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Fin de la guerre ? (1/2)

Un constat contemporain se répand : celui de la fin de la guerre. Non pas en tant qu’objet puisqu’il y a toujours des guerres, mais comme moyen efficace (donc utile) de résoudre des conflits d’intérêt.

source

La chose a plus particulièrement cours en Occident, ce qu’on appelait autrefois le Nord, ou le premier monde. Le « Sud » a moins de pudeurs et continue toujours à employer ces méthodes de barbares. De moins en moins, d’ailleurs. Et avec, lui aussi, moins d’efficacité. Toutefois, les talibans ont réussi (ou sont en train d’y parvenir) à tenir en échec la puissance américaine, entretemps partie d’Irak, où elle avait gagné la guerre et perdu la paix. Les rebelles du nord Mali viennent de faire sécession, tandis que les confins orientaux du Congo subissent, depuis de longues années, des bandes armées qui « règnent » sur la province.

Dans ces trois cas, que constate-t-on ? un Etat faible et, en fait, le plus souvent, pas d’Etat.

Désormais, la guerre ne subsiste qu’en l’absence d’Etat, dans ces zones grises qui ont tendance à se multiplier, à coup de paradis fiscaux et de démembrement et autres fractionnements. Ceux-ci s’observent aussi dans nos contrées du premier et du deuxième monde, et pas seulement du troisième, même si dans celui-ci, les sécessions réussissent (Erythrée, Somaliland, Soudan du sud, Mali du Nord, Timor, bientôt Kurdistan ex-irakien).

Dans le deuxième, en tout cas, les Etats sont là et prennent les moyens de contrer ces tendances centrifuges : ainsi des Russes dans le Caucase, ou des Chinois au Tibet et au Xinjiang.

Dans le troisième, les sécessions menacent : ce fut l’ex-Yougoslavie, ou plus récemment la lega norde en Italie (à bout de souffle à cause d’une corruption encore plus excessive que celle de l’Etat central), ce sont maintenant la Flandre, la Catalogne, le pays Basque espagnol, l’Ecosse : autant de provinces se croyant riches et refusant de payer la solidarité avec le grand tout. Forcément oppressif, alors qu’il est faible.

Car voici le paradoxe du premier monde : il ne fait plus la guerre. On m’opposera les interventions américaines : mais justement, leur peu de succès entretient tout le monde dans l’idée que la guerre est inefficace : et si c’était juste la façon américaine de conduire la guerre qui était inefficace ? On m’opposera l’intervention récente en Libye : à ceci près que ce ne fut pas une guerre, ou plus exactement une guerre totalement dissymétrique, puisque l’une des parties ne faisait pas la guerre et se laissait matraquée sans riposter ; et qu’en plus, les assaillants ne prenaient aucun risque, attaquant du ciel et ne laissant au sol que des supplétifs locaux. Dans les zones fluides, la technologie, dans les zones striées, les barbares. Bref, le premier monde ne fait plus la guerre.

Peu importe, au fond, les raisons de cette abstinence.

Remarquons simplement que si l’Etat fait traditionnellement la guerre, la guerre fait l’Etat. Et que s’il n’y a plus de guerre, il risque de ne plus y avoir d’Etat. Ce qui suscitera, logiquement, un renouveau de la guerre, dans une forme d’anarchie libertaire et individualiste qui est bien la marque du premier monde. Au fond, l’angélisme irénique nous ramène à la violence et au chaos, dans une sorte de monde hobbesien qui expliquait, déjà, que le Léviathan était le seul moyen de surmonter cette anarchie.

Voici pour la vision pessimiste. La vision optimiste constate que malgré tout, les conflits se résolvent dans une sorte de méta résilience. Qu’il y a une fin de l’histoire. Que la « bataille décisive » n’est qu’une illusion. Et que la guerre « traditionnelle » est disparue, car les conflits ont trouvé de nouvelles formes d’expression.

Cela signifie aussi que la fin de la guerre entraîne la fin du politique. L’une n’étant plus la continuation de l’autre (ou inversement), plus de guerre, plus d’Etat, plus de politique. N’est-ce pas ce qu’on observe tous les jours ?

