoir encore l'ambition de cette stratégie", je pense que vous parlez des US uniquement dans le binôme US/UE, n'est-ce pas ?
Parce que plus globalement, les Américains ne sont certainement pas les seuls aujourd'hui à développer des stratégies à horizon 2030... je pense bien sûr à la Chine, au Japon, au Brésil, à la Russie, etc.

Quant à la stratégie française, hé bien, ne jouons pas trop les caliméros, attendons patiemment notre cadeau de Noël, le LBDSN, même si celui-ci souffrira de toute façon d'un tir de barrage financier.

egea : non, je parle de stratégies "globales" au sens américain, c'est-à-dire mondiales. Les Etats-Unis sont les seuls à en avoir encore la prétention.

6. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par Colin L'hermet

Bonsoir,

En sus de ses nombreux ouvrages, je me souviens d'un article d'Alain Joxe de 2004 (http://asterion.revues.org/101) qui reliait stratégie globale US avec proxy wars dans un but de créer un climat d'incertitude permanent.
La préservation de "leur" économie de flux par une stratégie du désorde : la prédation perpétuelle et la fragilisation des outsiders, jouant le monde comme une arrière-cour, le tout dans une vision eschatologique et élective les portant à l'alliance naturelle avec Israël, petit trublion en son genre local.
Tout n'était pas à prendre pour Vérité dans ce billet, naturellement subjectif et partisan, mais il y a avait du très pertinent (veuillez pardonner la tournure, je ne juge pas le fond, j'exprime juste l'effet que procurait la clarté de ses développements).

Donc pour ces stratégies globales US, leur globalité ne leur accorde pas nécessairement une recevabilité.
Surtout en cette heure de permanent saupoudrage-convocation de la morale.

Vous avez raison sur un point : il faut en toutes choses, comme pour la question de l'Europe, se demander ce que l'on veut.
Mais veut-on de la puissance à tout prix ? Et de quelle puissance alors parler ?
Un hégémon stabilisateur, procédant de l'exemplarité, de la normativité, et d'un multilatéralisme bienveillant ?
Je doute ques les stratégies globales US cherchent à répondre à un tel triple objectif.
Je comprends le propos : au moins les USA se donnent-ils les moyens de leur survie... mais bon...

Bien à vous,
Cl'H

7. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par Bertrand

bonsoir à tous,
bien lu l' article d' Abou Djaffar et d' accord sur le fond. Une petite précision cependant qui me semble manquer à une analyse objective, quant à la soi disant non légalité de l' intervention de l' Armée en matière de maintien de l' ordre : lire l' IM500 sur le site du SGDSN.
J' ajouterais que, bien qu'elle soit une responsable politique, il me semble difficile voire dangereux de faire à cette sénatrice un procès aussi dur pour ce qui, au mieux, tient d' une naiveté flagrante, au pire d'un calcul politique avec effet d' annonce et autre provocation, mais le tout dans un authentique cri de désespoir.
Naiveté ? : je trouve cela plutot rassurant qu'une personne civile réagisse de la sorte - plutot que par le déni, comme trop souvent - face à l' utilisation d' armes de guerre dans sa ville. En toutes choses, il est question de seuils, de limites, et là, il me semble que la limite du tolérable est franchie.
Provocation, calcul politique ? : en tout cas l' effet a été un renforcement immédiat des forces de l'ordre dans la zone (mais effets encore inconnus...).
Donc, petit appel (naif?) à la modération des tribuns, meme si le diagnostic des causes établi par Abou Djaffar me semble très juste; il nous faut revenir aux bases de notre contrat social (ou le redéfinir).

bien à vous

8. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par oodbae

@Bertrand:

