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A propos des drones

Les drones sont à la mode, et je risque donc de dire bien des banalités à leur sujet, moi qui ne suis pas spécialiste. Mais ne faut-il pas courir des risques, dans la vie ? de toute façon, ne rien faire est aussi un risque. Plus sérieusement, les drones posent trois types de considérations : tactiques, stratégiques et industrielles.

source

D’un point de vue tactique

Le drone (nous parlons ici des engins volants télécommandés) remplit plusieurs fonctions, que l’on peut ramener à deux principales : c’est un observateur, et c’est un effecteur. En observation, il emporte caméras et radars et autres senseurs, plus ou moins spécialisés ou aigus. En effecteur, il peut emporter des petits missiles pour « délivrer » des frappes localisées sur des cibles ténues.

L’avantage du drone est double :

  • l’altitude (entre haute, moyenne, basse et très basse altitude, qui à chaque fois emportent des considérations techniques d’autonomie et de portée) permet de voir « au-dessus de l’horizon »,
  • la non-habitation permet une plus grande permanence en l'air à la différence d’un avion habité.

Ainsi, le drone vient s’ajouter à la palette des moyens à la disposition du chef militaire, tout d’abord pour augmenter la précision de ses renseignements mais aussi, au cas par cas, pour tirer des munitions. Toutefois, le drone est extrêmement gourmand en liaisons, et notamment en liaisons satellitaires pour les plus évolués. Et il faut sécuriser ces liaisons, ce qui pose d'autres sortes de problèmes. Enfin, la réactivité est moindre que pour un avion habité.

D’un point de vue stratégique

Le grand avantage du drone est qu’il est inhabité. On peut donc le perdre sans qu’une veuve ou une famille éplorée ne le pleure dans la cour des Invalides, ou sans que des portraits du pilote capturé n’ornent la façade de l’Hôtel de Ville. Pour le décideur politique, cette insensibilité médiatique vaut de l’or.

Autrement dit, le drone redonne de la liberté d’action au politique, grâce à une approche indirecte qui vient, de plus en plus, remplacer les approches directes jugées compliquées notamment pour des objectifs relatifs, qui sont le plus courant. On observe d’ailleurs l'extension de l'usage des drones, y compris pour des objectifs majeurs, ainsi que le pratiquent aujourd'hui les Américains en Afghanistan ou au Pakistan.

Au fond, son caractère de machine lui donne une discrétion qui favorise son emploi. Ce n'est pas un hasard si le vrai surge décidé par Obama a été celui concernant l'emploi des drones.

Enfin, la capacité de tirer des missiles sur des cibles à haute valeur ajoutée permet de compenser la pratique de l’attentat suicide chez les irréguliers : en allant abattre un individu ou un dispositif pertinent, à faible risque, la dissymétrie technique permet de compenser l’asymétrie stratégique des guerriers irréguliers. Celle-ci était un contournement de notre avantage initial. Le drone permet de contourner le contournement.

Cela emporte toutefois quelques difficultés d’ordre pratique, et notamment juridique : d’où tire-t-on le drone ? au dessus de quel territoire l’opère-t-on ? les autorités locales en sont-elles d’accord ? Toutefois, la discrétion des drones permet de trouver le plus souvent des solutions à ces questions.

Du point de vue industriel

Un drone ne paraît pas très difficile à fabriquer pour une nation disposant d’une BITD conséquente. Il est composé en effet d’un aérodyne, d’en boule de senseurs, et de dispositifs de transmission (contrôle à distance, transmission en temps réel des informations recueillies). Dans sa version tueuse, le drone doit être capable d’emporter un missile d’une centaine de kilos, ce qui n’est pas le plus compliqué.

La France aurait pu fabriquer de tels engins depuis plusieurs années, mais des chamailleries gauloises ont fait obstacle à la décision.

