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Europe : néo-westphalisme

Discussion avec un Allemand ce jour. Encore un qui est consterné par son ministre des affaires étrangères. Mais il faut dire qu'au-delà de G. Westerwelle, c'est la lisibilité de la politique allemande qui pose problème. Nous y reviendrons. La discussion portait sur la politique française. Je ne vais pas répéter ce ce que j’essaye de démontrer depuis quelques mois sur les fractures européennes, juste aller un peu plus loin.

westphalie01.jpg source

1/ En effet, l'affaire EADS-BAE montre bien que dans le ménage à trois, l'Allemagne n'a pas voulu risquer de ne pas être dans les deux. Ce qui, par contraste, soulignait une fois encore la convergence objective entre UK et FR.

2/ Pour UK, la chose est claire : la special relationship apporte de moins en moins, surtout quand M. Obama ne cesse de dire qu'il regarde l'Asie. Du coup, il faut bien trouver un relais de puissance, alors que ça propre puissance s'affaiblit sans cesse. Et le seul en Europe qui partage les mêmes logiques de puissance (et qui en plus est affaibli, même si c'est moins que soi), c'est la France. D'où Lancaster House, d'où la convergence sur l'industrie de défense. On parlait business, pas idéologie.

3/ Ce qui vient par contraste souligner un fait que mon interlocuteur ne voyait pas : les Français sont standardisés, ils sont devenus pragmatiques et opportunistes. Ils racontent des fariboles sur l'Europe de la défense, mais n'hésitent pas à s'associer avec le pays qui est de plus en plus hostile à ce qu'il considère comme une lubie. Et tant pis pour l'axe franco-allemand, ce n'est pas la première fois qu'il faiblit en matière de défense, on verra bien nächst Mal.

4/ Autant dire que les trois puissances majeures européennes affichent, de plus en plus ouvertement, qu'elles sont moins prêtes que jamais à faire des efforts et que seul l’intérêt national compte. Bref, intégration et partage communautaire ne sont pas à l'ordre du jour. On assiste à un retour des nations, à un néo-westphalisme.

5/ Néo, mais différent. Car à côté se développe une tendance de plus en plus prononcée au fractionnement des Etats. L'Europe, nous disait Tony Judt, était le moyen de garantir contre les partitions. Son affaiblissement s'accompagne, logiquement, d'un regain des égoïsmes régionaux.

6/ Le succès du NVA en Belgique et le succès annoncé des indépendantistes basques dimanche prochain viennent confirmer ce qu'on voit en Écosse et Catalogne, sans même parler du pan-magyarisme en Europe centrale...

7/ Cela rend le prix Nobel de la paix (attribué ce WE à l'UE) encore plus exotique. Déjà, j'ai toujours été extrêmement réservé envers ce prix-là, qui ne m'a que rarement convaincu. Mais l'attribuer à l'Europe... Ce n'est pas l'Europe qui fait la paix, mais la paix qui a fait l'Europe (je le dis depuis dix-huit mois et suis heureux de voir que JL Bourlanges le raconte désormais : peut-être a-t-il lu égea). Il faut reconnaître que l'Europe a entretenu la paix, comme une incantation. Mais aujourd'hui ? alors qu'elle s'abstient stratégiquement partout ? Est-elle dispensatrice de paix ? La réponse n'est pas aussi simple qu’elle l'aurait souhaitée...

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 15 octobre 2012, 22:42 par SSP

cher Docteur,

ce n'est point pour défendre l'Allemagne (ne soyons pas fou, aujourd'hui il est de bon ton, Français ou Européen, de traiter avec commisération cette "même pas grande Nation") mais il me semble que vous démontrez justement qu'elle ne pouvait avoir un comportement autre.

Ceci en considérant le paradigme (dogme?) qui prévaut à savoir que ce serait l'Allemagne et elle seule qui aurait fait capoter cette superbe opération, évidente, tellement belle, tellement grosse, tellement globalisante, tellement 'on fait mieux que les yankees', bref très 90's quand les Européens les poches pleines d'euros surévalués achetaient American Can yes we can, Bankers Trust et autres superbes ... navets! N'oublions pas non plus MGM qui a dégommé le Crédit Lyonnais...