Rassurant? je trouve ca plutôt inquiétant car madame la sénatrice joue dans la surenchère. Si demain, Lyon-Villeurbanne se met en branle et qu'une sénatrice rejoue la même carte, l'air de déjà-vu décrédibilisera l'élue. Demandera t elle une intervention de l'ONU pour pousser les enchères? et la fois suivante à Toulouse-Le Mirail ou à Paris-Trappes, on demande la sécession?
D'abord surpris par la proposition de Mme Gahli, le billet de Aboudjaffar m'a remis les idées en place. En fait, la proposition de Mme Gahli démontre d'une part la considération qu'elle a pour l'armée francaise, à savoir qu'elle leur voue un rôle de surveillants de cour de récré, et d'autre part, le mépris d'une large part de mes concitoyens pour les corps de police, gendarmerie et plus largement pour l'état francais "civil" à qui, semble t il, on nie la capacité de garantir l'ordre sur le territoire national.

Je crois qu'on ne donne de l'écho à sa proposition que parce que son nom sonne étranger, puisque de fait elle est immigrée, qu'elle est une femme et socialiste de surcroît. Qu'eût on entendu si Lionel Lucas eut formulé la même proposition? Je comprends pourquoi on préfère parler des FAD japonaises, on n'es plus dans l'esbrouffe.

@en général . Finalement, les questions stratégiques posées dans le billet sous-entendent une question commune; veut on baser la politique francaise, tant nationale qu'européenne , sur le réel et mener une Realpolitik, ou veut on continuer de poursuivre des chimères héritées de Versailles et du petit Trianon puis de Casablanca, Potsdam et Brettonwoods, puis de Marcoussis et enfin de Tripoli?

9. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par Colin L'hermet

Bonjour,

C'est bizarre, en remontant encore plus loin que Oodbae, j'ai l'impression que depuis Sully et H4, on n'a guère progressé dans la valse hésitation du positionnement français entre puissance nationale et politique européenne : neutraliser les antagonismes des (autres) Maisons nationales (à l'époque, l'Autriche est visée) en dévoluant une couronne à une Union des Etats d'Europe... vieux rêve !
Et donc vieille problématique.

En poursuivant E.Kant, convenons plutôt que la guerre demeure une affaire de concurrence des grands ensembles (Etats essentiellement, mais également communautés subétatiques éventuellement).

Et que la stratégie à poursuivre (ou, plus honnêtement, à imaginer) devrait revenir, au mieux, à asseoir notre hégémonie, et, au pis, préserver une place de primus inter pares dans un balancing des nations qui neutraliserait les antagonismes (période tardive et désabusée de Kant).
L'Europe, avant 1929, était un suffisamment "gros morceau" pour pouvoir nourrir une stratégie en soi finaliste. Et encore après WW2 pendant la mise en palce du Plan Marshall.

L'accélération des flux de mondialisation-globalisation fait désormais de la construction européenne une "simple" étape dans le concert mondialisé et évolutif des Nations ou des ensembles régionaux.
Notre zone régionale est encore "en travaux" de construction, selon des plans qui se partagent entre conception irénique du 16eme s. et navigation économico-budgéto-financière au doigt mouillé, sur un théâtre global qui se recompose en temps réel.

La realpolitik doit passer par une volonté arrêtée.

Avec tous les paradoxes d'un enseignement de Sun Tzu : allier la détermination initiale, la fixation d'objectifs finaux (les intérêts vitaux ou primordiaux), la connaissance du terrain et des comportements de l'adversaire, privilégier la souplesse et le feedback, dimensionner la marge de perte acceptable et inévitable, le tout pour recomposer des tactiques à mesure de l'arrivée du renseignement opérationnel.
Pour l'heure, nous avons deux registres différents : ceux qui voient la construction d'un ensemble européen comme une finalité, et ceux qui le voient comme un outil-étape.
La réalité d'un contexte n'y change rien : sachons déjà ce que nous voulons (but), pourquoi exactement nous le voudrions (légitimation), et comment l'exprimer (positionnement rhétorique et dialectique).

