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CR colloque IRSEM "stratégies nationales" : vers la guerre économique

Colin l'Hermet, que les lecteurs d'égéa commencent à connaître grâce à ces commentaires pertinents, a assisté au dernier colloque de l'IRSEM (Peut-il y avoir encore des stratégies nationales? (signalé par égéa). Je n'y étais pas, aussi suis-je heureux d'avoir lu son compte-rendu, et encore plus heureux de le mettre en ligne. Merci à lui. O. Kempf (NB : d'autres lecteurs m'ont signalé avoir assisté à ce colloque : qu'ils n'hésitent pas à faire part de leur impression)

source

Verbatim : En travaillant un CR du colloque IRSEM de mercredi, on parvient à peu près à une conclusion qui touche à votre dernier billet sur la guerre éco. Certes E. Delbecque, qui est le principal porteur de cet axe de réflexion œuvre pleinement dans l'IE, aussi n'est-il pas étonnant que cette spécialité rejaillissent dans sa vision des contextes propres à la stratégies ; mais c'est assez édifiant : des militaires qui pleurnichent qu'il n'y plus de guerre, ma pôv'dame, des stratégistes qui disent qu'il n'y a plus de stratégie, et un IE qui dit que la guerre est désormais éco et que sa conflictualité et son besoin de stratégie n'ont rien à envier aux bons vieux engagements... (oui, bon, je caricature, mais si peu).

reprise des interventions des tables rondes de l'ap-midi :

  • (JJ.Roche)
  • (P.Razoux)
  • (E.Delbecque)
  • (C.Grand)
  • (M.Goya)
  • (JP.Perruche)
  • (P.Manent)

Avec plus ou moins de force, la plupart des orateurs, tous spécialistes en des domaines de défense ou connexes à la défense, s’entendent pour dénoncer la diffusion d’un anxiogène discours du risque permanent et protéiforme, alimenté ad nauseam, et avec plus ou moins d’arrières-pensées, par des spécialistes de la sécurité.

Il ressort notamment que l’Europe a choisi dès 1991 de recueillir les dividendes de la paix.

Ce faisant elle "a gagné la plus grande des libertés : celle de baisser la garde" dans un contexte globalement inchangé mais où les choix politiques se doivent d’obéir à un des paramètres renouvelés notamment des contraintes systémiques accrues (JJ.Roche)

I) dividendes de la paix

Le col. M.Goya estime ces dividendes de la paix en prolongeant les lignes tendancielles de la fin des années 1980. Selon un tel exercice, de 1991 à 2010, la France aurait alors dépensé env. 200 Md € supplémentaires pour sa défense. Et elle soutiendrait en 2012 un budget d’env. 60 Md €. (M.Goya)

II) contexte globalement inchangé

Tous les orateurs s’accordent à rappeler que, jusque 1991, la polarité mondiale a été facteur de stabilité ou d’instabilité limitée-encadrée ; De même notent-ils le maintien d’une forme de centralité, comme par le passé, de l’arme nucléaire dont la relativisation de la menace laisse la place à la visibilité de menaces anciennes mais elles-mêmes un temps oubliées-relativisées. (JJ.Roche)

Autrement dit que toutes les menaces prétendument modernes n’ont que prospéré dans l’ombre des Pershing et des SS-20, et, que cette ombre disparue, les menaces sont apparues en toute lumière.

place toujours particulière de l’arme nucléaire

Le gal JP.Perruche considère que l’on continue d’assister à l’encadrement de la guerre par la question de la détention ou non de l’arme nucléaire. Pour sa part, C.Grand s’interroge sur le possible apport de la détention de l’arme nucléaire comme "un outil libération des stratégies nationales " en ce qu’il conforterait-assurerait la pensée audacieuse du stratège appelé à mener une action conventionnelle en l’exonérant de l’inquiétude de toute rétorsion. Autrement dit, la détention du nucléaire pourrait, avec le discernement qui sied à une nation responsable devant autrui et devant le droit international, permettre un dépassement de la "pensée petit-bras".

une nouvelle phénoménologie du monde

Selon les termes de JJ.Roche, cette permanence du contexte est masquée par une "nouvelle phénoménologie du monde" pour le prisme occidental au sein duquel la sécurité est (re)devenue à la fois outil et enjeu des RelInt.

sur le tropisme sécuritaire

E.Delbecque rappelle l’énoncé du "Paradoxe de Tocqueville" qui veut que l’amélioration d’un contexte rende insupportable tout résidu de l’ancienne situation, et porte naturellement à focaliser dessus. Ce serait manifestement le cas pour les affaires de sécurité, si l’on compare la mortalité contemporaine, y compris en intégrant les occurrences de terrorisme, avec l’échelle de mortalité que pouvait représenter un engagement nucléaire du temps de la Guerre froide. Le maximalisme induit par la promulgation, louable et légitime, de l’universalisation des Droits humains et des Objectifs du millénaire pour le développement, rend insuffisamment compte de la faiblesse du risque sécuritaire.