On peut donc soit acheter sur étagère (en effet, le drone n’engage pas les attributs de souveraineté) soit chercher à développer une filière qui miserait sur l’exportation (car le drone nécessite toutefois une capacité d’intégration de systèmes qui n’est tout de même pas à la portée de tout le monde). Si cette dernière solution est retenue, elle doit être choisie en identifiant bien la gamme mais aussi le coût, pour faciliter les ventes à l’étranger.

Ainsi, le drone donne un avantage au chef tactique, il procure surtout de nouvelles marges de manœuvre au décideur politique, grâce à ses capacités d’action indirecte. D’un point de vue industriel, il n’engage toutefois pas le cœur de souveraineté : une construction (nationale ou en coopération) doit donc se décider dans la principale perspective de l’exportation.

Référence : sur l'avion comme système aérien, ce billet.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 2 octobre 2012, 21:44 par BQ

"...en allant abattre un individu ou un dispositif pertinent, à faible risque, la dissymétrie technique permet de compenser l’asymétrie stratégique des guerriers irréguliers. Celle-ci était un contournement de notre avantage initial. Le drone permet de contourner le contournement." Merci pour votre analyse, intéressante et originale.
Usages et effets opérationnels: il est estimé que l'administration Obama a mené à ce jour 5 fois plus d'attaques par drônes que celles ordonnées durant les 2 mandats de l'administration Bush fils. 1 900 cibles auraient été atteintes.
Le surge d'Obama est commes vous le dites bien "drône-centré"!
Avec D. Petraeus à la tête de la CIA, cela devrait continuer. Sauf si...

2. Le mardi 2 octobre 2012, 21:44 par Kouak

"la non-habitation permet une plus grande permanence en l'air à la différence d’un avion habité."

Ca, c'est parce qu'à part l'U-2 et le SA-2-37 (et sûrement quelques autres que je connais pas), on n'a pas conçu d'appareils pour spécifiquement endurant.
Ok, à poids égal, un drone est plus endurant, mais pour avoir une permanence, ou des durées de patrouilles élevées, il faut quand même plusieurs appareils.
Je suis convaincu qu'un avion adapté, ou conçu pour cette tâche, ferait très bien l'affaire.

Il y a bien sûr la question des pertes. Mais à ma connaissance, il n'y a pas eu de manifestations après Uzbeen ou Gwan. Au lieu de prendre des décisions en catimini, les décideurs feraient mieux de communiquer sur l'intérêt d'engager, et de risquer, des hommes. La pédagogie, c'est pas dangereux et c'est très lucratif.

3. Le mardi 2 octobre 2012, 21:44 par Pepal

Bonsoir,

bien que je ne connaisse que le premier point évoqué, je me permet de rajouter un petit élément sur l'utilisation tactique du drone : il s'agit de l'action "d'influence" si bien intégrée par les britanniques. Késako? Pour faire simple lorsqu'un drone survole une zone et qu'il est perceptible du sol, il rassure les troupes amies et dissuade les ennemis, faisant baisser le niveau de violence et augmentant la liberté de manœuvre du chef.
Tout ça pour dire que, à mon sens, le plus important lorsqu'on utilise un drone en appui des opérations au sol, c'est bien de l'intégrer dans la manœuvre interarme pour qu'il produise un effet tactique.
Voilà pour ma maigre contribution.

egea : maigre mais frappée au coin de l'expérience, que je n'ai pas. Je rappelle que je n'y connais pas grand chose, et probablement bien moins que vous. D’ailleurs, ce blog est aussi l'occasion pour moi de tester des idées et me les faire corriger par mes lecteurs.

4. Le mardi 2 octobre 2012, 21:44 par PTH

Un billet fort estimable, que je vous conseille de lire pour sa clarté, mais qui n’aborde pas un aspect que je qualifierai d’ « humain », ce qui peut paraître paradoxal lorsque l’on parle d’un engin, sans pilote embarqué !

Sans pilote embarqué, voilà où réside, précisément le problème. La guerre résulte du Jus ad Bellum (droit à la guerre) mais est régit par le Jus in Bello (droit dans la guerre). Les nouvelles marges de manœuvre, que procure le drone, au décideur politique procèdent du premier mais l’utilisation procède, elle, du deuxième et c’est de ce deuxième aspect que je voudrai vous entretenir.