(à suivre)

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 5 novembre 2012, 22:04 par bertrand

Bonsoir à tous, Cher Docteur,
j'écoutais sur la route l'épisode podcasté de l'émission "Répliques" (Fr. Culture) du 25/08/12. Il y a dans ce débat intitulé "le complexe d' Orphée" (ou pourquoi la gauche ne peut/sait pas regarder en arrière... autour du livre de J.C. Michéa), un passage très intéressant sur les conséquences quasi-toujours paradoxales d' une théorie politique dans son application au "complexe" (hommes, peuple, civilisation, etc.).
Par exemple, les idées libérales d'un Adam Smith et d'un J. Locke avaient plus sûrement pour objectif de renforcer la cohésion et la puissance de la nation et promouvant la libre entreprise et les libertés, la démocratie, au sortir de systèmes monarchiques. Tout le monde, même les Rad-soc d' aujourd'hui, peut trouver ces idées sympathiques ("common decency"). Or, et j arrive à notre sujet, les pères du libéralismes ne s'imaginaient pas qu'un jour, leurs théories trouveraient un développement tel qu' aujourd'hui, l'hyperlibéralisme a fragmenté la nation elle-même, voire le monde, que ce soit par ses avatars économiques ou sociétaux (identitarisme, communautarisme, etc.).
Et l'on pourrait citer comme autre exemple le fameux "paradoxe de Tocqueville" (même si dans ce cas "l'idée" initiale n' est pas de lui, mais "vue" et critiquée par lui, dans sa "démocratie en Amérique").

Docteur, votre démonstration appliquée à la polémologie me semble limpide. A trop vouloir dénier à la guerre sa nature et ses buts premiers, on prend le risque de voir ces derniers revenir en force, et pire, par surprise - déni de réalité oblige. Je suis cependant réservé sur la "méta-résilience" dans votre vision "optimiste", tant celle-ci m'évoque l'action régulatrice de "la main invisible" (du marché, ou de l'infusion universelle des valeurs démocratiques) qui reste selon moi un objet plutôt métaphysique.

Bien à vous.

2. Le lundi 5 novembre 2012, 22:04 par Christophe Richard

Bonjour, merci de cette réflexion, qui rejoint cette idée que le contraire de la guerre finalement n'est pas la paix, puisque cette dernière procède du même ordre politique, celui du léviathan, mais la violence anomique.

Bien cordialement

3. Le lundi 5 novembre 2012, 22:04 par RECCE

Le "Nord" ne fait il plus la guerre à cause de la prégnance des "Droits de l'Homme"????
Quand on lit le récit des batailles passées, gagnées ou perdues, on est frappé par le nombre de morts qui jonche le champs de bataille........Les moyens d'information actuels permettent au quidam de "voir la guerre" et de constater que c'est vraiment pas très beau...l'opinion publique sur-informée ne peut accepter de voir ces troupes tuer des gens autrement qu'en duel chevaleresque......il en va de même pour le policier en patrouille dans les zones sensibles, il n'a pas droit à l'erreur, sa peur ne compte pas, il doit agir en toute transparence dans les zones grises...
L'Occident peut il encore accepter de faire la guerre, cette "chose qui est sale"?

4. Le lundi 5 novembre 2012, 22:04 par yves cadiou

Encore un billet qui fait réfléchir et oblige à se documenter.

D’abord sur cette notion de « tiers-monde » : créée en 1952 par Alfred Sauvy, est-elle encore d’actualité ? J’apprends par wikipedia qu’il y a un (ou plusieurs) débat(s) à ce sujet http://fr.wikipedia.org/wiki/Tiers_...
Pour ma part (et sans prétendre avoir la moindre compétence pour en juger), je crois plutôt qu’il n’existe désormais que le Nord et le Sud, l’un et l’autre très diversifiés mais présentant des caractères communs.

Tout en me méfiant des classifications faites « à la louche » (je veux dire sur des critères approximatifs et contestables), je vois au Nord plutôt des Etats appuyés sur une relativement longue histoire : deux siècles et plus, ce qui place paradoxalement au Nord quelques pays de l’hémisphère sud. L’on voit au Sud des Etats récents (quelques uns situés dans l’hémisphère nord), nés au XX° siècle ou au XXI° siècle. Parmi eux l’on en voit qui peinent à naître ou à s’affirmer, à justifier leur existence en accomplissant ce qui est la mission première d’un Etat : la sécurité d’une population sur un territoire. Les séparatismes s’y expriment les armes à la main, fortement teintés d’un banditisme moyen-âgeux. Au Nord, comme vous le faites remarquer, les Etats sont souvent contestés aussi par des séparatismes, mais ceux-ci restent légalistes quoique parfois certains individus sont atteints de poussées de fièvre anarchiste un peu violentes.