Mais je conçois que je ne vienne que de pédaler encore un peu plus dans le vide, tant cela est une enfilade de truismes consommés.

Bien à tous,
Cl'H

10. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par yves cadiou

Ces tas de pierres que l’on rencontre sur les sommets moyens de la moyenne montagne m’ont été expliqués autrefois par un berger et ça m’inspire des commentaires marrants. Je vous en ferai part un autre jour peut-être. Aujourd’hui je vais être sérieux pour rassurer Olivier Kempf et ses lecteurs sur les vulnérabilités intérieures (le point 3 du billet) : toutes les questions, même les plus invraisemblables, ont été posées dans les années quatre-vingts et des réponses ont été apportées par des études pluridisciplinaires. Nous ne devrions pas être pris au dépourvu, si du moins les archives n’ont pas été égarées et si nous savons actualiser nos connaissances.

Je peux en parler parce qu’à l’époque j’étais directeur départemental de la protection civile (DDPC) dans une préfecture : chaque année l’on faisait l’exercice GYMONT, exercice de protection civile en salle (donc peu coûteux : ça ne coûtait que des communications téléphoniques). Je vais essayer d’expliquer ça aussi brièvement que possible.

Le préfet ou son représentant désigné (le directeur de cab ou le DDPC) réunissait autour de lui pendant une journée les représentants des services civils de l’Etat dans le département (je prie les lecteurs qui ne connaissent pas notre organisation territoriale de m’excuser parce qu’ils vont avoir de la difficulté à me suivre). La direction d’exercice, constituée par une des préfectures de la Zone de Défense, imaginait à l’avance des incidents (évidemment fictifs) qu’elle envoyait par téléphone dans les différentes préfectures le jour dit. Dans les préfectures, des petites équipes d’une douzaine de fonctionnaires aux spécialités diverses se concertaient pour imaginer des solutions avec les moyens dont les uns et les autres disposaient (par convention d’exercice, l’armée était occupée ailleurs et ses moyens n’étaient pas disponibles : au contraire c’était elle qui pouvait demander un soutien). Souvent en cours d'exercice l'état juridique était changé (fictivement) et l'on passait en état d'urgence ou en article 16.

Les fonctionnaires se prêtaient volontiers à cet exercice qui les sortait de leur routine. D’autant plus que les incidents étaient toujours inattendus, parfois à la limite du vraisemblable, et donc stimulaient l’intellect. Tous les actes de malveillance et problèmes induits que vous pouvez imaginer y passaient : sabotage des lignes électriques, empoisonnement de l’eau, routes obstruées, trains de réfugiés à loger ou à ravitailler, incendies criminels coordonnés, etc. Après l’exercice, le DDPC rédigeait un rapport exposant les solutions imaginées. Pour ma part j'en ai retenu qu'il est difficile de faire face à des situations exceptionnelles si l'on ne passe pas dans un régime juridique d'exception mais que tout devient plus facile aussitôt que le pouvoir politique prend ses responsabilités. Ces rapports existent probablement encore. S’ils sont introuvables, on peut rejouer ce type d’exercice.

L’exercice GYMONT a été supprimé sans explication par le Premier ministre de l’époque : peut-être n’avait-il pas bien capté qu’il était « responsable de la Défense Nationale ». Je ne comprendrai jamais le fonctionnement intellectuel de Michel Rocard.

En définitive nous avons de la ressource et notre défense civile, quoique discrète et peu médiatique, est une réalité. Nos vulnérabilités intérieures sont prises en compte par les services. Comme d’hab’, le pouvoir politique constitue le maillon faible.

11. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par yves cadiou

Souvent l’illustration qui accompagne les billets d’Olivier Kempf contient un message subliminal, volontaire ou non. Ces tas de cailloux un peu mystérieux que l’on rencontre sur les sommets moyens de la moyenne montagne ont une explication qui m’a été donnée autrefois par un berger. Je ne sais pas si elle est vraie mais elle s’adapte parfaitement à ce billet : d’après mon berger, chaque caillou a été posé là par un cocu du massif.