Dans « Mars ou la guerre jugée », Emile CHARTIER a écrit que « Chacun sent bien que la force ne peut rien contre le droit ; mais beaucoup sont disposés à reconnaître que la force peut quelque chose pour le droit. ». Dans le même ouvrage, il écrivait « Il me semble que l'honneur vrai suppose un libre choix ». Le général André BACH, dans sa réflexion « La place de l’horizon de mort dans la violence guerrière », estimait qu’« À partir du moment où le politique met en œuvre son outil de violence légitime, il lui demande de briser la résistance adverse par, justement, la violence. C’est extrêmement dangereux car le commandement n’a dès lors qu’une manière d’atteindre cet objectif : mettre en œuvre un niveau de violence supérieur à celui qui pourra lui être opposé, en privilégiant les modes d’action que la morale ordinaire réprouve : tromperie, ruse, utilisation de tous les moyens possibles technologiques, psychologiques ou autres afin de fournir au politique les moyens de passer outre à l’obstacle. » Deux auteurs, un pacifiste et un soldat de métier, pour illustrer la problématique du drone armé.

Elme-Marie CARO a écrit que « Même lorsqu’ils se combattent les armes à la main, les hommes ne cessent pas d’être soumis aux lois de la morale et responsables de leurs actes devant la conscience et devant Dieu. Cela est bien vague sans doute, et l’application d’un pareil principe est sujet à des variations nombreuses selon les degrés fort inégaux de la culture morale des peuples ; mais avec beaucoup de raison et de bonne volonté il n’est pas impossible d’espérer que la guerre puisse s’y soumettre un jour et s’humaniser. » (Revue des Deux Mondes T.90, 1870). Lorsque vous songez qu’un drone armé, comme le Predator, peut être opéré, depuis la Floride, pour tuer un ennemi, forcément un ennemi, à des milliers de kilomètres et que le « pilote » de ce drone rentrera tranquillement dîner en famille, on ne peut que se dire que l’acte de violence ultime se banalise… La guerre se déroule au travers d’un prisme sans que l’un des protagonistes ne soit, physiquement, mis en danger ! Comme dans un jeu vidéo, le soldat appuie sur un bouton et efface une ou plusieurs existences permettant au décideur politique de revendiquer une victoire à « zéro mort »... Cette facilité à délivrer le feu, sans risque, c'est-à-dire sans la vision de cercueils drapés du drapeau national, pourrait, dès lors, inciter le décideur politique à s’engager dans un nombre croissant de conflits… « Toute guerre, vue de loin, est comme un jeu abstrait, qui n'offense point la vue. » (Mars ou la guerre jugée)

En désincarnant cet ennemi, en le réduisant en une addition de pixels, le soldat ne connaîtra la réalité des affrontements que par ce que lui en présentera les médias comme tout un chacun, perdant, ainsi, le peu d’humanité que lui laissait la guerre. Sur le terrain, le soldat peut être amené à épargner un ennemi effrayé ou affaibli car il le voit, il le touche… ce que ne lui permettra pas un écran, fut-il en 3D. Le pilote, dans son avion, reste un soldat « classique », bien que portant le feu depuis un abri relatif, car il prend un risque qui le relie, presque physiquement, avec celui qui sera sa cible. Il peut prendre une décision au regard de la situation sur le terrain, situation décrite par l’ami appuyé ou constaté « de visu » ce que ne saurait faire un pilote de drone installé dans la salle de commandement climatisé de Tampa, d’autant que le chef, le décideur politique peuvent exercer une pression directe…

Le drone armé est certes un progrès pour le Jus ad Bellum mais n’est-il pas un bond en arrière pour le Jus in Bello ?
PTH

5. Le mardi 2 octobre 2012, 21:44 par

Les drones ne changent fondamentalement rien à l’art de la guerre mais ils changent tout pour les responsables politiques et c’est là que se situe le danger.

