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Chasse novembre

Novembre, c'est encore le mois de la chasse. Le gibier se fait plus rare à mesure que l'hiver approche. Et pourtant, le chasseur maraudant à travers les champs et les bois du net réussit à dégotter, dans les taillis et les fourrés, quelques petites bêtes qui suscitent l'intérêt. Vous tous qui êtes cités, un petit commentaire sous ce billet pour dire "c'est sympa", ben ça serait sympa ! A moins que vous ne consultiez jamais vos stats... Mais rares, très rares sont les blogueurs qui ne consultent jamais leur stats !

source

Un blog collectif, assez fourni, dans lequel on peut faire son marché : geopolintel

Owni, qui parle de pouvoirs, de société et de cultures numériques, avec régulièrement de bons billets. Je ne sais si je ne vous l'ai pas déjà signalé, d'ailleurs.

Le site de Bernard Nadoulek, sur les conflits et les civilisations.

Le blog de la cybersécurité, fort intéressant, animé par N Caproni.

Puisque le mois est à la chasse, voici un blog de chasseur d'image. Sandra Chenu Goedfroy (repérée sur twitter) tient un blog de photo spécialisé dans les thèmes suivants : police, armée, secours, aéro. Un vrai regard, un vrai discours.

Cyberstrategia, blog de Maxime Pinard (IRIS) sur la géopolitique du cyberespace.

M2IE, un blog de management 2.0

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par yves cadiou

Vous avez certainement observé cette semaine que JDMerchet sur son blog a consacré à l’affaire Mahé plusieurs billets qui ont retenu l’attention, étonnamment documentés. Je ne rappelle pas les faits, ils sont sur la place publique virtuelle où chacun peut en prendre connaissance. On devine, d’après les mails qui circulent à ce sujet, que les citoyens qui s’intéressent à la Défense Nationale retiennent leur souffle. C’est que l’affaire aura des conséquences importantes, y compris sur le statut militaire et sur le fonctionnement du TPA.

D’abord on ne comprend pas qu’un juge d’instruction, en principe spécialisé, oublie le paradoxe du militaire : LE MILITAIRE EST CONTRAINT PAR LA LOI D'OBEIR AUX ORDRES ILLEGAUX excepté s’ils sont « de nature à porter gravement atteinte à un intérêt public », ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Si nos camarades ne bénéficient pas d’un non-lieu, alors il faudra faire aussi mon procès et celui de mes hommes car j’ai ordonné du tir à tuer, et j’ai été obéi, alors que nous n’étions pas en guerre. Certes les pauvres bougres dont j’ai ordonné la mise à mort étaient équipés d’armes de guerre mais là-bas aucune loi valable n’interdisait le port d’arme. Il faudra faire aussi le procès de quelques centaines de milliers d’autres de nos Soldats qui, sur ordre de la France, ont tué des gens alors que nous n’étions pas en guerre. Nous ne sommes plus en guerre depuis l’armistice de juin 1940 : la liste des accusés sera longue. Elle commence par des héros : ceux de la Ligne Maginot qui ont continué le combat après l’armistice.
Ce procès n’est pas seulement celui de quelques uns de nos camarades. C’est le procès d’un métier où l’on obéit aux ordres illégaux parce que la loi l’exige. C’est le procès d’un métier que l’on fait pour la France. L’on regrette qu’elle n’assume pas sa responsabilité.

2. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par MonclarSuperstar

Non, le procès de l'affaire Mahé n'est pas le procès d'un métier où on obéit aux ordres illégaux, sinon, quelle différence entre ce métier et la mafia ?
Mais ce procès pose en creux la question du commandement : comment se fait-il que tant d'officiers confondent "avoir du caractère" et "être caractériel", car c'est bien de cela qu'il s'agit si on en croit les propos du colonel Burgaud :
"Pouviez vous dire non au général Poncet ? lui demande son avovat Me Gublin.
- Je n'en sais rien. Ce n'est pas quelqu'un à qui on dit facilement non, il s'emportait. Un "tueur" auquel on ne n'oppose pas facilement comme il l'avait montré au Kosovo en cassant un officier de gendarmerie qui refusait d'y refaire la bataille d'Alger..."
Et comment se fait-il que la chaîne de commandement soit si peu efficace :
il n'est guère plus amène avec ses subordonnés - à l'exception de Raugel, qu'il respecte. Son adjoint opérations d'alors, le lieutenant-colonel Neviaski (qui dénoncera l'affaire à son retour en métropole) ? "Inapte au commandement opérationnel". Le capitaine de l'escadron du 4ème chasseurs, les chefs directs de Raugel ? Le colonel parle de "faillite de la chaîne de commandement"...
Et comment se fait-il que le commandant de la force ne soit au courant de rien puisque c'est le CEMAT qui a dénoncé l’affaire à la justice ?
Comme nous sommes loin, pauvres gaulois, de l'Auftragstaktik chère aux Allemands et reprise par les Américains.

3. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par

Je ne vois pas ce que le commentaire n°2, d’ailleurs anonyme, cherche à démontrer. Faire des rapprochements hasardeux (par ex : caractère et caractériel) ou diffamatoires (l’allusion à la mafia) n’est jamais très constructif. Je confirme mon commentaire précédent : pour qu’un militaire refuse un ordre, il faut à la fois que cet ordre soit « manifestement illégal ET de nature à porter gravement atteinte à un intérêt public ». On peut dire exactement la même chose autrement : le militaire est contraint par la loi d’obéir aux ordres illégaux excepté s’ils sont « de nature à porter gravement atteinte à un intérêt public ».

Du fait que beaucoup de gens, y compris parmi les militaires parce que leur formation juridique est indigente, n’ont jamais eu conscience de cette obligation d’obéir aux ordres illégaux pourvu qu’ils ne soient pas « de nature à porter gravement atteinte à un intérêt public », la présente affaire aura des conséquences importantes, d’abord en déclenchant une prise de conscience dans la profession.

