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Japon... trois ans après

Il y a trois ans, j'écrivais un billet où j'exposais, à l'occasion de l'accession au pouvoir du PJD, certains principes de la géopolitique japonaise. Au soir de la victoire de Shinzo Abe qui a repris la direction du PLD, quelles sont les évolutions du pays qui revient à un PLD "traditionnel" ?

source

1/ Le premier changement majeur est bien sûr la catastrophe de Fukushima.... Le Japon en tire plusieurs leçons :

  • une méfiance envers le nucléaire, qui pose la question de l'équation énergétique (cruciale dans un pays qui dépend, en quasi totalité, de matières premières importées)
  • une défiance accrue envers la classe politique, ce qui explique, en partie le choix d'un candidat "radical" comme Shinzo Abe

2/ La poursuite de la crise, rendue de plus en plus aiguë à mesure que le modus vivendi économique avec Pékin s'éloigne, et que la Corée du sud ne cesse de monter en puissance. Dès lors, le modèle japonais d'intégration des grands groupes et des autorités étatiques paraît se renforcer de plus en plus. Au fond, il semble qu'il y a comme un sentiment de perte de maîtrise économique.

3/ La facteur majeur reste toutefois le raidissement chinois : le ralentissement de ces derniers mois a été compensé à Pékin, par l'encouragement des pulsions nationalistes chinoises. Et le Japon paraît de ce point de vue comme une cible toute désignée, d'autant qu'il est considéré comme plus fragile économiquement.

  • l'affaire des îlots Senkaku ne sert bien évidemment que de prétexte à la montée des tensions
  • celle-ci intervient dans un contexte historique lourd, dans le quel le Japon n'a jamais voulu reconnaître de responsabilités ni d'excuses pour son action régionale avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale. Pékin a beau jeu d'utiliser cette constante politique japonaise.

4/ Dès lors, on observe deux tendances :

  • un resserrement des liens avec les États-Unis, ce qui passe par un mouchoir mis sur la question de la base américaine d'Okinawa, qui était au centre du débat politique il y a trois ans. Autrement dit, la ligne "asiatique" défendue il ya qq mois a laissé place à une sorte de Sainte-Alliance contre Pékin, qui apparaît désormais comme le grand perturbateur
  • une remise en cause indirecte d'un fondement de la politique de défense japonaise qui était l'affirmation d'une simple autodéfense.

5/ Remarquons que l'armée japonaise a acquis une belle popularité dans sa gestion de l'immédiat après-Fukushima. Et que Shinzo Abe a lancé la thématique électorale (visiblement approuvée par les électeurs), de remettre en cause ce principe : cela passerait par le renoncement à l'article9 de la constitution japonaise, qui affirme que le Japon "renonce" à la guerre. Autrement dit, les forces d'auto-défense redeviendraient une "armée normale". Ce qui ne change pas grand chose à l'affaire, si on ne regarde que les questions d’efficacité : elles sont déjà extrêmement bien équipées et dotée d'un des plus importants budgets de défense au monde (en valeur absolue). Mais politiquement, le geste serait très fort, et adressé d'abord à la Chine - même si les pays voisins, comme les deux Corées voire Taïwan ou la Russie, verraient l'affaire d'un mauvais œil.

6/ Nombreux sont les commentateurs qui ont évoqué les nouveaux gouvernements des principales puissances mondiales : États-Unis, Chine, Russie, France... On avait oublié le Japon, qui demeure à tout point de vue, malgré la crise économique et démographique (sa population fait montre d'une étonnante résilience et d'une admirable capacité d'adaptation), un Grand. Il reste que l'élection de Shinzo Abe renforce l'évolution marquante de ces derniers mois :

  • celui de la course aux armements actuellement en place en Asie orientale
  • celui de la montée des différends politiques, selon un régime tout ce qu'il y a de westphalien

Cette élection est en fait bien plus menaçante que le tir de la fusée nord-coréenne (voir mon billet ici).

NB : je n'analyse pas les projets économiques du nouveau premier ministre, notamment ayant trait à la politique monétaire : attendons un peu de voir, mais ce discours me paraît nouveau. Vouloir donner un objectif d'inflation à la banque centrale pour sortir de vingt ans de déflation...... Cette solution signifie qu'on mettrait fin à l'indépendance de la banque centrale : un autre tabou en train de tomber ?

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 16 décembre 2012, 22:00 par AGERON Pierre

Sur l'Asie Orientale que penser de la probable arrivée au pouvoir à Seoul de la fille du dictateur Park, qui semble tenir son père pour un héros : Corée de Sud, un glissement ver un modèle nord-coréen, surprise stratégique 2013??
ARTE reportage du 15/12
http://www.arte.tv/fr/coree-la-demo...

égéa : intéressant....

2. Le dimanche 16 décembre 2012, 22:00 par Bertrand Quiminal

Merci de nous éclairer sur cette partie majeure de notre Planète.
Empire du Soleil Levant, pays du Matin Calme, empire du Milieu...
Avec nos amis américains, quel "quarteron"!
Une triplice alors?
Le spectre d'un matin calme réunifié, économiquement puissant, nucléairement possédant, démographiquement en équilibre?
Vingt-cinq ans en arrière, qui avait parié sur un scénario où la RFA absorbait la RDA?

3. Le dimanche 16 décembre 2012, 22:00 par Gautier DREVET

On sait que la Chine énerve beaucoup ses voisins du Sud Est asiatique notamment avec sa revendication d'un "espace vital", qui entaillerait les territoires de ces derniers...
De plus les Etats-Unis cherche à se recentrer sur le pacifique (notamment avec un accord de libre échange, il me semble...)