1 Le drone n’apporte rien de nouveau dans le domaine de l’abstraction de la guerre perçue par certains combattants : depuis longtemps l’aviateur ne voit pas ce qu’il fait. Depuis encore plus longtemps l’artilleur ne voit pas ce qu’il fait. Plus récemment aucun des militaires qui ont frappé en Libye (ALAT, canonniers de la Marine, aéronavale, AdlA) n’a vu le résultat de son action. Ce phénomène de distanciation n’est pas nouveau. Une distanciation encore plus grande existe concernant les gars des soutiens : ils peuvent s’imaginer qu’ils n’ont tué personne même si les frappes n’auraient pas été possibles sans eux parce qu’ils ont apporté les munitions ou le carburant.
Il est vrai que « toute guerre, vue de loin, est comme un jeu abstrait, qui n'offense point la vue. » Emile-Auguste Chartier, dit Alain, a raison mais dévoile en même temps qu’il n’a jamais vu la guerre de près parce qu’alors il n’aurait pas seulement parlé de la vue mais aussi des autres perceptions : Alain a participé à la Grande Guerre dans l’artillerie, confirmant ce que j’écrivais au § précédent.
Seuls les combattants des armes dites « de mêlée » savent ce qu’ils font. Je n’insiste pas sur ce point mais croyez que je sais de quoi je parle. Pour moi le drone est un nouvel outil mais il ne change pas fondamentalement les données antérieures pour le combattant, qu’il soit mêlée, appui ou soutien.

2 Pour le politicien au contraire, le drone change tout : de ce point de vue le drone est un nouveau danger parce qu’il dispense le politicien de rendre des comptes. Comme le dit Olivier Kempf « Pour le décideur politique, cette insensibilité médiatique vaut de l’or ». Or on a vu ces dernières années ce qu’il advient quand un décideur politique incontrôlé, maire d’une bourgade huppée des Hauts-de-Seine et devenu "chef des armées", dispose de moyens militaires dont il n’est pas préparé à disposer. Lorsqu’un individu de même acabit disposera de drones, c’est-à-dire de moyens qui peuvent être utilisés en catimini, l’on devra s’attendre au pire.

6. Le mardi 2 octobre 2012, 21:44 par Colin L'hermet

Bonjour,

A vous lire, nous sommes définitivement dans l'intermédiation.
Au-delà des questions de portée des armes (cf L.Henninger) qui emporte le rapport à la delivrance du feu homicide, l'intermédiation gagnerait aussi du terrain puisqu'elle en vient à placer plus fermement entre les mains de non-guerriers les outils de la guerre.

Sur l'opportunité de "perdre [le drone] sans qu’une veuve ou une famille éplorée ne le pleure dans la cour des Invalides, ou sans (...) des portraits du pilote capturé" : vous portez cependant la logique trop loin d'une libération complète ; un - pas nouvel - enjeu réapparaît avec les opportunités de capturer les restes du drone et réduire le différentiel technologique entre deux protagonistes (étatiques puisque nécessité d'une BITD).
L'Iran n'avait pas manqué de communiquer sur ce point ; non pas tant que la réduction soit effective ni utile, mais elle contribue à ce pan "humain" de "l'effet drone" dans l'affichage ou la supposition de capacités étatiques UCAV.
La primauté US dans l'usage (voire l'abus) du drone a donné une naissance à une obligation de présence sur ce segment (développement et-ou utilisation) pour tout candidat à la signifiance militaire régionale ou internationale.

Dernier point, sur la notion de capacité d'Etat pour le drone : un hélico télécommandé avec une charge venant exploser sur une grande esplanade d'une métropole serait un drone sans BITD et sans actionneur d'Etat.
Il faudrait néanmoins admettre que ce contrôle à distance (liaison radio avec visuel direct depuis qq 100aines de m) placerait ce dispositif (voilure + effecteur) bel et bien dans la famille des drones. Bien qu'autant non réemployable, le dispositif se distingue complétement de la ChiCom, de la voiture piégée ou du kamikaze.
Là encore, la sémantique médiatique nous forgera probablement une appellation-distinction mettant en avant la dimension "bricolage", comme les bombes biologiques dites sales ont été distinguées des dispositifs militaires étatiques interdits par la CIAC et la CIAB.