Cette malheureuse affaire, quelles qu’en soient les suites, conduira les militaires à s’interroger sur les textes, lois, décrets, qui régissent leur situation et leur action. Elle les conduira à s’interroger par conséquent sur les incohérences de ces textes et à exiger qu’ils soient clarifiés par l’autorité politique.

Si les militaires doivent refuser un ordre au seul motif qu’il est illégal, alors ils refuseront toutes les missions et tâches qui ne sont pas conformes à l’article 1er de la loi no 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, modifiée par la loi no 2005-270 du 24 mars 2005. L’article 1er n’a pas été modifié, il est repris par l’article L4111-1 du Code de la Défense et il est clair : « La mission (de l’armée) est de préparer et d'assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation ». Cet article n’est pas seulement essentiel : il est fondamental.

Tout militaire, du CEMA au plus jeune biffin, s’il est désormais tenu de refuser un ordre à la seule condition qu’il soit illégal, refusera d’obtempérer à chaque fois que l’on écartera l’armée de cette mission définie par la loi. C’est le cas pour vigipirate, harpie, polmar, poubelles, les EPIDE, les SMA, etc.

Cette malheureuse affaire va donc clarifier beaucoup de choses dans la relation du Politique et du Soldat, celui-ci étant désormais fondé à exiger du Politique la garantie que la mission reçue est conforme à la loi.

4. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par MonclarSuperstar

Quelques éléments de réponse :

- l'anonymat... Ah, la belle affaire ! L'anonyme est forcément discrédité ! Pour en sortir par une pirouette, je dirai simplement que le titre de ce billet (chasse novembre) m'incite à rester prudent afin de ne pas être moi-même pris pour du gibier ;-)

* caractère et caractériel
- avoir du caractère, c'est en faire également preuve face à ses chefs. Ayant servi dans l'armée de terre, j'ai aussi été sous les ordres de chefs caractériels, je maintiens, quand bien même cela déplaît.

* diffamatoire
- non, relisez ce que j'ai écrit.

* le militaire est contraint par la loi d’obéir aux ordres illégaux excepté s’ils sont « de nature à porter gravement atteinte à un intérêt public ».
- donc, en poussant le raisonnement jusqu'au bout, comme l'incendie de biens privés ne porte pas atteinte à un intérêt public, il est donc permis, bien qu'illégal ? On dit que la Wehrmacht a fusillé et écrasé sous les chenilles de ses Panzers des tirailleurs sénégalais en 40 au simple motif qu'ils étaient noirs. Comme aucun intérêt public n'était en jeu, les auteurs de ce... forfait sont absouts ?

* refuser harpie, vigipirate, etc.
- si ces missions ne sont pas menées pour l'intérêt supérieur de la Nation (L 4111-1), alors que visent-elles ?

L'exercice du commandement est une de mes réflexions, mais cette affaire a résolu une question que je me posais depuis un moment : y a-t-il une éthique spécifique à l'officier, ou n'y a-t-il qu'une éthique militaire générale (sans distinction de grade, je précise ;-)
Oui, cette affaire montre qu'il y a une éthique spécifique à l'officier, responsable de ses subordonnés (quel que soit leur grade) qui impose notamment de ne pas engager leur responsabilité. Et c'est ce qui fait que l'armée n'est pas, comme certains anti-militaristes le disaient, "l'école du crime".

5. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par

Merci pour le lien !! Et non, je ne suis pas les statistiques de mon blog (en même temps... c'est pas vraiment un blog, j'avais tenté l'aventure mais sans régularité c'est la mort assurée) du coup je découvre l'attention par le biais de twitter (et la boucle est bouclée!) qui il est vrai me sert de "liste de lecture" grâce à la veille attentive d'@egea_blog et de @lesignaleurblog, entre autres !!

6. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par

L’anonymat sur les blogs est un vrai problème : l’anonymat permet à n’importe qui de raconter n’importe quoi en se faisant passer pour militaire et de cette façon l’anonymat ouvre une brèche en faveur de ceux qui voudraient discréditer la profession. Le procédé a été plusieurs fois utilisé sur le blog de JDMerchet par des provocateurs. Les militaires savent détecter le faussaire (c’est-à-dire détecter le pékin qui se fait passer pour militaire), mais il n’en est pas de même des lecteurs civils qui peuvent s’y tromper.

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Sur le fond de l’affaire qui nous occupe : dans mes commentaires ci-dessus j’ai fait une erreur concernant le statut, erreur que je rectifie maintenant. Cette rectification ne modifie pas, mais au contraire renforce, ce que je disais précédemment. Le statut militaire ne comporte pas la restriction « et de nature à porter gravement atteinte à un intérêt public ». C’est le statut fonctionnaire de 1983 (en vigueur actuellement) qui la comporte. J’ignore le pourquoi de cette différence, alors que les militaires et leurs armes sont, plus que les fonctionnaires, en situation de porter gravement atteinte à un intérêt public (en clair : faire un coup d’Etat). Il reste qu’au regard des textes en vigueur le militaire est tenu de refuser un ordre illégal, quelles que soient les conséquences de cet ordre et même si l’illégalité est anodine. Par exemple si le chef de bord d’une VL prescrit à un conducteur de stationner son véhicule sur un passage piétons, le fonctionnaire doit exécuter cet ordre illégal parce qu’il ne porte pas gravement atteinte à un intérêt public (c’est probablement le cas de toutes les illégalités qui sont du niveau de la contravention), mais le militaire doit refuser cet ordre au seul motif de son illégalité. Les textes sont donc à modifier mais en attendant qu’ils le soient on est dans l’incohérence.