P.Manent, sans la déplorer ni s’en féliciter, note une indifférence croissante du particulier aux relations extérieures et donc à leurs outils. Selon lui, les pays marqués par la philosophie occidentale auraient cru percevoir une "unité tendancielle" chez l’Homme et en auraient développé la vision d’une horizon humain naturel de paix et de prospérité. L’idée, surhumaine, de "perturber le cours naturel des choses" porte en son sein la question du temps nécessaire à atteindre un tel horizon. Dans ce but, l’édiction d’une "contagion de la similitude" pour opérer la propagation des idées opportunément universalisées (démocraties, droits, etc) vient mettre en image une virtualité de l’action coercitive. Pourtant si l’on déconstruit soigneusement ce modèle, demeurera la question insoluble des finalités et devant quoi décider de leur légitimité.

  • prs : sur une réflexions sur les finalités humaines, cf le communication de Remy Brague à l’ASMP sur les époques de la légitimité de l’Humain

Se présente alors pour P.Manent un argument par défaut : le maintien des ensembles construits, nationaux comme supranationaux, faute de toute autre option. Et leurs stratégies pour perdurer se nourriraient de la peur du vide. Quant au mythe de l’unité tendancielle humaine, il concourt ainsi alternativement, et selon les époques, à légitimer et faciliter ou à incriminer et compliquer les stratégies coercitives.

III) matrices des choix politiques

choix politiques dictés autant par le domestique que par les RelInt

Or JJ.Roche observe que le "client final" de la prestation de sécurité n’est plus l’Etat mais le particulier, le citoyen (notion de comptabilité), voire l’Homme (notion de droit fondamental). Aussi l’acception de sécurité finit-elle par être dépendante d’un socle culturel, localisé. Débouchant sur une variété-disparité de cette acception, à l’échelon global. Et donc générant autant d’achoppements en RelInt entre les chantres d’une sécurité plus paradigmatique que réelle.

  • prs : en boucle de rétroaction, les RelInt impactent en retour la conduite des affaires domestiques (contreterrorisme, immigration, sécurité du patrimoine informationnel, protectionnisme, etc). Jusqu’à atteindre un point d’équilibre dynamique. choix, oui, mais par qui ? rôle de l’Etat ?

Tous d’évoquer la démultiplication des acteurs, débordant une structure étatique qui était historiquement placée au centre du système stratégique national.

E.Delbecque rappelle que l’Etat donne l’impression d’être réduit à des postures d’arbitrage, et de moins en moins décisionnaire net. Contre les difficultés à faire valoir l’intérêt public et émerger une idée du bien commun, pour lui, il serait nécessaire d’élever la rationalité comme un bien commun dont l’activation-usage ne serait pas strictement dévolu à l’Etat. Lequel Etat maintient, aujourd’hui, par la voie de l’administration, sa prédominance décisionnelle-arbitrale imparfaite.

  • prs : on pourrait convoquer ici Tocqueville qui observe la haine de l’administration envers qui tente de se substituer à elle.

IV) panne stratégique ?

JP.Perruche affirme que les stratégies nationales existent toujours et ont vocation à se maintenir. Néanmoins leurs modes d’expression vont-doivent être modifiés.

E.Delbecque se refuse à croire en un âge d’or, révolu, de l’indépendance et de l’expression de la stratégie nationale : il n’aurait jamais réellement existé sous cette forme fantasmée. Quant à M.Goya, il constate la permanence d’une demande stratégique, mais s’interroge sur un amoindrissement-manque de l’offre liée. Pour E.Delbecque, la problématique est donc :

  • . moins une panne de la stratégie
  • . que la vision-lecture du contexte, plus ou moins orientée.

V) des propositions

Sur cette base M.Goya avance qu’au moins une rupture est probablement intervenue dans le continuum qui préside à l’expression stratégique :

  • perception
  • réflexion
  • but
  • voies
  • moyens

Partant, la question du but et des voies se pose avec plus d’acuité. faire le clair entre indépendance, puissance et souveraineté.

Quant à P .Razoux, il oppose stratégies nationales et stratégies concertées. Il identifie 4 éléments constitutifs d’une cohérence stratégique nationale :

  • vision
  • ambition
  • savoir-faire
  • moyens

à défaut, selon lui, la Nation est contrainte de recourir à des stratégies concertées, diluées ou de club

Mais P.Manent considère pour sa part que l’indépendance n’est pas la souveraineté. L’interdépendance contemporaine des acteurs ferait que l’indépendance consisterait à avoir part à une action commune dont on est coresponsable. E.Delbecque ne peut que déplorer les formes prises par l’inscription de la question de l’indépendance dans le discours contemporain. Car si son corollaire naturel est bien évidemment la puissance, on ne saurait aborder les deux de la même manière. On assisterait via la démultiplication des acteurs-rivaux autour de l’Etat, et du fait de l’accroissement manifeste de l’interdépendance des dits acteurs, à un changement dans les modalités de l’exercice de la souveraineté plus que toute réelle "métamorphose de la puissance".

L’une de ces modalités pourrait consister en la capacité de créer de la dépendance chez l’autre. On assisterait ainsi à la mutation de la contrainte. En son sein, le volet militaire était autrefois le pivot ultime de la violence des échanges. (E.Delbecque)

  • prs : si nous allons toujours plus vers une eko nomia de flux, le flux de la violence, un temps symboliquement séparé des flux économiques, va pouvoir s’y fondre.

Nous serions à la formalisation de la guerre économique.

  • prs : il conviendrait de fouiller la différence entre dépendance et sujétion.

Auquel cas cette forme d’exercice de la souveraineté serait politiquement inaudible car incorrect dans la thématique de la gouvernance.

Colin l'Hermet

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