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Après la manif (1)

Quand une nation aussi politique que la France organise une des dix plus grandes manifestations de son histoire, l'auteur de "géopolitique de la France" a forcément un intérêt particulier pour un tel événement : celui-ci revêt des aspects métapolitiques qui appartiennent à la géopolitique.

source (Voir surtout le calicot : "Tous gardiens du code civil")

Aveuglement des médias : Voici une mobilisation que personne n'avait vu venir, et notamment pas ceux dont c'est le métier : les médias ont été totalement surpris et oscillent entre le vert de rage (France Inter, lundi matin, c'était coton!) ou la mauvaise foi (tel Le Monde qui samedi explique que les organisateurs prédisent 350 000 et rêvent de 500.000, et qui chipote lundi soir en citant un conseiller du président, estimant que les organisateurs ont mobilisé moins que leur espérance). Comme en 2005, l'entre-soi et le conformisme intellectuel ont empêché de voir monter le mouvement. Les médias, qui sont un pouvoir (et non un contre-pouvoir, comme on le dit complaisamment) sont autant défiés que le gouvernement en place. Car le vrai contre-pouvoir est dû à la cyber-mobilisation : le 2.0 a permis ce que les structures traditionnelles d’inter médiation ne sont plus capables de faire : syndicats, associations et presse. Leur colère est aussi celle de leur perte de pouvoir.

Un cyber mouvement : Comment donc l'expliquer ? tout d’abord par des raisons techniques : la France, comme d'autres et après d'autres, a mis en place un processus de cyber-révolte. Cette manif est le résultat d'un mouvement 2.0 (et pas simplement à cause de la cyberstratégie). Il est toutefois original à plus d'un titre. En effet, les premiers mouvements 2.0 se sont rapidement arrêtés : je pense aux indignados espagnols (on s'indigne, sans programme et sans objectif clair), ou encore à la révolte des tentes en Israël, voire au Tea Party ou à Occupy Wall Street (quoique pour ce dernier cas, il s'agit d'un mouvement artificiellement gonflé, sans but précis et vaguement animé par des professions intellectuelles qui passèrent leur temps à s'étudier sociologiquement en temps que mouvement, au lieu d'agir : on lira l'hilarant article de Solo Franck dans le Monde diplomatique de ce mois qui vaut le détour !). Au fond, ce mouvement-ci fait penser au printemps d’érable, c'est-à-dire le mouvement de révolte québecois qui a lutté contre un pouvoir sourd et l'a finalement renversé.

Mobilisation 2.0, donc, mais aussi développement d'une intelligence collective grâce aux débats du web, comme au Québec, ainsi que nous l'expliquait une participante de la belle province (lire commentaire 3 de ce billet ). : "Paradoxalement, faire traîner en longueur cette grève nous a donné du temps... pour s'organiser, se renseigner sur les enjeux, en discuter, prendre position." et plus loin : "Cette "démocratie participative" est plus longue, plus compliqué à pratiquer. Contrairement à la "démocratie représentative", il n'y a pas de "leader" qui prend des décisions pour tous. Et ça, le gouvernement ne l'a pas encore compris puisque l'accusation de "fausse démocratie" revient souvent.".

Ainsi, le peuple français qui est d'abord un peuple politique, avant toute chose (voir mon livre sur la Géopolitique de la France où j'en explique les raisons) a adressé un message d'abord politique à ses représentants. La démarche est politique, ne nous y trompons pas. Pourtant, elle dépasse le clivage gauche-droite qui est totalement désuet, malgré ce à quoi les habituels journalistes et commentateurs veulent le réduire : ce n'est pas un mouvement de droite, et ce n'est pas un mouvement "à la traîne de l’Église".

Car la question n'est pas d'abord celle de la procréation, mais celle du droit, et donc du mariage. En effet, alors que certains utilisaient le pouvoir collectif (État, médias) pour soutenir des droits individuels, voici que certains ont utilisé le pouvoir individuel (la mobilisation) pour soutenir un droit collectif. Voici la double opposition qui structure ce mouvement, et qui n'a donc rien à voir avec la structure gauche contre droite. Pourquoi double ?