En ce qui concerne les plans vigipirate, harpie, l’appréciation de leur illégalité est délicate. Pour moi elle est certaine mais seul le Conseil d’Etat est habilité à en juger. Concernant polmar, l’illégalité me semble flagrante parce que cette tâche, qui se fait sans armes, ne consiste ni à préparer ni à assurer la mission par la force des armes.

Le problème pour le militaire dans chaque cas, comme d’ailleurs dans l’affaire Mahé, c’est que l’illégalité est toujours discutable et que seul un tribunal peut l’apprécier. En situation sur le terrain, c’est rarement clair et l’ordre doit donc être exécuté parce qu’il n’est pas « manifestement » illégal, même si par la suite on est convaincu de son illégalité : trente ans plus tard, je suis encore à me demander si j’ai donné, ou si j’ai exécuté, des ordres illégaux. J’en suis certain en ce qui concerne ma participation à un plan polmar (sans autre formation que militaire, je n’avais aucune notion juridique à l’époque) mais pour le reste, c’est toujours flou.

Enfin, « monclarsuperstar » pose la question d’une éthique différente selon le grade. A mon avis, il n’y a pas de différence selon le grade. Je suis très circonspect sur la notion d’éthique lorsqu’elle tend à remplacer la notion de légalité parce que l’éthique pose des règles qui sont très mal définies, non écrites et auxquelles le manquement est, par conséquent, difficile à sanctionner.

On peut laisser tomber l’éthique parce que ce n’est que du baratin sans efficacité. Il faut au contraire que la formation juridique des militaires soit renforcée : j’ai constaté au moment de ma reconversion mes énormes lacunes dans le domaine juridique et rétrospectivement les risques que ces trous dans ma formation militaire m’avaient fait courir. Pour passer des concours administratifs j’ai dû m’intéresser de près au statut fonctionnaire et c’est pourquoi, encore aujourd’hui, je découvre des différences avec le statut militaire que j’ignorais.

Aujourd’hui, quelques uns de nos camarades sont aux Assises parce que la formation juridique dispensée par les écoles militaires est insuffisante, ainsi que la mienne et quand j’étais sous l’uniforme. Ce n’est pas sous anonymat que je l’affirme.

7. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par MonclarSuperstar

Je voudrais préciser quelques éléments :
- anonymat : sur ce sujet, il m'est effectivement pratique, pour des raisons qui me sont propres, cependant il ne vise que les lecteurs.

- refus de l'ordre illégal : l'exécution de tout ordre illégal est à refuser, que l'on soit fonctionnaire, militaire ou autre, sinon à quoi servirait la loi ? Car à la légalité s'ajoutent la hiérarchie des normes (ma parole de chef n'a pas une valeur supérieure à celle de la loi) ainsi que la responsabilité personnelle, qui toutes deux préservent de l'incohérence. L'affaire Mahé en est un bon exemple, où le colonel affirme avoir reçu un ordre illégal alors que le général proteste de son innocence. Regardez le film "des hommes d'honneur". On y voit le colonel tenter de finasser avec l'avocat en expliquant qu'il n'a pas pu donner d'ordre illégal, car il veille, ici, à Guantanamo, face au péril rouge cubain (c'était avant qu'une prison ne s'y installe) mais finit par craquer lorsque l'avocat le prend à son jeu du dernier rempart de la civilisation.
Conclusion (personnelle) de ce film : personne ne revendique d'avoir donné un ordre illégal lorsqu'on se trouve devant un tribunal.
Conclusion extensive (et tout aussi personnelle) : il faut refuser d'exécuter un ordre illégal, car devant un magistrat :
1° votre chef ne vous couvrira plus (en 1170, le roi d'Angleterre s'est toujours proclamé innocent de l'assassinat de Thomas Beckett, alors qu'il était roi...)
2° chacun reste responsable de ses actes, quand bien même ils ont été commandés par un tiers.

- Vigipirate ayant pour but la défense des intérêts supérieurs de la Nation en dissuadant la commission de tout acte terroriste, je vous souhaite bonne chance pour prouver son illégalité. Et si tel était le cas, ne pensez-vous pas que des recours auraient déjà été déposés ? Idem pour les autres missions, polmar devant vraisemblablement relever de l'action de l’État en mer, confiée en partie à la Marine. Au fait, la Marine, si ces missions étaient illégales, pourquoi est-elle (ou a-t-elle été) dotée de patrouilleurs dits de service public ?

- "sur le terrain, c'est rarement clair". Certes, mais il appartient alors au chef de s'exprimer par des ordres clairs qui n'engagent pas la responsabilité de ses subordonnés. Le tuer n'était pas manifestement illégal ? Quels sont les pays pour lesquels achever un prisonnier est légal ?

- et c'est ici que légalité et éthique se rejoignent, quand bien même vous l'estimez être un baratin sans efficacité. Car si je doute de la légalité d'un ordre, l'éthique doit être un des éléments qui guident ma prise de décision. L'éthique ne remplace pas la légalité, mais la seule observance de la loi ne suffit pas à guider l'action. Sinon, bunga bunga (avec des majeures) et autres hôtels dans les pays du monde ne devraient poser aucun problème, même lorsqu'on a des responsabilités (très) voyantes.

8. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par

Le plan polmar est un bon exemple d’utilisation de l’armée de terre en contradiction avec la loi. L’armée de terre seulement parce qu’en ce qui concerne la Marine des textes particuliers font qu’elle n’est pas assujettie en tout temps à l’article 1er de la loi de 1972. Ainsi elle participe légalement à l’action de l’Etat en mer avec des moyens plus lourds (sans usage des armes, toutefois) que les autres administrations concernées : Aff-Mar, douanes, gendarmerie… c’est pourquoi la Marine surveille le rail d’Ouessant et sous-traite une partie de cette mission à une société privée, « l’Abeille » bien connue. La Marine surveille en parfaite conformité à la loi la pêche dans nos ZEE. Elle édite et vend d’excellents documents nautiques à destination de tous les usagers de la mer. Ces missions se font en parfaite conformité à la loi bien qu’elles ne correspondent pas à l’article 1er de la loi de 1972. La situation juridique particulière de la Marine justifie qu’elle s’appelle « Marine nationale » et non « armée de mer », au contraire de l’armée de terre et de l’armée de l’air. Dans ces conditions, il est légal d’envoyer des marins équipés d’une pelle et d’un seau nettoyer les plages polluées car ces plages font partie du domaine maritime. Au contraire y envoyer l’armée de terre est illégal : loi de 1972, article 1er, la mission des Armées est de « préparer et assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation ». L’on démontrera difficilement que le nettoyage des plages correspond à cette définition.

Les militaires de l’armée de terre et, le cas échéant, de l’armée de l’air ne sont pas conscients de cette illégalité parce que les concours d’entrée et l’enseignement dans les écoles militaires font totalement l’impasse sur la formation juridique. Pour justifier cette impasse systématique on peut toujours dire « nul n’est sensé ignorer la loi », mais c’est trop facile. Le militaire étant tenu de refuser les ordres illégaux (même s’ils ne sont pas de nature à porter gravement atteinte à un intérêt public), le moindre des devoirs de l’Institution serait de donner une formation juridique aux militaires. Elle s’y refuse parce qu’alors les militaires commenceraient à contester beaucoup d’ordres : polmar d’abord, manifestement illégal pour l’armée de terre et l’armée de l’air, mais aussi la plupart des opex jusqu’en 2005, et toutes les missions qui ne correspondent pas à l’article 1er de la loi de 1972 jusqu’à ce que le Conseil d’Etat juge qu’elles sont conformes. Les militaires, s’ils avaient une formation juridique, contesteraient aussi le fameux « devoir de réserve » qui n’a aucune définition légale.

Par suite de l’absence de formation juridique, chaque militaire a pris l’habitude de considérer que ses chefs sont plus compétents que lui pour apprécier la légalité d’un ordre. C’est le cas notamment dans l’affaire Mahé parce que l’on envoie dans le chaudron ivoirien une unité de montagne qui n’a aucune expérience de l’Afrique intertropicale. On la place sous les ordres d’un général qui est, lui au contraire, un habitué de l’Afrique : ses subordonnés croient que l’ordre donné par un tel briscard est nécessairement légal. C’est seulement par la suite que, sous l’effet des enquêtes et des questions qu’on leur pose, ils comprennent que l’ordre n’était pas légal.

Henri Poncet soutient mordicus qu’il n’a pas donné l’ordre. C’est possible : il peut avoir fait une réflexion à voix haute qui a été prise pour un ordre. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas donné d’ordre écrit ni enregistré. Sûr aussi, d’après la documentation ouverte et détaillée que l’on trouve dans la presse, qu’apprenant la mort de Mahé, il n’a pas été surpris, il n’a pas demandé le pourquoi du comment, il n’a pas déclenché d’enquête de commandement. Habituellement, un général mécontent « constate, s’en étonne » et tout le monde autour de lui commence à tousser. Rien de tel ici. Peut-être parce que Mahé n’était rien ni personne pour le général ? Non : il préférait Mahé vivant que mort, dit-il. Donc il connaissait Mahé mais n’a pas réagi à l’annonce de sa mort. Il y a une incohérence entre « vouloir s’emparer de Mahé vivant » et ne pas réagir à l’annonce de sa mort. Une incohérence que seul un mili peut capter et qu’un juge d’instruction civil, qui examine cette affaire comme si c’était du droit-commun, ne relève pas : non-lieu pour le général qui affirme qu’il n’a pas donné l’ordre.

Cette affaire va modifier les relations hiérarchiques dans l’armée de terre où l’on va désormais tout enregistrer comme dans la Marine et dans l’Aviation.

Par conséquent l’Institution est plusieurs fois coupable dans cette affaire.
- Coupable de négliger la formation juridique de ses personnels tout en exigeant de chacun qu’il sache détecter l’illégalité d’un ordre. D’autant plus coupable en mai 2005 que le statut a changé en mars, deux mois plus tôt, pour exiger que le militaire agisse « dans le respect des règles du droit international » (article 17 du nouveau statut) mais sans donner au militaire la moindre formation en droit international. Cette formation en droit international serait un complément indispensable à la formation juridique générale mais celle-ci est déjà inexistante.
-Coupable de commettre elle-même des illégalités en assignant des missions (comme polmar) qui ne sont pas conformes au statut de 1972. Polmar est un bon exemple d’une mission illégale que nous avons tous fait sans voir son illégalité et que nous aurions dû tous refuser en application du statut.
-Coupable d’envoyer sur un théâtre d’opération particulièrement délicat comme la Côte d’Ivoire en 2005 des unités où la totalité de l’effectif et de l’encadrement est novice sur ce genre de terrain.
-Coupable de n’avoir pas vérifié, avant le départ, l’aptitude opérationnelle des unités et notamment l’état d’esprit de l’encadrement.

En ce moment, beaucoup de militaires et d’anciens militaires s’abstiennent de donner publiquement leur avis sur l’affaire Mahé qui pose pourtant beaucoup de vieilles questions destinées à être enfin résolues et non plus esquivées.

Du fait que les questions posées par l’affaire Mahé sont essentielles, je n’ai pas cette fausse pudeur qui consiste à ne rien en dire sous prétexte qu’il faut laisser les juges tranquilles juger tranquillement. Des faits incontestables dévoilent aussi des dysfonctionnements judiciaires : non seulement le dossier a été communiqué à la presse avec beaucoup de détails avant l’ouverture du procès. Mais aussi, encore plus choquant, la presse fut informée dès 2005 avant tout début d’enquête.