Depuis que je connais cette explication, c’est avec beaucoup de circonspection (ou parfois avec ironie) que j’emploie l’expression « apporter sa pierre ».
Nous pouvons tous, fort légitimement, apporter notre pierre au Livre Blanc. Pour trois motifs que voici.

1. A l’époque où les Livres Blancs sur la Défense Nationale étaient rédigés par le Ministre de la DN, on pouvait imaginer qu’avant sa nomination le candidat, éventuel futur ministre, avait exposé les grandes lignes de son projet à l’autorité qui s’apprêtait à le nommer. L’on pouvait supposer que le Livre Blanc était la mise au net de ce projet préalable à la prise de fonction.

Au contraire en 2012 comme en 2007, alors que désormais l’on donne un pouvoir exécutif au Président (anticonstitutionnellement, mais c’est un autre tas de cailloux) tous ceux qui s’intéressent à la DN ont vu que les projets dans ce domaine étaient rares dans les campagnes présidentielles. Commander un Livre Blanc lorsqu’on vient d’être élu signifie : « je n’ai pas d’idées sur la question mais heureusement les électeurs, en majorité, n’ont pas vu que je faisais l’impasse quand j’étais candidat ».
En 2012, l’ex-candidat ajoute « je ne veux pas qu’on touche au nucléaire parce que ce serait prendre de gros risques pour ma réélection en 2017 ; mais pendant mon deuxième et dernier mandat, la question se posera différemment ».

2. Alors que le pouvoir politique pourrait faire des Livres Blancs sur d’autres questions que la Défense (Justice, Education Nationale, Environnement, Santé, Finances…), il n’en commande que sur la Défense. Cette particularité doit éveiller notre méfiance : alors que le budget est contraint (j’y reviendrai en point 3), quel mauvais coup nous prépare-t-on spécifiquement dans ce domaine ? Je suis d’autant plus méfiant que la tâche est confiée à une commission qui n’est pas élue et qui ne subira en aucun cas les conséquences de ses erreurs.
Electeur, pose encore un caillou sur le tas Défense Nationale.

3. Parmi les tas de cailloux qui obstruent le paysage politique français, il y en a un qui est plus gros et qui fait de l’ombre à tous les autres tas de cailloux. C’est celui de la monnaie : nous avons commencé à y apporter nos pierres en 1992.
« Pourquoi dis-tu ça, grand-père ? Que s’est-il passé en 1992 ?» me demande ma petite-fille. Elle est mignonne mais je ne peux pas m’empêcher de proférer un gros mot : « Maastricht ! » Puis je me radoucis, conscient que ma petite-fille n’y est pour rien mais qu’elle pourrait en subir les conséquences, rendue responsable en quelque sorte d’erreurs qu’elle n’a pas commises. J’ajoute : « c’est un peu compliqué, allons demander à notre ami le héron. »

Le héron n’est pas là. Arrive un oiseau que je ne connais pas. Aussitôt il se moque de moi : « je suis le Coucou, expert en tas de cailloux. En 1992, tu as voté le Traité de Maastricht sans lire entre les lignes, en te contentant de faire confiance à ton personnel politique. Par conséquent tu n’as plus aucune maîtrise sur la monnaie parce que tes représentants se sont empressés de se défausser sur des technocrates de cette responsabilité qu’ils exerçaient en ton nom.
----- Tu ne devrais pas dire ça devant ma petite-fille.
----- Au contraire, il faut qu’elle sache parce que c’est elle qui paiera. Vous êtes devenus une collectivité nationale comme il y a des collectivités régionales et départementales, obligées d’emprunter pour équilibrer leur budget parce qu’elles n’ont aucun pouvoir monétaire. Vous n’êtes plus une Nation. »
----- Mais alors que puis-je faire ? » demandé-je à cet insolent coucou qui aura peut-être une solution.
Non, il n’en a pas : « Tu fais ce que tu veux, c’est ton problème et franchement je m’en fous.
----- Tu ne peux pas t’en foutre : ça concerne tout le monde, non ?
----- Tu ne vois donc jamais rien ? Je suis un coucou suisse ! » Sur ces mots il me chante une dernière moquerie sur deux notes et deux syllabes, recule et rentre dans sa niche en claquant la porte.