Bien à vous,
Cl'H

7. Le mardi 2 octobre 2012, 21:44 par yves cadiou

Colin L'hermet évoque ci-dessus (n°6) « les opportunités de capturer les restes du drone » et donc de faire de la comm’ pour gêner l’autorité politique ennemie : de ce fait « l’insensibilité médiatique » du drone ne serait pas totale.

C’est vrai actuellement, mais l’on peut supposer que ce problème ne tardera pas à être résolu (s’il ne l’est pas déjà) par un dispositif d’autodestruction ou de destruction télécommandée du drone lorsque celui-ci échappe au contrôle (pardon : j’ai parlé américain ; je veux dire « échappe à la maîtrise ») de son propriétaire.
Un drone dispersé en de nombreuses miettes, « façon puzzle » dirait Michel Audiard, n’est pas exploitable médiatiquement.

8. Le vendredi 7 mars 2014, 12:02 par oodbae

http://intel.developpez.com/tutorie...

Sur ce lien, il est indique comment bricoler un drone a la maison. Je ne suis certes pas geopoliticien, mais je suis certainement dans le vrai si j'affirme que n'importe quelle mouvance terroriste ou meme simplement militante s'equipera d'une flotte de drones pour s'imposer. Je ne ressens meme pas le besoin d'utiliser le conditionnel avec "pourra s'equiper". Que ce soit pour filmer des scenes, repandre des tracts, voler des objets ou des documents. Ajoutez le trafic d'armes pour l'equipement des drones et on obtient un joli bain de sang.
Quant a la pretendue superiorite de l'intelligence humaine, je laisse aux ignorants le soin d'y croire, a elle et a son eternite.

égéa : je viens de voir passer ce matin un lien qui indiquait le montage par une petite société américaine d'une sorte de teaser à 80.000 volts monté sur un drone. Oui, la prolifération technologique va accélérer. la robotisation ne sera pas au seul avantage de l'ouest. ET surtout, elle ne sera plus le fait des seuls États... Mais je continue de croire à l'intelligence humaine. Pas forcément à sa conscience morale....

9. Le vendredi 7 mars 2014, 13:49 par oodbae

bonjour,

je voudrais répondre, rapidement, au commentaire de PTH. En résumé, ce commentaire vilipende la prise de distance croissante du soldat par rapport a sa cible, ou sa victime selon le point de vue. Ce phénomène, de la prise de distance, franchirait une étape avec les drones, armes s'entend.

Je m'inscris en porte a faux devant cette vision. Il s'agit d'une vision sensationnaliste, si je puis me permettre, a l'instar des procédés médiatiques et commerciaux qui présentent chaque nouveauté comme une révolution et chaque événement comme une nouveauté. Pour étayer ce point de vue, il suffit d'une prise de recul historique.

Comme toujours, la seconde guerre mondiale fournit une pléthore d'exemple.

A commencer par les camps de concentration équipes de chambres à gaz qui ont permis a tout le monde de se convaincre que les prisonniers des trains partaient au camp de travail, notamment parce qu'il ne restait plus de trace des victimes.

Ensuite avec les bombardements massifs des villes allemandes (et européennes faut il rappeler) qui ont pu faire jusqu’à 40 000 morts en une nuit a Dresde en février 1945. Certes les pilotes risquaient leur vie, mais ils ne voyaient pas les massacres que les bombes - lâchées par eux sur une pression de bouton - causaient. Certainement qu'ils furent moins traumatises que les fantassins qui faisaient face a leurs ennemis, notamment ceux qui se battirent a Stalingrad, la ou les véhicules mécanisés ne purent pas être d'une assistance optimale.