A l’égard du secret de l’instruction les Grands Muets ne doivent plus avoir de pudeurs de rosière effarouchée craignant de parler sans en avoir le droit. Sur ce point, je suis d’accord avec le pseudonommé MonclarSuperstar qui ne souhaite pas, lui non plus, rester muet.

L’exposition sur la place publique d’une affaire judiciaire en cours est devenue tellement coutumière que le journaliste JDMerchet va jusqu’à affirmer (le 27 novembre) que « c’est (le Général Thorette) qui a porté l’affaire à la connaissance de la justice et, par conséquent, du public. » On apprécie le « par conséquent » : ce serait donc devenu normal qu’une affaire portée devant la justice soit aussitôt connue du public, avant toute enquête c’est-à-dire sur la base de simples rumeurs. Dans ces conditions, le secret de l’instruction n’existant plus, on aurait tort de ne pas faire connaître une appréciation sur une affaire en cours. Ce que je fais ici.

9. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par

Il faut revenir sur l’affaire Mahé parce que le jugement du 7 décembre 2012 règle ce qu’il devait régler mais ne résout pas un problème de fond qu’il faudra pourtant résoudre : la question des ordres dont le subordonné doit, dans l’instant, évaluer la légalité. Je vais tenter d’apporter quelques éléments de réponse : comme tous les anciens des opex, j’ai reçu, exécuté, donné, des ordres qui me sont apparus illégaux par la suite, illégaux mais justifiés, et de ce fait la question n’est pas nouvelle pour moi. L’histoire dont je témoigne en lien dans ma signature peut se lire comme un fait d’armes mais ça devient beaucoup moins simple si l’on en fait une analyse judiciaire.

Le jugement du 7 décembre dernier évoque (à juste raison) la « situation exceptionnelle ». L’on doit donc déjà se demander ce qui se passera en situation normale et surtout quelle est exactement la limite entre « situation exceptionnelle » et « situation normale » alors que, par nature, les situations dans lesquelles le gouvernement envoie les militaires sont des situations anormales.

Circonstance aggravante, l’habitude est prise, chez le personnel politique, de placer les militaires dans des situations anormales avec des moyens normaux, c’est-à-dire des directives et des matériels inadaptés.

L’actualité nous fournit un nouvel exemple de ce décalage qui défausse le décideur politique de ses responsabilités, transférées aux militaires sur le terrain : on entend parler, en ce moment, d’un projet d’intervention au Mali où 400 de nos soldats iraient faire « de la formation » et « de la logistique ». C’est-à-dire qu’ils n’auront pas le droit d’affronter les bandes rebelles et qu’ils n’auront aucun moyen si ces bandes rebelles prennent l’initiative d’attaquer : pas de drones pour voir venir, pas d’autorisation d’ouvrir le feu en premier, les pires conditions d’engagement pour nous.

Le scénario qui s’annonce au Mali ressemble étrangement à celui de Tacaud au Tchad en 1978 et la modification du statut en 2005 n’y change rien : désormais autorisé à faire usage de ses armes « lorsque c’est nécessaire à l’accomplissement de sa mission », le militaire continue d’être désarmé si sa mission est de la formation ou de la logistique où l’usage des armes, évidemment, n’est pas nécessaire. Sur le terrain extrêmement ouvert du Sahel où les rezzous à longue distance sont faciles, il n’y a pas de séparation bien nette entre une zone de combats et des zones de formation ou de logistique. En 1978 au sahel tchadien, nous faisions en principe de la formation et de la logistique jusqu’à ce que les pertes dans nos rangs justifient que nous prenions le combat à notre compte. De façon illégale car notre mission n’était pas de combattre.

Le problème de fond que le jugement du 7 décembre ne pouvait pas résoudre, c’est celui de la malhonnêteté du Politique qui abuse du dévouement du Soldat. Je ne suis pas sûr que ça va durer.

10. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par MonclarSuperstar

Je ne suis que partiellement d'accord avec les remarques précédentes.
L'affaire Mahé devrait susciter une réflexion profonde au sein des armées, mais principalement sur le style de commandement et pas tant sur la culture juridique des militaires.
Mais bon, faisons les choses dans l'ordre et revenons donc à l'affaire elle-même.

1° Henri Poncet "peut avoir fait une réflexion à voix haute qui a été prise pour un ordre. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas donné d’ordre écrit ni enregistré."
* Henri II non plus n'a pas donné d'ordre, il aurait simplement déclaré devant ses sbires "mais qui me délivrera de Thomas Becket ?" Ce qui conduisit ledit Thomas à "rendre son âme à Dieu", mais un peu contraint, forcé et par anticipation quand même. Ici, nul besoin de culture juridique, juste un soupçon de culture historique. Un général en chef se doit de savoir que le moindre de ses désirs pouvant être interprété comme un ordre, la prudence de ses propos est requise.
* Si tous les ordres doivent être écrits ou enregistrés, la réactivité nécessaire à une armée en opérations en pâtira. Nous sommes là dans le domaine de la confiance : un subordonné peut-il faire confiance à son chef ? Posant cette question, je la sais iconoclaste, car pour beaucoup, la confiance du subordonné envers son chef semble un prérequis.

2° Je suis content de voir qu'Yves Cadiou partage mon avis (non exprimé jusqu'alors) de l'incohérence de l'attitude du général : il veut que Mahé revienne vivant, mais il arrive mort, alors, grosse colère dont il est réputé coutumier ? Non, tant pis et paix à son âme. Mais là où je ne suis pas d'accord, c'est que tout juge prenant le temps d'instruire l'affaire (octobre 2005, décembre 2012, soit environ 7 ans si je ne me trompe pas trop) est en mesure de déceler l'incohérence.