.
Telles sont les réflexions suggérées par les cailloux illustrant ce billet. Elles résultent d’une ancienne conversation avec un berger philosophe. Ce berger sentait un peu le bouc, mais c’est normal quand on passe la moitié de l’année dans des pâtures situées mille mètres plus haut que les prés de Saint-Germain.

12. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par yves cadiou

Faisant suite à mon commentaire n°10 et reprenant l’exemple concret évoqué par Olivier Kempf (la coupure d’alimentation électrique des centraux téléphoniques), je précise que l'exercice GYMONT dans les années quatre-vingts a permis d'imaginer des solutions : on s’imposait un délai limité à 12 h pour installer une alimentation électrique de remplacement parce que les centraux téléphoniques pouvaient tenir 24h sur leurs batteries. Pour ça on tirait une ligne électrique jusqu’au central à partir d’une entreprise qui disposait d’un groupe électrogène dans le voisinage : c’était une opération fictive mais on demandait aux techniciens qualifiés s’ils seraient le cas échéant capables de le faire. L’on n’oubliait pas d’alimenter cette entreprise en carburant. A défaut de pouvoir tirer cette ligne, on avait imaginé d’autres solutions avec des groupes électrogènes mobiles. Bien sûr, dès le début de la crise les services prenaient une option prioritaire chez tous les loueurs de matériels qui pourraient nous servir : droit de préemption, peut-être pas légal mais imposé par les circonstances.

Il est regrettable que les services ne fassent plus un GYMONT de temps en temps : sur cet exemple précis comme sur d’autres problèmes éventuels, les solutions valables il y a trente ans devraient être actualisées. Certes des inondations, tempêtes et autres météores viennent régulièrement poser des problèmes concrets. Mais les problèmes ne se posent alors que sur une partie du territoire et les solutions font toujours appel à l’armée. Or en situation de défense, celle-ci aura autre chose à faire, elle ne sera pas disponible pour la protection civile et au contraire elle aura besoin de soutien : c’était une convention de l’exercice GYMONT. Le principe « après moi le déluge, je m’occupe seulement du court terme » est visiblement ce qui guide notre personnel politique.

13. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par yves cadiou

Je reviens sur ce sujet parce que l’évocation de l’IM 500 me semble plus qu’importante : essentielle. J’en parle en espérant qu’un Parlementaire passera par ici et saura poser les bonnes questions au bon endroit avant que l’ambiguïté introduite dans les textes par l’IM 500 fasse des dégâts.

Bertrand (comm n°7) évoque l’IM 500, qui s’appelle en forme longue « l’instruction interministérielle relative à la participation des forces armées au maintien de l’ordre, 09/05/1995, n°500/SGDN/MPS/OTP ». De ce texte l’on pourrait déduire que la participation des forces armées au maintien de l’ordre n’est pas illégale. Mais ça n’est pas si simple.

Le problème, c’est qu’on n’est pas sûr que l’IM 500 elle-même soit légale. Elle n’est légale que dans la mesure où elle n’a jamais été contestée devant le Conseil d’Etat. Elle est assurément contestable parce qu’elle semble contredire la loi de 1972 modifiée, c’est-à-dire le statut militaire : la loi porte que la mission des Armées est de « préparer et assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation ». Le maintien de l’ordre n’a rien à voir avec la défense de la patrie. Je prends la précaution de dire « semble contredire » parce que je ne suis pas habilité pour en décider, mais j’ai la conviction qu’il y a effectivement une contradiction flagrante entre la loi et l’IM 500 en ce que celle-ci prévoit la participation des forces armées au maintien de l’ordre.