Peut-on y voir une « fin de la guerre » ? Certes non (seulement à mon humble avis, toujours).

La guerre (définition personnelle), c’est l’activité de gens qui s’entre-détruisent de façon organisée pour toutes sortes de motifs, pas nécessairement au nom d’un Etat existant ou espéré. Avec cette définition la guerre est finie au Nord, à moins de cas particuliers comme le serait une nouvelle guerre des Malouines. La guerre ne perdure qu’au Sud, parfois à la limite entre le Nord et le Sud, et ne concerne pas toujours des Etats. On ne peut pas conclure trop vite à la fin de la guerre. Ce qui n’empêche évidemment pas de se poser la question.


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« Olivier Kempf se demande si la guerre est finie.
---- Quelle guerre ? Où ça, la guerre ? On ne m’a rien dit ! » s’angoisse le héron de l’Erdre que ma question affole visiblement, faisant s’entrechoquer ses genoux d’échassier. Je le rassure : « mais non, ne t’inquiète pas, c’est seulement une question théorique.
---- Ouf, je préfère ça. Ce sont des histoires terribles qu’on se transmet de héron en héronneau : les maisons qui tombent ou qui brûlent et nous obligés de rester à la campagne par prudence mais les gens qui ont faim nous tuent et nous mangent. Si Olivier Kempf (tu m’as bien dit qu’il est Docteur en Relations Internationales ?) dit que c’est fini, c’est plutôt rassurant.
---- Il ne dit pas que c’est fini, il dit qu’il faut se poser la question.
---- Déjà, si on se pose la question c’est de bon augure. » Il ajoute à voix basse : « je ne dis pas que c’est bon signe parce que l’Erdre est aussi fréquentée par des cygnes qui pourraient croire que je me moque d’eux. Ces gros canards ont mauvais caractère et seraient capables de me voler dans les plumes.
---- Mais moi, je peux le dire : c’est bon signe.
---- Pourquoi n’y aurait-il plus de guerre tout d’un coup alors qu’il y en a toujours eu ? Le soleil se lève tous les jours depuis quatre milliards d’années, ce qui fait beaucoup de fois…
---- 1460 milliards de fois que le soleil se lève.
---- (ah vous, les Trop Gros Cerveaux, vous êtes très forts pour les calculs qui ne servent à rien.) Je reprends mon idée : …et par conséquent il n’y a aucun motif que le soleil ne se lève pas encore demain. Alors depuis le temps que vous faites la guerre…
---- Cinq millions d’années.
---- Oui, depuis que vous êtes sur Terre vous n’avez pas arrêté de faire la guerre. Alors pourquoi arrêteriez-vous ? Et justement maintenant ?
---- C’est ce qu’explique Olivier Kempf : la guerre ne s’arrête pas partout (mais un jour peut-être elle s’arrêtera partout) ; pour l’instant elle semble définitivement disparue, mais avec un gros point d’interrogation, d’un certain nombre de pays parce que « désormais, la guerre ne subsiste qu’en l’absence d’Etat ».
---- Alors tu me promets qu’il n’y aura plus la guerre à Nantes ?
---- Je ne te promets rien du tout, désolé, mais je dis que c’est fort probable.
---- C’est mieux que rien. Si ça pouvait être vrai ! »