3° Ce n'est pas au subordonné d'évaluer la légalité d'un ordre qu'il reçoit mais à celui qui le donne de s'en assurer. Sinon, il engage la responsabilité de ses subordonnés, et, passez-moi l'expression, ce n'est alors plus un chef mais un salopard. D'où la spécificité de l'éthique de l'officier qui doit, de par sa formation et les fonctions qu'il exerce, prendre davantage de paramètres en compte que le sous-officier ou l'homme de troupe.
D'ailleurs, si j'ai bien suivi, il semble que le colonel se soit abstenu de transmettre cet ordre en suivant la voie hiérarchique car le capitaine lui en aurait fait remarquer l'illégalité.
Feu le colonel Argoud, en Algérie, faisait fusiller des HLL (selon le terme de l'époque) mais ne s'est jamais soustrait à ses responsabilités. On peut penser ce qu'on veut de son action tant militaire que politique, mais voilà un chef qui savait que l'ordre donné était illégal et ne s'est pas défaussé sur ses subordonnés puisqu'il assistait à certaines (toutes ?) exécutions capitales.

4° Abuser du dévouement du soldat. Oui. Un peu. Beaucoup. Passionnément. A la folie ? Cependant on se rend compte que les responsables politiques dont un proche est dans les armées sont plus avares du sang de leurs soldats. Un des fils de la reine d'Angleterre était au front pendant la guerre des Malouines, un de ses petits-enfants l'a été en Afghanistan. Mais cela n'exonère pas les chefs de faire remarquer l'incongruité, voire l'incohérence, des missions confiées.

5° Aucun des accusés du procès d'assises n'a protesté qu'il ignorait l'illégalité de l'ordre tant donné que reçu. Il faut leur en savoir gré.

Je déduis de tout cela que la question de la culture juridique n'est pas prioritaire.
Il est bon que les officiers en aient une, mais comment enseigner l'amour et le respect du subordonné ? Si je l'aime et le respecte, si sans cesse je veux qu'il se perfectionne (tant professionnellement qu'humainement), alors je ne le placerai jamais dans une situation inextricable. Alors seulement je serai un chef digne de ce nom.

11. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par yves cadiou

Globalement d’accord avec le commentaire n°10, je voudrais cependant nuancer les points 3° et 5°.

Point 3 : au regard de la loi, référence pour un tribunal, le subordonné doit évaluer la légalité d’un ordre. Il y a cinquante ans, un certain nombre de procès ont eu lieu après les putschs. Beaucoup de putschistes s’étant abrités derrière l’obéissance aux ordres, la clause de refus d’un ordre manifestement illégal a été ajoutée dans les textes vers 1962. Actuellement c’est l’article 122-4 du Code Pénal qui s’applique : « N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal. » Le statut modifié en 2005 ajoute que le militaire doit agir « en conformité avec les règles du droit international ».

C’est évidemment irréaliste car les militaires, qui sont d'excellents techniciens de la mise en oeuvre des armes, ne sont pas en même temps des juristes pointus. C’est pourquoi je mentionne qu’on s’apprête à nous faire au Mali prochainement le coup qu’on nous fit au Tchad en 1978 et en 2008, ainsi d’ailleurs qu’à chaque opex : le personnel politique esquive sa responsabilité et la transfère sur le Soldat en prononçant des missions qui ne signifient rien : "aide logistique" (Tchad, Mali), "lutte contre le terrorisme" (Afghanistan, vigipirate).

Point 5 : au moment du procès, les accusés étaient convaincus de l’illégalité de l’ordre mais je ne suis pas du tout sûr qu’au moment des faits ils aient su que l’ordre était illégal. Probablement ont-ils acquis cette conviction au cours des sept années d’enquêtes et d’interrogatoires qu’ils ont subies.

Je suis d’autant sensible à cet état de fait que moi-même, ce fut seulement après de nombreuses années et un complément d’études en vue de ma reconversion que j’ai su que notre action au Tchad en 1978 / 80 n’avait pas été conforme aux accords franco-tchadiens de 1976, notamment à leur article 4, légalisés par un vote parlementaire de ratification. L’article 4 des accords franco-tchadiens de 1976 stipule que les militaires français feront de la formation et de la logistique sans participer aux combats. Plus récemment l’intervention au Tchad en février 2008, faite en application des mêmes accords de 1976, était tout autant illégale qu’en 1978. Pas un des militaires concernés n’avait conscience de cette illégalité, faisant confiance à ses chefs pour la légalité des ordres.

Par conséquent il faudra, tôt ou tard, que le Politique s’explique sur les ordres qu’il donne à nos militaires. Dans une démocratie qui fonctionnerait correctement, ces explications seraient demandées par les Parlementaires au Gouvernement et celui-ci serait congédié en l’absence d’explications convaincantes. Ce n’est pas le cas.

Mais j’arrête pour cette année. On y reviendra.

12. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par Colin L'hermet

Bonjour,

@Y.Cadiou
Monsieur, je suis entièrement de votre avis sur bien des points. Je me sais bien mal placé pour préjuger du fond comme de la forme de l'affaire Mahé-Poncet.
Mais deux observations me viennent sur votre démocratique conclusion en comment.11 : le fait que le pouvoir parlementaire pourrait exiger des explications du gouvernement, et le congédier devant l'insuffisance-déshonnêteté de ses réponses.
Ce pouvoir, au centre des 3eme et 4eme rép., n'existe justement plus par choix constitutionnel de la 5eme. Un régime présidentiel où le démocratisme aura été supplantée par le républicanisme, un bicamérisme croupion à mesure qu'il abdique ses (quelques rares) responsabilités au bénéfice des arrangements politiques.
Et, comme en contradiction, un mouvement inverse de morcèlement de la puissance publique au bénéfice d'une démultiplication d'instances censément indépendantes qui ne parviennent qu'à diluer la notion de l'intérêt général dans la somme des intérêts particuliers.
Le politique n'est plus formé pour savoir endosser la difficulté du monde, ou plus précisément il s'est formé à une honteuse prudence à mesure que la société se dotait d'outils pour mesurer et invoquer la responsabilité des dirigeants. L'école méritocrate qui a réussi à supplanter l'ENS et X-Mines-Ponts, tout en tenant HEC à distance, dans le monopole de la fourniture des "élites", produit aujourd'hui de ternes dirigeants qui n'en ont que les émoluments mais pas la fibre.
Le pire étant qu'on y entre dans un état autre que celui dont on en sort : l'Etat fabrique ses briques primordiales ; elles sont toutes aux mêmes cotes.
Je ne vous recommande donc pas "Promotion Ubu roi, mes 27 mois sur les bancs de l’ENA" par O.Saby, vous dépenseriez de l'argent pour lire ce que vous savez déjà...

Et ces soi-disant élites ont contaminé progressivement tous les cercles de décisions-responsabilité qui s'organisent finalement en mimétisme de ces premiers cercles irresponsabilisés.
Comme la guerre, prolongement du politique dans la conduite des relations internationales, l'Armée est (et de plus en plus avec les mesures d'exception type Vigipirate, "continuum sécurité-défense" et autres OpEx ad hoc sous mandat du CSNU) un prolongement du gouvernement-Etat dans la régulation de la distribution d'une violence légitime.
Faute de sensibilisation juridico-philisophico-politique, les Armes sont donc promises à être encore longtemps employées comme outil inintelligent, mais robuste, à une époque où l'on communique en direction du vulgum pecus paradoxalement sur des "armes intelligentes".
Vexant et déstabilisant.

Quoi de plus normal alors que de voir pulluler(puruler) les saisines judiciaires sur le champ autrefois clos du militaire ? Il faut bien que la responsabilité atterrisse quelque part, comme le mistigris ou la patate chaude, et comme le politique sait à merveille s'en dépêtrer, que les hauts cadres le singent, on va descendre progressivement une chaîne de commandement jusqu'à trouver l'acteur-lampiste incriminable.
Et comme des gens affirment et pensent encore aujourd'hui sans plaisanter que "réfléchir c'est commencer à désobéir" la gent militaire n'a pas fini de souffrir si elle ne trouve pas un moyen de ruer dans les brancards à la faveur d'affaires comme celle-ci.

Bien respectueusement,
Colin./.

13. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par MonclarSuperstar

Il me faut donc préciser ma pensée, et davantage détailler mes propos.

Point 3 : bien sûr que le subordonné est responsable devant la loi des ordres qu'il exécute et qu'il ne peut se prévaloir, à tout bout de champ, de l'exécution d'un ordre reçu. Cependant, lorsque je dis que c'est au chef de s'assurer de la légalité de l'ordre, j'estime que cette précaution est de son devoir, et qu'il ne doit pas la transférer à son subordonné. Sinon, c'est trop facile.
Il se peut cependant (cas théorique à ne pas exclure) que le chef pense que son ordre est légal et son subordonné pense l'inverse. Que faire alors ? Si le chef a la confiance de son subordonné, alors ce dernier pourra lui exposer ses doutes.
Quant au 122-4, il précise bien que l'ordre doit être "manifestement illégal" et non simplement (si on peut dire) illégal. La nuance n'est pas neutre.

Du coup, nous pouvons enchaîner avec le

Point 5 : si l'ordre donné et reçu était légal (ou n'était pas manifestement illégal), pourquoi les accusés ont-ils reconnu avoir été mal à l'aise tant qu'il n'avait pas été exécuté ? Pourquoi tant de précautions oratoires pour transmettre un ordre si on est persuadé de sa légalité ? Parce qu'il engage la vie d'un homme ? Mais le chef a-t-il ces mêmes scrupules lorsqu'au combat il commande l'ouverture du feu ?
Tuer des hommes au combat fait partie de la guerre. Est-ce qu'achever un blessé avec un sac plastique en fait partie ? Même s'il n'y a pas de grande culture juridique dans les armées, je crois que tout le monde a entendu parler des conventions de Genève et de la protection des blessés. Alors ?
La différence entre l'affaire Mahé et les interventions au Tchad (que je ne maîtrise pas donc ne disséquerai pas) tient donc au caractère manifestement illégal de l'ordre.
Achever un blessé est manifestement illégal.
Prendre part à une opération dont on ne maîtrise pas les ressorts du déclenchement est peut-être illégal, mais ne l'est pas manifestement.

Meilleurs vœux à chacun.

14. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par yves cadiou

L’affaire Mahé est (ou plus exactement « devrait être ») un cas d’école. J’y reviens pour continuer d’en tirer les enseignements car il faudra en tirer tous les enseignements à cause des nombreux problèmes, trop longtemps esquivés ou niés, qu’elle révèle.

Cette affaire est le résultat d’un défaut d’adaptation de nos armées aux règles qui de la société réelle, d’un blocage, d’un repli craintif sur ses propres valeurs, sur une « éthique » qui n’a pas cours hors de l’institution. Ethique à cause de laquelle, parce qu'elle semble suffisante, on se permet de faire l'impasse sur l'enseignement de la loi dans les écoles militaires. Ce défaut d’adaptation est d’autant incompréhensible que nos armées font preuve, depuis cinquante ans et plus, d’une faculté d’adaptation dont on ne trouve pas l’équivalent dans les services publics civils.