Mais avec la mondialisation l'interdépendance est plus forte que jamais, pensez-vous que cette course à l'armement et se prosélytisme patriotique pourront tout de même mener à terme à un conflit ? Si oui sera-t-il ouvert (économique voir militaire) ou fermé (cyber attaque) ?

4. Le dimanche 16 décembre 2012, 22:00 par Ronin

Bonsoir

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous.
Le retour de Shinzo Abe aux affaires après 4 ans d'absence n'a rien de menaçant, cela démontre juste le retour de la ligne conservatrice, voulue par une nation qui traverse une période de crise difficile, accentuée par les répercussions de la catastrophe de Fukushima qui laisseront des séquelles dans l'esprit des Japonais pour encore très longtemps.
Quoi de plus normal politiquement dans un état démocratique que de voir réapparaître une ligne "républicaine" (même si le PLD n'est certes pas républicain) en contexte de crise ? L'histoire regorge d'exemples.

Cependant, même si les meilleurs journalistes du Monde parlent de future guerre en mer méridionale de Chine à horizon 2030, gardons nous des prospectives alarmistes. En effet il faut bien comprendre ce qu'est la puissance japonaise en 2012, et quelles sont ses ambitions (sa stratégie ?... je sais que vous adorez le mot !).
Appuyons nous sur les critères de Pierre Buhler :

1/ Politiquement, le Japon est stable. Il est à l'Asie ce qu'est le Royaume Uni à l'Europe : une politique insulaire protectionniste, une monarchie constitutionnelle, où le premier ministre dirige mais n'est rien sans l'Empereur. Cela fédère toujours considérablement le peuple, stabilise les opinions politiques, mais surtout donne à son armée le sentiment de la mission sacrée. C'est le socle de la société japonaise, où le Bushido reste encore profondément ancré dans les esprits (demandez à un lycéen en France ce qu'est le code de la Chevalerie, vous verrez aisément ce que l'on a fait nous les Français de Godefroy de Bouillon).

2/ Militairement, le Japon est une vraie puissance, mais qui se neutralise d'elle-même. En effet, le Japon est avant tout une puissance navale, il ne faut pas l'oublier (la 4° Marine du monde en tonnage et modernité). Pourquoi croyez-vous que le poste d'attaché de défense à Tokyo soit trusté par un marin depuis 25 ans ?... En cela le Japon a bâtit son Livre Blanc essentiellement sur sa Marine et sur ses forces amphibie, à raison d'ailleurs.
Le problème, vous l'avez soulevé, c'est le "macarthurisme" : l'esprit de la Constitution du général Mac Arthur de 1945 qui empêche le Japon de posséder une Force de projection, la condamnant à l'autodéfense. Cela évolue, certes, mais lentement : participation aux missions de l'ONU, politique du chéquier... mais les Etats-Unis ne sont pas encore prêts à laisser à l'armée japonaise son indépendance, ceux-ci se placent toujours en grand protecteur face à la menace de Pyongyang et peut-être Pékin, et plus que jamais à l'heure de la réorientation stratégique de Washington vers l'Asie (Okinawa n'est pas la seule base américaine au Japon !).

3/ Economiquement, le Japon se voit toujours comme une grande puissance, et il a raison, mais de manière pacifique. Le Japon n'achète pas de la dette publique européenne à tour de bras comme le fait Pékin, il cherche le consensus avec Pékin autour des terres rares (matières premières vitales pour les micro-processeurs japonais), il investit de manière durable en Occident. Le Japon résiste bien à la crise : certes c'est le pays possédant la plus forte dette publique au monde (2 fois celles des Etats-Unis), mais il y a une différence majeure, cette dette est détenue par les Japonais eux-mêmes, pas par les marchés. Le peuple participe lui-même à la régulation de la dette publique, et les marchés n'ont aucune influence sur l'économie du pays.

4/ Culturellement, le Japon véhicule toujours son aura à travers le monde, et fait toujours "rêver" les occidentaux, autant que les entrepreneurs. Les instituts ELT n'ont rien à envier aux instituts Konfucius, le soi disant "super soft power" chinois. Le monde a constaté une fois de plus le remarquable esprit placide et déterminé des Japonais décidés à s'en sortir après la catastrophe de Fukushima. 3 mois après la catastrophe, à défaut de replanter du riz, les Japonais ont planté du coton pour rentabiliser les terres contaminés. Combien de mois de manifestation en Occident après un tel désastre à votre avis ?... et combien de temps aurions nous dû attendre avant d'exploiter de nouveau ces terres ?...

5/ Enfin vis-à-vis des RI, le Japon est une île. Pas besoin d'être Jean-Christophe Victor pour conclure que Tokyo a donc besoin d'alliés partout dans le monde pour consolider sa place dans le concert des Nations : chercher à rester influent au sein du G20, de l'ONU, chercher le compromis avec Moscou, Pékin, consolider les liens avec Washington, le Moyen-Orient... C'est une politique tout azimuth, bien menée, qui ne s'arrête pas à ses propres frontières, erreur que commet souvent les Etats-Nations "terrestres" qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez (ah la désastreuse politique continentale européenne...).

Non, pas besoin de s'alarmer pour le moment. Tokyo cherche la stabilité. Et surtout étudie sa place au sein de la partie d'échec que commence à se livrer Washington et Pékin en mer de Chine pour les zones pétrolifères. Je penche plutôt pour la Reine auprès du Roi américain.
D'ailleurs Paris ferait bien de se réveiller s'il désire participer à cette partie d'échec, s'il ne veut pas jouer le dernier des pions dans une zone géographique capitale pour le XXI° siècle.

5. Le dimanche 16 décembre 2012, 22:00 par AGERON Pierre

C'est fait Park Geun-hye élue avec 51, 6 %...
cf. le plus long portrait dans la presse française http://madame.lefigaro.fr/societe/p...

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