Donc écartant tout cela faute de temps, restant bon Français, considérant la RFA ayant fait capoter, il me semble que vous démontrez, en resituant les éléments essentiels du dossier que la RFA n'avait aucune marge de manoeuvre:

- Lancaster House c'est, vous le relevez, bien antérieur au sujet de l'espèce, et les Allemands ont été mis devant le fait accompli, de manière bien cavalière (et encore, des Uhlans pas des voltigeurs...). Cela n'a pas manqué de compter en 2012, convenons en.
- Les Anglais sont les cousins des Allemands, leur monarchie est allemande... Les Saxons connaissent bien la perfidie dans le business des Angles. Prenons rendez-vous quant à la stabilité de nos épousailles...
- Les Anglais (vous relèverez que comme vous j'anticipe l'éclatement du Royaume Désuni) aujourd'hui rencontrent un gros problème avec leurs ex coloniaux devenus hégémoniques, sans que j'en distingue la motivation profonde côté américain: ces derniers ont fait des coups pendables aux premiers avec BP accusée de noircir et HSBC de blanchir. De là à déduire qu'il y a fâcherie stratégique et que le fait que les US regardent vers l'Asie les détourne des Anglais me paraît moins que sûr. Quiconque a travaillé en environnement asiatique connaît la puissance des réseaux britanniques là bas (ce qui est assez fort car la guerre de l'opium rendait ce résultat improbable...). Et la capacité infinie des sujets de sa Majesté à avaler des couleuvres pour, notamment, vendre d'infectes hardes au prix de la soie. Demandez aux actionnaires de Deutsche Bank ce qu'ils pensent de Morgan Grenfell... Donc la fâcherie entre cousins: je suis prudent, attention à la deception (sans accent).

Je ne suis pas certain que les Allemands n'aient pas quelque raison de mettre de la politique, de la planification, dans le business. Car les partenaires et cousins anglo-saxons le font toujours, ne nous laissons pas prendre au piège du "just business". Ainsi les Américains n'hésitent pas à monter du matériel allemand sur leurs Abrams; quid de matériel frenchie?

Pour EADS, ne peut-on avoir une lecture en "zoom arrière": quand déjà l'on considère l'état des lieux assez calamiteux de ce bidule, ne peut-on considérer que le "just business" a produit un monstre au plan industriel, mais également stratégique, pour notre Nation (oups, pardon) mais aussi pour l'Europe, qui n'a pas là une bien belle vitrine certes, mais pas non plus une belle profondeur stratégique pour la protéger. Car "just business", c'est une guerre, qui conditionne l'opérativité de la guerre.

Bon sang et si, prenant le cas écossais, nous envisagions un retour des conflits en Europe ou pour l'Europe, mais sommes -nous assurés de notre supply chain? Je n'en ai pas le sentiment, mais je ne suis pas compétent pour avoir une opinion. Juste un questionnement.

Enfin s'agissant de se tourner vers l'Asie, prenons garde l'Asie est dans l'Europe (ou plus exactement l'inverse car l'Europe n'est pas un continent...): les Allemands comme nous sont une puissance continentale plus que maritime (j'entends l'Amirauté réagir, je concède que je caricature). Prenons garde en croyant nous tourner vers des puissances maritimes de ne pas rester entre deux trains. Vous connaissez comme moi la puissance diplomatico/économique allemande en Chine et en Russie...

In fine je ne défends pas plus l'Allemagne que je ne connais en profondeur ce dossier qui paraît tellement confus. Mais je sais que nous ne semblons pas le traiter de manière ... cartésienne. N'oublions pas, si le ministère de tutelle n'est plus "défense nationale" depuis quarante ans, l'article 15 de la Constitution dispose toujours "Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la Défense nationale..." Et aux USA le saint des saints est toujours la "National security".

Quelle est notre notre "National", notre "Homeland", ce n'est pas en clouant chaque jour notre ex (?...) ennemi au pilori de notre presse économique que nous construirons ces champs ni les usines dessus et les emplois avec.

Bref Docteur, primat du politics sur l'economics? Au moins, interdépendance, pour une certaine indépendance.

PSS

2. Le lundi 15 octobre 2012, 22:42 par MonclarSuperstar

Et dans son blog en date du 17/10 à 08h26, JD Merchet écrit "L’Europe, c’est donc la paix. L’idée est communément partagée, mais ne devrait-on pas plutôt formuler la chose à l’envers : la paix, c’est l’Europe ?"
Une carte de presse commune ? ;-)

égea : non, lui c'est un journaliste, pas moi. Et il a lu la citation de Bourlanges dans le Monde de cette semaine....

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