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Franco-russe (2/2)

Suite de notre billet : examinons maintenant les options stratégiques.

source (NB : voir ce petit site du cimetière franco-russe de Saint-Hilaire le Grand, à côté de Mourmelon....)

III Options stratégiques

De nombreux observateurs se placent encore dans la logique d’un monde bipolaire : à cette aune, il faudrait choisir entre les Etats-Unis et la Russie. Le deuxième choix serait facilité par deux raisons : d’une part, le désintérêt américain pour l’Europe, d’autre part, la nature plus admissible du régime russe (régime autoritaire mais non communiste). Il faudrait alors constituer un axe Paris-Moscou, le plus souvent enrichi en Paris-Berlin-Moscou, certains prônant un Paris-Berlin-Varsovie-Moscou.

Cependant, cette perspective paraît un peu illusoire. S’il est effectivement possible voire souhaitable de réfléchir à l’architecture de sécurité européenne qui tiendrait compte d’un certain rift transatlantique, cela n’entraîne pas automatiquement le déplacement vers un grand allié à l’Est. Tout d’abord, ce grand pays est beaucoup moins puissant qu’il le fût (le budget de défense russe est en 2012 comparable au budget de défense français). Surtout, rien ne dit qu’il veuille réellement se rapprocher des Européens, surtout si l’on examine les penchants du gouvernement actuel pour une doctrine eurasiatique, qui vise justement à redonner à la Russie la place d’une grande puissance autonome, capable de se mesurer aux autres grandes puissances. Accessoirement, les discours idéalistes européens s’accordent mal avec le froid réalisme de la Russie.

Là réside en effet la difficulté : pour se mettre en couple, il faut être deux. A supposer que les Européens (et la France au premier chef) veuillent se rapprocher des Russes, rien ne dit que ceux-ci, dans la configuration actuelle de la scène internationale, en manifestent le même désir.

Il faudrait dès lors se placer dans une optique réaliste. C’est d’ailleurs l’attitude partagée par la France et l’Allemagne, mais selon des modalités différentes :

  • l’Allemagne choisit un réalisme économique, et ménage la Russie dans les affaires économiques, et notamment énergétiques (cf. la direction de Northstream par G. Schroeder). Toutefois, sa décision de sortir du nucléaire risque de la mettre en dépendance de Moscou, sous réserve que le marché du gaz ne soit pas bouleversé par l’énorme accroissement de production du gaz de schiste aux Etats-Unis.
  • La France choisit un réalisme politique et militaire, n’hésitant pas à transiger en 2008 au moment de la guerre avec la Géorgie, ou en vendant des BBPC Mistral. Elle tolère dans les faits (à l’image de beaucoup d’Européens) les excès commis lors des opérations en Tchétchénie. Toutefois, on imagine mal un approfondissement des relations dans l’ordre militaire (même si Paris comme Moscou manifestent une grande réticence au projet de Défense antimissile balistique) ou politique (car il faudrait que Moscou accepte de partager des compétences au lieu de vouloir défendre un westphalisme des plus classiques).

Ainsi, un rapprochement franco-russe paraît aujourd’hui très théorique et peu opératoire. En revanche, des convergences tactiques et opportunistes sont possibles. De la Realpolitik, pas de la grande stratégie.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 16 octobre 2012, 22:19 par MM

Oui, des BBPC pour Beaucoup de BPC!
Et d'autres systèmes, d'armes ou pas...
Realpolitik; Realbusiness donc il devrait y avoir!

2. Le mardi 16 octobre 2012, 22:19 par

Bonjour,

Je souscris entièrement au résumé de la situation (relation) stratégique entre les deux pays.
On se place souvent du côté Français effectivement, entre crainte de l'ex-ogre rouge et souvenir évanescent de l'entente de 1891, mais la Russie continue d'évoluer de son côté. Et comme il est précisé judicieusement, il y a une froide approche des relations internationales de sa part, échaudé par les dernières contingences historico-politiques, ce qui n'empêche pas des coups de cœur et d'amitié sincère entre individus « huilant » les rapports comme ce fut le cas entre J. Chirac et V. Poutine.

Maintenant, à moins d'un choc géopolitique majeur, je ne vois guère de raison objective prochaine d'un rapprochement stratégique avec la Russie. Pourtant la France pourrait ainsi défendre plus efficacement une position et une vision du monde qu'elle partage souvent avec son homologue Russe, à la condition que les autorités soient suffisamment éveillées pour y répondre efficacement et correctement, ce qui est un autre débat.

Pour l'heure comme il est précisé dans l'analyse, la Russie est sensible à la (néo)doctrine de l'Eurasisme, ce qui l'éloigne quelque peu de l'Europe, tandis que la France regarde pragmatiquement (cela lui est parfois possible) vers l'Angleterre qui elle-même sait aussi réfléchir à ses intérêts en dépit du « Special Relationship » qu'elle tend volens nolens à relativiser au fil des années.

Il n'est pas interdit de penser que les routes de la Russie et de la France se recroiseront avec passion un jour, en attendant les deux pays ne s'ignorent pas et n'ont aucun contentieux qui interdirait dans un futur plus ou moins proche un rapprochement stratégique. Mais cela nécessitera un stimulus politique et un contexte géopolitique favorable. Ce qui n'empêchera certainement, et heureusement, pas les échanges économiques, culturels, universitaires et militaires de continuer à des degrés divers.