Au-delà de cette fragilité juridique, quel est le problème ? Il faut prévoir que tôt ou tard un gouvernement affolé fera appel aux Armées pour du maintien de l’ordre. Non que la Gendarmerie et la Police seront débordées mais parce que l’appel aux Armées est un procédé politicien : ainsi l’on dramatise la situation et l’on montre que l’on fait quelque chose face à une situation qui donne matière à l’émotion médiatique. Qu’il s’agisse de réagir à un accident polluant les plages (polmar), de remplacer des éboueurs en grève, de « lutter contre le terrorisme » (vigipirate), de gesticuler un peu contre l’orpaillage clandestin en Guyane qu’on ne peut plus faire semblant d’ignorer (harpie), on fait mine de réagir énergiquement en faisant appel à l’armée. Ce faisant, on assigne à celle-ci des missions qui, au regard de la loi, ne sont pas de sa compétence.

Pour le Gouvernement, se référer au code de la Défense est souvent une solution, facile et mauvaise, mais une solution. On se rappelle les réquisitions dans les raffineries en octobre 2010 : voir le billet intitulé « réquisition, pétrole et défense » : http://www.egeablog.net/dotclear/in... Dans le cas des réquisitions de raffineries, tout le monde a bien compris qu’il ne s’agissait que de gesticulation. Mais il faut observer que le pouvoir politique, quand il est à court de solutions, a l’habitude de se rabattre sur les textes faits pour la Défense Nationale et d’utiliser l’Armée. On se souvient aussi de ce ministre de l’Intérieur (Alliot-Marie) qui qualifiait de « guérilla urbaine » des échauffourées un peu spectaculaires qui n’étaient même pas une émeute, à Strasbourg contre le sommet de l’OTAN en avril 2009. Il y a donc toujours une tendance à « sur-réagir », habitude dangereuse qui débouchera tôt ou tard sur la décision de mettre en oeuvre les armes, décision qui sera prise par une autorité manquant de stabilité émotionnelle. Mais les armes, même maniées avec précautions, font peu de nuances : elles ne sont faites que pour contrer d’autres armes de guerre.

Lorsque surviendra l’utilisation de l’armée en maintien de l’ordre, c’est-à-dire à contre-emploi, les militaires devront obtempérer. Ce sera une catastrophe parce qu’on ne traite pas des manifestants à la mitrailleuse. Les militaires pourront-ils, devront-ils refuser ? En l’état actuel des textes, non. C’est pourquoi il faut modifier les textes : tout simplement abroger l’IM 500.

Les militaires sont tenus de refuser d’exécuter un ordre s’il est « manifestement illégal et de nature à porter gravement atteinte à un intérêt public ».
Faire usage des armes en maintien de l’ordre sera la suite logique de l’appel fait aux armées car celles-ci ne sont pas faites pour autre chose que de mettre en œuvre les armes. Malheureusement de trop nombreuses missions dites « humanitaires » ou « d’interposition » depuis plusieurs dizaines d’années ont répandu l’illusion d’une Armée capable de tout faire sans utiliser ses armes parce qu’au moment où ces missions dites « humanitaires » ou « d’interposition » devenaient du combat pur et simple, les journalistes étaient absents.

La participation au maintien de l’ordre (proposée cette fois par un sénateur après l’avoir été par un maire en 2011) sera donc bien « de nature à porter gravement atteinte à un intérêt public ».

Mais cet argument n’est pas suffisant pour que le militaire refuse : il faut aussi que l’ordre reçu soit « manifestement illégal ». Au regard du statut, l’ordre serait illégal sans aucun doute, mais il ne le serait pas « manifestement » à cause de l’existence de cette IM 500 que personne n’a cru bon de contester et que ceux qui en ont le pouvoir (les Parlementaires) doivent contester pour la faire abroger.