Encore peut on regarder plus loin dans le temps, vers la première guerre mondiale. D'une part les mitrailleuses ont mis entre les mains de leurs servants un pouvoir mortifère largement supérieur a ce que l'esprit eût pu décemment concevoir. Les américains l'avaient déjà expérimenté contre les indiens de Sitting Bull. D'autre part l'artillerie a aussi été employée dans une mesure jamais atteinte, ce qui a valu a cette guerre le surnom de "guerre d'acier", concept largement détaillé par des historiens mais aussi par des artistes (Otto Dix, Ernst Junger entre autres). Durant la phase de la guerre de position, les fantassins furent souvent surnommes comme de la chair a canon, ce qui suffit a décrire la déshumanisation de la confrontation entre les artilleurs et leurs cibles.

Plus loin encore, l'introduction de l'arc - et de l’arbalète - établirent un déséquilibre dans la balance de la valeur au combat "mano a mano" des troupes et des pertes humaines respectives. La bataille d'Azincourt présente un intérêt particulier pour les français, puisqu'elle est entrée dans la fresque historique nationale.

Encore plus loin, la pratique du siège dont la conséquence majeure est bien la mort de toute la population des villes assiegees, retranchee derriere ses remparts. Cette mort a lieu loin du regard des assiegeants, ce qui les libere de toute crise de conscience. On pourrait bien sur evoquer Leningrad et sa tiercisation. Mais puisqu'il s'agit d'une retrospective, j'evoquerai plus volontiers le siege d'Alesia. Jules Cesar, dans "la guerre des Gaules", decrit cette phase du siege, lorsque les gaulois de vercingetorix, jettent les femmes, vieillards et enfants hors d'Alesia pour economiser les vivres restantes. Leurs cris eurent pu attendrir les soldats, mais le chef - Cesar - recommanda la plus grande fermete et fit meme executer ces mourants afin de faire cesser leurs cris. Je n'entrerai pas dans une reflexion sur ce cas qui semble illustrer le concept de "dialectique des volontes" de Beaufre a propos de la determination de Cesar de gagner meme au prix du massacre de ces personnes sans defense.

Ainsi, tous ces cas de figure, montrent d'une part cette evolution constante de la confrontation guerriere depuis l'origine de l'humanite. Les armees recherchent des moyens technologiques toujours plus pousses pour augmenter leur puissance destructrice - et aveugle - tout en se mettant eux-memes a l'abri du danger de mort, soit individuellement (arc, siege), soit en terme du ratio des ennemis tues aux pertes propres ( cas des bombardements aeriens, des mitrailleuses, de l'artillerie).
D'autre part, dans le cas d'une confrontation guerriere, le sort des populations civiles est souvent indifférent aux soldats, dans la mesure on on n'a pas fait la guerre a la Wehrmacht mais au troisieme Reich allemand, pour faire court. La tactique du siège illustre cela le mieux. Les bombardements aériens de la seconde guerre mondiale sur les villes - et non sur les seules cibles militaires - montrent aussi les progrès faits dans ce domaine, si vous me pardonnez l'emploi du mot progrès dans ce contexte, ce que Paul Valéry reprouverait probablement d’après sa phrase célèbre "le progrès s'est arrêté a Hiroshima".

En conclusion, il s'agit au mieux d'un problème éthique de second plan, au pire d'une diversion, de se poser des questions sur les conséquences de l'emploi de drones armes. Dans tous les cas, il s'agit d'une perte de temps et d’énergie. Mieux vaudrait s'employer a trouver les moyens de s'en protéger et de les détruire.

A ce sujet, mettre hors-service le système GPS de l'adversaire pourrait déjà représenter une bonne option pour commencer, ce qui nécessiterait bien sur de maitriser soi-même un système alternatif. Priver les drones adversaires de l'utilisation de l'Internet sur son sol ne serait pas non plus inopportun. Mais peut on disposer d'un internet alternatif pour sa propre utilisation ou est on contraint a une tactique de terre brulée? Les radars sont il capables de détecter des drones terrestres ? De nombreuses autres problématiques peuvent être soulevées des qu'on s’intéresse a la technique de ces drones.