Dans l’affaire Mahé, l’illégalité n’a pas commencé par un meurtre. Le seul fait de détenir quelqu’un sans que cette détention ait été décidée par un juge (ou par un officier de police judiciaire dans le cas de la garde à vue en attendant la présentation à un juge), c’est déjà illégal : en droit français, c’est le crime de « séquestration ». Personne, dans la hiérarchie (celle de Licorne comme celle de Paris) ne nie cette séquestration ni ne semble s’être avisé de son caractère criminel.

La liberté d’aller et venir est la première liberté républicaine, symbolisée par la prise de la Bastille et sa destruction. Si vous avez participé à une opex ou l’on faisait des prisonniers, vous avez été complices d’un crime. Les militaires ignorent le plus souvent ces données de base (comme je les ignorais moi-même quand j’étais sous l’uniforme) parce qu’ils sont habitués à pouvoir infliger ou subir, au titre du règlement de discipline générale (RDG) des « arrêts » (arrêts simples ou arrêts de rigueur) pour sanctionner des broutilles.

J’insiste donc, au risque de radoter car je l’ai déjà écrit sur ce blog : il est urgent de donner aux militaires, en commençant par les officiers, une culture juridique suffisante. Je suis sûr que parmi les brillants préparants et stagiaires de l’EdG qui fréquentent à juste raison ce blog, on serait étonné si l’on faisait un contrôle des connaissances en droit basique.

Comme je l’ai dit plus haut, l’intervention qui semble se préparer pour le Mali (mission : formation et logistique sans participer aux combats, donc interdiction de faire usage des armes) mettra nos militaires dans une situation juridique délicate et même dangereuse.

Avec une culture juridique suffisante, les officiers poseraient au Gouvernement les bonnes questions avant d’y aller. Ce sera le cas un jour car on ne peut pas continuer comme ça.

15. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par MonclarSuperstar

Juste un commentaire rapide avant de me déconnecter pendant une bonne semaine : détenir Mahé n'est pas de la séquestration, dans la mesure où il a commis une infraction auparavant et que l'objectif de cette détention est de le remettre à la justice.
Car si l'infraction de séquestration avait été constituée, les magistrats l'auraient relevée et auraient poursuivi les accusés aux motifs de séquestration et meurtre. Ce qui n'a pas été le cas me semble-t-il.
Mais là où le débat est biaisé, c'est qu'on considère Mahé, vivant en RCI, comme assujetti au droit français. Ce qui n'est pas le cas. Par contre, les protagonistes de l'affaire, bien qu'opérant dans un pays étranger, restent assujettis au droit français.
Mais nous pourrons en reparler plus longuement si vous le souhaitez, je pourrai lire le blog (mais sans poster) dans ma thébaïde.

16. Le vendredi 30 novembre 2012, 21:12 par yves cadiou

@ 15 Nous sommes d’accord au moins sur un point : c’est qu’il ne faut pas considérer l’affaire Mahé comme close et désormais dépourvue d’intérêt. Close, elle l’est formellement mais les questions qu’elle pose restent ouvertes. Je veux parler, une nouvelle fois, de l’environnement juridique dans lequel s’effectuent les opex. On peut élargir le questionnement aux missions et tâches qui sont confiées aux forces armées sur le territoire national.

Pour revenir d’abord à la question ponctuelle de la séquestration de Mahé, l’on peut certes tenter de l’assimiler à une espèce de garde à vue mais c’est un peu hasardeux en l’absence d’OPJ (officier de police judiciaire). Surtout, si cette garde à vue préparait la présentation à un juge, l’autorité politique française devait mieux définir la mission : si Licorne était à disposition des services judiciaires ivoiriens (services qui ne présentent pas toutes les garanties voulues), alors il incombait au Gouvernement français de le dire clairement et d’y envoyer des OPJ et des APJ (agent de police judiciaire). La séquestration n’a pas été retenue par le juge d’instruction du TPA parce qu’il était chargé d’examiner un meurtre et non les conditions juridiques et matérielles de l’intervention des forces armées françaises en Côte d’Ivoire.

Depuis cinquante ans, notamment depuis les années soixante-dix et de plus en plus, l’habitude est prise par le personnel politique de ne pas trop se soucier de la légalité, ou non, des missions et tâches confiées aux forces armées. Du fait que l’habitude crée une sorte de droit coutumier, il est temps de réagir pour que les élus qui légifèrent et ceux qui nous gouvernent (décrets, arrêtés) se décident à assumer les responsabilités nationales qu’ils ont briguées.

Actuellement et depuis des décennies la situation est donc la suivante : d’un côté le pouvoir législatif se refuse à clarifier la situation juridique des opex ; d’un autre côté le pouvoir exécutif persiste à donner, avec des moyens juridiques et matériels insuffisants, des missions impossibles voire illégales. Par conséquent c’est le troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire, qui règlera la difficile relation du Politique et du Soldat. Non que je veuille accabler mes jeunes camarades : ils ne font qu’imiter le mauvais exemple que leurs anciens (dont je fais partie) ont donné et qui consistait à obéir, avec beaucoup d’ignorance et de naïveté, sans poser de questions pourtant légitimes, aux directives illégales données par les Gouvernements successifs.

En 2011-12 quelques présidents d’association d’anciens ont cru bon de s’offusquer, de façon pas très finaude mais très scrogneugneuse, au sujet de la « judiciarisation » de l’action militaire. Je comprends leur indignation mais je dis qu’au fond ils ont tort. Certes, nous savons tous que nos jeunes camarades qui ont été mis en examen ces dernières années pour leur action en opex ne le méritaient pas et qu’ils ont seulement eu la malchance d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Mais les actions judiciaires ont ceci de bon qu’elles permettront finalement de coincer les vrais coupables : les ministres sont justiciables.

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