5. Le lundi 5 novembre 2012, 22:04 par

Si l’angélisme est un désir de pureté modelé par une certaine forme de naïveté teinté d’idéalisme, et que la nature ultime de la réalité repose sur l'esprit ce qui est l’opposé même du matérialisme.. Ce qui opposerait Platon à Diogène, (tant pis si je me plante, on me corrigera volontiers). J’attends avec impatience la suite de la réflexion sur la guerre et son extinction supposée.. En « priant » que l’irénisme ne soit pas une forme de démission ou de repentance tant la compréhension excuse d’avance l’immobilisme, je m’en tiendrais à un constat élémentaire, puisqu’il faut mettre des mots sur les maux, les conflits hobbesiens ne se substituent pas au conflits kantiens. Les uns et les autres se nourrissent mutuellement et s’enrichissent et la cyberguerre en est un exemple. La guerre, reste la guerre, et cela ne change pas grand-chose pour celui qui se trouve au bout du fusil. Cette guerre prend simplement d’autres formes, ainsi, la guerre traditionnelle aurait disparue ? Et pourtant, en quoi, le conflit syrien serait en soit un conflit moderne ? Alors qu’il montre tout les signes d’un conflit antique (celui de communautés qui se cherchent, celui de sociétés qui connaissent une segmentation communautaire) ; cela ressemble étrangement aux guerres qui ont eu lieu en Palestine antique y compris en ses conséquences régionales. Les révoltes des Maccabées et des Hasmonéens (167 - 63 av EC), révolte contre la dictature helléniste mais aussi guerre civile au sens moderne du terme entre deux communautés juives. Seuls les moyens ont changé et la notion d’Etat avait-elle en cette époque un sens ? Ainsi, « la fin de la guerre entraîne la fin du politique » cet aphorisme un peu leste me laisse pantois.. Quand je vous disais mon cher Monsieur Kempf que j’attends la suite !

6. Le lundi 5 novembre 2012, 22:04 par oodbae

Bonsoir,

je penche pour l'avant-dernière conclusion. La guerre traditionnelle est disparue car les conflits ont trouvé une nouvelle forme d'expression.

Néanmoins, on peut aussi se demander ce qu'il est entendu par "guerre traditionnelle".

Si on entend ainsi la confrontation de deux ou plus armées nationales sur un terrain, il me semble que cette guerre là n'a plus lieu entre états technologiquement avancés parce la puissance des armes disponibles (armes nucléaires, biologiques) donne une place prépondérante aux doctrines dissuasives, telles que l'équilibre de la terreur.
Mais entre états technologiquement attardés, elle peut encore avoir lieu, ainsi au Congo avec le soutien du Rwanda, peut-être bientôt entre la Turquie et la Syrie. De plus, des états technologiquement avancés mènent encore des guerres contre des états technologiquement attardés (OTAN-Lybie, Israel-Gaza, USA et alliés-Irak, USA et alliés-Afghanistan.

Ceci étant dit, la guerre ne doit pas forcément opposer des états, et donc pas forcément des états westphaliens. Si je prends la définition de Beaufre "la guerre est une dialectique des volontés", on cherche d'abord á identifier de quelles volontés on parle et donc de qui les possèdent.

Si il s'agit de volonté de convertir à une religion, il me semble que cette guerre a bien lieu mais qu'elle n'a pas, pas encore, pris la forme d'un conflit violent et armé. La confrontation n'a pas atteint une sorte d'état de cristallisation qui précède la confrontation militaire mais cette guerre a bien lieu, entre autres, ici en Europe. On utilise les moyens démographiques à travers l'immigration et la natalité, de la propagande à travers l'ostracisation de certaines chapelles dans le débat publique, démocratiques à travers les lobbies politiques à caractère religieux.

Si il s'agit d'acquérir des ressources naturelles ou de s'en assurer le pouvoir d'exploitation ou le droit d'exploitation, cette guerre a déjà lieu, notamment en Afrique. Certains ont suggéré qu'une des raisons de l'intervention en Lybie était l'investissement massif de la Chine dans le pétrole lybien. Si c'est le cas, on mesure la défaite puisque l'une des premières mesures annoncées par le CNT fut d'assurer que les engagements passés par rapport à ceci seraient maintenus.
Dans ce cas des ressources, ce ne sont pas seulement des états qui mènent cette guerre mais aussi des entreprises ou des consortiums d'entreprises. Des noms seraient bienvenus, mais je ne peux nommer personne avec certitude absolue. Néanmoins, il est notoire que les USA, en intervenant en Irak, ont en même temps permis la signature de juteux contrats avec des firmes américaines, telles Halliburton ( où Roomsfeld avait travaillé au CA).

Ainsi, il est possible que les états européens ne mènent plus de guerre, ou plus de guerre traditionnelle, parce que la collusion entre les états et les entreprises est affaiblie.

Cela pourrait il changer si l'UE se dotait d'une force armée plus puissante et autonome, puisque de nombreuses multinationales sont européennes, telles EADS? Selon ce postulat, faut il se réjouir que l'UE soit faible à l'international puisque cette faiblesse sabote toute entreprise de guerre militaire?

cybercordialement

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