Je sais que j’aborde là une donnée que beaucoup de militaires ignorent à cause de l’indigence de leur formation juridique, à moins que les choses aient beaucoup changé depuis mon époque. Parmi les notions juridiques de base (dont je n’ai moi-même pris connaissance qu’en préparant ma reconversion dans l’Administration territoriale), il y a la hiérarchie des textes. Il y a aussi l’abus du mot « règlement » pour désigner, dans l’armée, des textes qui ne sont que des consignes et n’ont aucune valeur règlementaire au vrai sens du mot.

Tout ceci pour dire (en espérant ne pas avoir été trop long) qu’une clarification est indispensable quant à l’utilisation éventuelle de la force armée en maintien de l’ordre. Si un Parlementaire me lit, je lui suggère d’interroger l’Exécutif sur l’existence de cette IM 500, texte dangereux produit par l’Exécutif en contradiction flagrante avec un autre texte qui est de valeur supérieure parce qu’il est produit par le Législatif : la Loi.

egea : la mission de la défense n'est pas définie par le statut général des militaires, cher Yves, mais par l'article 1111-1 (partie législative) du code de la défense. Et il y est désormais fait mention de la notion floue, j'ai eu l'occasion de le répéter à de nombreuses reprises, de "sécurité nationale". La chose n'est pas très précise mais incorporait la sécurité intérieure... Officiellement, lutte contre le terrorisme mais la notion étant floue, elle supporte bien des interprétations. Il n'y aura donc pas d'ordre manifestement illégal. Après, il faut relgarder la conformité de l'IM 500 par rapport à l'art 1111, mais celui-ci étant plus récent....

14. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par yves cadiou

@egea : je suis au regret de contredire votre réponse à mon commentaire n°13. Je confirme mes précédents commentaires et notamment le dernier parce que l’article L. 1111-1 du code de la défense ne parle pas de la mission des forces armées.

A moins que l’on interprète le terme « politique de défense » comme équivalent à « mission des forces armées », erreur rendue possible par l’appellation du ministère de la Défense. Il reste que, même dans ce cas, le maintien de l’ordre ne fait pas partie de la mission des forces armées. Je cite l’article L.1111-1 : « la politique de défense a pour objet d'assurer l'intégrité du territoire et la protection de la population contre les agressions armées. » Contre les agressions armées, ce n’est pas du maintien de l’ordre.

Cet article du code pose des principes généraux sur la défense et vise seulement à remplacer (inutilement, à mon avis) l’ordonnance de 1959 sur la défense nationale. Il introduit la notion de « sécurité nationale » qui n’a pourtant aucune signification constitutionnelle.

La mission des Armées se trouve bien dans le statut de 1972, loi encore en vigueur. Je cite en copier-coller :
Loi portant statut général des militaires du 13 juillet 1972
Article 1 : « L’armée de la République est au service de la Nation. Sa mission est de préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation. »

Par conséquent l’IM 500 continue de n’être pas conforme à la loi (et je continue de ne pas être habilité à en décider). L’emploi de l’armée en maintien de l’ordre continue d’être illégal, mais à cause de l’existence de cette IM 500 l’on ne peut pas être sûr qu’il est « manifestement » illégal.

De ce qui précède, ainsi que des observations que j’ai déjà faites sur les ambiguïtés de la Constitution trop souvent bidouillée par notre aristocratie républicaine, je continue de déduire que nous sommes dans une situation institutionnelle fragile et qu’il est vraiment temps de clarifier tout ça.

égea : la loi de 1972 a été modifiée (abrogée ?) par la loi de 2005 réformant le SGM. Cette loi est incorporée d'ailleurs dans le code de la défense, partie législative. Faut-il réviser l'IM 500 ? probablement.

15. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par yves cadiou

@egea : la loi de 1972 est encore en vigueur aujourd’hui et n’a pas été abrogée. Elle a été modifiée plusieurs fois mais son article 1er reste celui que j’ai cité précédemment : « L’armée de la République est au service de la Nation. Sa mission est de préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation. »
On trouve l’appréciation suivante sur le site du Sénat : « Ce premier article du statut général des militaires a valeur de préambule du texte en définissant les missions de l'armée. » http://www.senat.fr/rap/l04-154/l04...

Par conséquent il ne suffit pas de « réviser » l’IM 500 qui contredit cette définition des missions de l’armée : il faut abroger l’IM 500 et même l’annuler en constatant qu’elle n’a jamais été conforme à la loi. Et en constatant, entre egeablogueurs, que Bertrand a bien fait d’en parler ci-dessus (n°7).

Au vu de mes commentaires sur ce sujet, le lecteur peut croire que je fais du juridisme tatillon, mais non : il s’agit d’être efficace, d’être clair sur les responsabilités des uns et des autres de façon à savoir qui fera quoi en situation de crise pour éviter la chienlit qui précède toujours les défaites.

En fixant des règles claires et incontestables, l’on fera converger les efforts. « L’histoire d’une guerre commence en temps de paix », cette citation de Charles de Gaulle devrait être l’exergue de tout livre blanc concernant les armées.

16. Le mardi 11 septembre 2012, 22:18 par yves cadiou

Bien que les commentaires sur ce sujet soient devenus un monologue depuis un moment, j’y reviens encore une fois parce que cette hypothèse (inacceptable) des forces armées en maintien de l’ordre me semble devoir être étudiée au calme avant que l’on doive y réfléchir dans l’urgence, sous la pression d’une crise sociale et d’un Gouvernement débordé.

Comme on l’a vu plus haut (comm’ n° 13 et 14), l’IM 500 contredit la loi de 1972 et l’article L.1111-1 du code de la défense (si l’on interprète cet article comme fixant les missions des forces armées). Vérification faite, il apparaît que l’IM 500 n’a pas été publiée et peut donc être ignorée (pour les règles de publication des textes officiels, voir l’ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004 qui a notamment modifié l'article 1er du code civil et abrogé le décret-loi du 5 novembre 1870). Par conséquent l’IM500 n’a pas d’existence juridique et la décision qui enverrait des forces armées en maintien de l’ordre serait « manifestement illégale et de nature à porter gravement atteinte à un intérêt public » à moins de modifier la situation juridique (article 16, état d’urgence), ce qui nécessite plusieurs approbations et ne se fait pas en un clic.

Dans mon comm’ n°13 j’exprimais, à cause de l’IM 500, un doute sur le « manifestement » mais ce doute est levé par la non-publication de l’IM 500.

Si un gouvernement, sans avoir dûment obtenu des pouvoirs exceptionnels, cédait à des pressions telles que celle de cette Sénateur de Marseille ou celle du Maire de Sevran l’an dernier, il devrait s’attendre à un refus sec et net des forces armées. Actuellement, les données sont claires à cet égard.

Toutefois il est prévu que le Livre Blanc sera soumis au vote des Parlementaires, ce qui compliquera beaucoup l’analyse des textes en vigueur. Si le Livre Blanc est voté (ce qui n’est pas sûr car il y a des Parlementaires qui ne votent pas toujours selon les consignes du Parti et se comportent en représentants du Peuple) alors on devra revenir sur ce sujet que l’on aurait tort de négliger : les forces armées en maintien de l’ordre, cette mauvaise idée est dans l’air parce que ça fait deux fois que des élus locaux en parlent, avec ce que Bertrand (comm' n°7) appelle « une naïveté flagrante (ou) un calcul politique avec effet d' annonce et autre provocation, mais le tout dans un authentique cri de désespoir.»

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