Bref, de nombreuses perspectives de développement technologique pour la défense, et j'insiste sur ce mot de défense , stratégique s'entend. Et ces perspectives ne peuvent être abordées si l'on se perd en confrontations rhétoriques sur la révolution éthique de l'introduction de drones.

cordialement.

PS: évidemment, la question de l’évolution des technologies de la défense est liée a la question de l’entité a défendre et de la définition de l'ennemi. Si l'on part du principe que les USA seront toujours nos amis, alors on ne voit pas le besoin de bâtir un GPS alternatif. Si on voit comment les USA traitent leurs amis, on voit que stratégiquement parlant, il vaut mieux disposer d'un GPS alternatif.

égéa : merci, je ne me  rappelais plus la phrase de Valéry. Pour la première partie de votre propos, vous illustrez le fait que très tôt, on a voulu frapper à distance : armes de jet et arcs de tout type furent les premiers éléments. On compensait l'imprécision par le nombre. Mais cela n'équilibrait pas le besoin du face à face, le choc. Aujourd'hui, il n'y a quasiment plus de chocs, sauf dans les attentats suicide... Je publierai ce commentaire en tant que billet autonome.

10. Le dimanche 9 mars 2014, 20:31 par oodbae

bonsoir,

Ce que je voulais illustrer, c'est que les armées cherchaient toujours de nouveaux moyens de détruire l'ennemi avant ce choc. Implicitement, ce moyen consiste en une confrontation indirecte (armes de jet/artillerie ou opérations de siège/bombardement) car si elle était directe, ce serait le choc évoqué. Si la destruction n'était pas réussie, l'ennemi pouvait quand même être considérablement affaibli, autant en ce qui concerne les forces physiques, du fait des morts et des blessés, que les forces morales, du fait du sentiment d'impuissance face à la mort qui touche les frères d'armes, pour reprendre la terminologie de Clausewitz.

Le développement des drones apporte une nouvelle innovation parce que ceux -ci peuvent détruire l'ennemi, partiellement ou complètement, avant le choc, si l'on considère que ce choc fait intervenir des hommes contre des hommes. Mais cette innovation n'est qu'une innovation de plus dans la même tendance. Croire pouvoir l'interdire sous prétexte qu'elle déshumanise le combat n'est qu'une illusion qui repose sur une vision à courte-portée, dans le passé mais aussi dans le futur.

Ai je bien compris que le commentaire serait publié comme billet? J'en suis flatté mais je souhaiterais reformuler avant car le commentaire n'est pas très lisible, trouvé-je.

égéa : billet publié hier soir. Je l'ai un soupçon amendé ici ou là....

11. Le mardi 11 mars 2014, 16:22 par oodbae

A propos du point "d'un point de vue stratégique", le drône propose la perspective d'une croissance rapide des troupes, dès lors qu'une production de masse est initiée. Soit en temps de guerre, soit en prévision de la guerre, l'industrie peut démultiplier son efficacité et celle des armées, comme ce fut la cas avec les "liberty ships" vendus par prêt a la GB au moyen de la loi prêt-bail par les USA en 1940.

Cette option stratégique complexifie donc le point de vue "industriel". Il faut assurer la capacité d'augmenter rapidement le potentiel de production en vue de compenser des pertes importantes. Cela simplifie aussi le point de vue industriel. Celui qui ne possède pas les usines sur son territoire s'expose à un blocus et donc à un étouffement , tel qu'il avait été rêvé lors de l'invasion de la Norvège en 1940 afin d'interrompre les approvisionnements en fer vers l'Allemagne qui tirait 9 millions de tonnes de la Norvège, sur 11 au total si mes souvenirs sont bons. Ceci est aussi pratiqué actuellement à l'égard de l'Iran, auquel il est interdit de vendre de nombreux équipements industriels. Celui qui ne possède pas cette industrie sur son sol exclut donc cette option pour une utilisation en temps de guerre, de haute-intensité s'entend, ce qui simplifie le point de vue industriel.

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