  • tout d'abord parce qu'elle articule l'incertitude contemporaine, liée à ce profond dilemme qui traverse tous les champs de notre vie sociale, en national comme à l'international : celui d'une individualisation toujours croissante qui contrebat toutes les structurations sur lesquels la société s'était longtemps appuyée. L'individu peut, à un degré encore jamais aperçu, vivre individuellement, en échappant aux structures sociales environnantes. La chose est évidente dans notre vie de tous les jours, elle l'est aussi dans l'ordre géopolitique où les individus comme les groupes privés (pirates, terroristes, mafias, firmes multinationales, groupes financiers) se jouent des loi et des règles pour ne faire valoir que leur intérêt privé. Et si chacun sait bien que cette individualisation avance, l'individu a en même temps besoin de structures de communauté.
  • voici en effet le deuxième point, celui qui distingue les droits : certains sont attribués à l'individu, selon une tradition politique qui remonte, entre autres, à la révolution française. Mais d'autres sont attachés à la collectivités. Il s'agit des droits collectifs qui fondent le contrat social, et devant lesquels les droits individuels doivent s'arrêter.

La confrontation des deux a toujours été malaise. Jusqu’à présent, on a toujours cru qu'il fallait aller dans le sens des droits individuels... sans s'apercevoir que dans le même temps, des droits collectifs étaient mis en place et nous bénéficiaient : sécurité sociale avant hier, régulation internationale hier, principe de précaution récemment. Autrement dit, et pour faire pièce à l'argument du "progrès du droit", le "progrès" ne va pas systématiquement dans le sens des droits individuels, contrairement au présupposé de ceux qui affirme "j'ai le droit au mariage". Il y a besoin d'équilibre, à la manière des hérissons de Schopenhauer, qui ont besoin d'être assez proches pour se tenir chauds, mais pas trop pour ne pas se piquer.

On ne reviendra pas sur les erreurs de raisonnements des arguments en faveur du mariage homosexuel (voir mon billet "le mariage, une institution?", ou les deux références placées en fin de celui-ci). Mais il s'agit d'un droit individuel, celui de "mon bon vouloir". Or, le mariage est un droit collectif qui est accessible à tous. En manifestant, je défends mon droit collectif, et que menace le "mariage pour tous". Chacun à droit au mariage, c'est exacte : chacun a droit individuellement à ce droit collectif qu'est le mariage. "JE" ne fais pas n’importe quoi de ce qui est partagé par "Nous".

Ainsi, en défendant le mariage, je défends le Contrat social contre la Suprématie de l'individu, je suis du côté de Rousseau et non de Kierkegaard (« L’Individu comme tel est au-dessus du général… ») ou de Hayek. Mais vous voyez, à ces sources, que le vieux clivage politique n'est pas le plus pertinent. Nous examinerons dans un prochain billet la perspective du clivage droite gauche, probablement erronée.

On lira avec intérêt ces deux textes de personnes que je connais depuis plus de trente ans... :

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 15 janvier 2013, 22:50 par Charlotte Nehl

N'est-ce pas un peu cocasse de prendre Rousseau que j'apprécie tout à fait, comme référent , alors qu'il a été tout sauf un modèle familial : abandonnant comme chacun le sait chacun de ses enfants ?
Certes l'esprit est là mais le fond , pas vraiment !

égéa : Rousseau est-il un modèle pour sa vie (un saint laïc) ou pour sa pensée ? Certes, la révolution l'a mis au Panthéon : mais la gloire de ce Suisse est dans sa philosophie, non dans sa vertu.

Et puis j'aime tellement user des paradoxes, n'est-ce pas ? C'est paradoxal, voire cocasse ? tant mieux, si cela fait réfléchir...

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