Et pour finir sur un proverbe Russe : « Priez Dieu mais continuez de ramer vers la rive. ».

Cordialement

PS : je vais m'atteler prochainement à un ouvrage qui a longtemps stagné dans ma bibliothèque : « Le commerce franco-russe : de Colbert à 1900 » d'Anne Kraatz. Je pense qu'il y en aura pas mal à apprendre...

3. Le mardi 16 octobre 2012, 22:19 par SSP

en forme de question à tous:

- même questionnement avec non plus la France mais l'Allemagne/Russie

- même questionnement avec une polarité non plus "bi" mais multi, et notamment la Chine, toujours avec France d'un côté, et Allemagne de l'autre

merci encore

4. Le mardi 16 octobre 2012, 22:19 par panou

Pour reprendre les termes de votre conclusion:
Real Politik:il peut y avoir un marqueur de son évolution avec le projet de construction d'une cathédrale orthodoxe Quai Branly. Sarkosy en avait fait une affaire personnelle,conscient de son importance psychologique sur le duo du Kremlin.Or la Mairie de Paris s'est nettement opposée au projet.Qu'en est-il maintenant?Hollande suivra-t-il Delanoë ou balaiera -t-il les réticences au nom de la raison d'état?Ce permis de construire me semble devenir un marqueur pour l'évolution à court terme de la relation franco-russe.
Grande Stratégie:la demande forte du Kremlin pour cet édifice parisien illustre parfaitement la dimension religieuse du régime russe.Poutine a peut-être lu la prédiction de Malraux:''le 21eme siécle sera religieux''.Il a ainsi un alibi pour que Moscou se pose de plus en plus comme le protecteur des orthodoxes.
Aux alliés contraints du Pacte de Varsovie se substitueraient des alliés,des amis,des partenaires privilégiés partageant des valeurs religieuses et culturelles laissées à l'arriére plan tout au long du siécle précédent.De ce point de vue il est notable qu'économiquement la Russie est de plus en plus présente pour relancer les économies serbe et de la république serbe de Bosnie.Mieux Poutine est trés attentif à la situation économique de la Gréce et les hommes d'affaires russes sont à la fois présents pour profiter des soldes grecques dans l'immobilier touristique mais aussi pour la reprise d'actifs comme les installations portuaires.La même ''charité orthodoxe'' a conduit le Kremlin à aider directement le budget de Chypre.
Si Paris veut nouer un partenariat stratégique avec Moscou le protectorat orthodoxe du Kremlin est à prendre en compte car il sera une donnée constante de la politique étrangére russe.Sur ce point l'évolution à court terme des relations entre Moscou et Ankara est à suivre et sera suivie à Bucarest,Sofia,Athénes et Nicosie .

égea : au passage, la citation d Malraux est apocryphe : il ne l'a jamais prononcée. ET on ne sait pas d'où vient ce canard tenace....

5. Le mardi 16 octobre 2012, 22:19 par

@SSP

Bonjour,

En matière de relations bilatérales germano-russes, l'aspect économique ou plutôt le pragmatisme économique est déterminant. Se souviens-tu par exemple que la Chancelière Angela Merkel avait claironné peu avant sa première arrivée en Russie qu'elle entendait bien dire ce qu'elle pensait des méthodes de gouvernance à Vladimir Poutine? Or que s'est-il passée depuis? Un affaissement conséquent des critiques politiques à l'égard de la Russie et de ses autorités.
L'économie en Allemagne ce ne sont pas uniquement les premiers du peloton à la bourse des valeurs comme en France, ce sont aussi des milliers de PME qui sont appuyés justement par ces grands groupes. Et ceux-ci ont de solides intérêts en Russie, et plus généralement dans les pays limitrophes. Conclusion : une force de frappe et d'influence bien difficile à ignorer pour tout responsable politique.

Pour la Chine, la problématique est plus complexe. Et je suis moins spécialiste dans ce domaine même si je suis bien obligé de m'y intéresser par des liens connexes à mes sujets d'études.
La Chine a sa propre vision en tant qu'Empire du Milieu, et ses alliances/investissements sont le fruit de choix rationnels. Elle n'a pas oublié les traités inégaux du XIXème siècle. D'où peut-être une certaine revanche envers les anciennes puissances Européennes qui sont devenues une seule et même impuissance commune si j'étais vachard. Plus prosaïquement, elle regarde moins du côté des Européens que du côté Américain qui est son rival immédiat. Les relations sino-russes sont assez pragmatiques, car la Chine a réitéré qu'elle n'entendait pas se laisser enfermer dans une organisation (pensons à l'OCS) à visée militaire. Ce qui fait que c'est plus une coopération stratégique qu'une véritable alliance en cours. Bien que cela puisse évoluer en fonction des aléas géopolitiques mais là nous sommes dans la (géo)politique fiction.

Je m'excuse de ne pas répondre plus conséquemment, mais le propos mériterait un très long article pour commencer à assécher le sujet.

Et il n'est pas impossible que l'auteur du présent blogue s'empare du sujet pour y répondre de façon plus substantielle.

Cordialement

égea : il  n'est jamais impossible que l'auteur du blog s'empare d'un sujet... Pour une fois qu'on peut faire des conquêtes sans encourir la ligue des droits de l'homme (agresseur !) et la ligue des droits de la femme (machiste!), je m'emparerai donc de "sujets".

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