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Après la manif (2)

Un billet à lire en oubliant les caricatures de débat politique que nous observons en ce moment : les partis ne savent pas faire autre chose que s'amalgamer pour cliver. Même s'ils sont en totale contradiction avec eux-mêmes...

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Car je poursuis ma réflexion sur les mouvements à l’œuvre derrière la mobilisation de la manif (voir précédent billet). En effet, j'y montrais que deux mouvements s'opposent : celui voulant protéger le droit collectif, celui voulant protéger l'individu. Or, les deux courants traversent tous les partis politiques, ce qui explique le malaise de beaucoup.

Le dilemme est sensible à gauche, malgré les apparences. En effet, conformément à sa tradition, la gauche devrait protéger les droits collectifs et la cohésion sociale. Sa quête de l'égalité, son éducation collective (socialiste française du XIX° siècle, marxiste du XX° siècle), devraient logiquement l'amener à une défense du droit commun et partagé. Pourtant, elle cède à ses courants libertaires et donc ultra individualistes. C'est vrai au PS (où un certain nombre de figures politiques n'hésitent pas à exprimer leur désapprobation), et qui se voit défendre une mesure ultra libérale, celle du moi-je et du droit de l'individu, au lieu de défendre les droits collectifs.

Cette schizophrénie est visible également chez les écologistes, pourtant archétypes des bobo-perso-moraux, moralisants et moralisateurs ! Car en effet, le mariage pour tous n'est que la porte ouverte à la procréation assistée, qui est une véritable fuite en avant technologique : il y a quelque paradoxe à prôner la conservation de la nature et à prôner de violer dans le même temps la nature humaine, de prôner la décroissance tout en acceptant la fuite en avant technologique quand il s'agit d’instrumenter nos propres corps, pour son seul désir ! Alors que les écolos constituaient la seule idéologie de renouvellement de la gauche (car pour le reste, celle-ci est en panne d'idées), voici qu'ils démontrent une contradiction insoutenable.

Ainsi, les opposants devraient, au lieu de parler de "nature" à leurs adversaires (ce qu'ils n'endentent pas), leur dire qu'ils sont ultra-libéraux !

La droite ne devrait pas trop s'en réjouir, car elle n'est pas plus cohérente. Passons sur les tentatives de récupération politicienne (même si cela me ragoûte peu et si je ne me réjouis pas tellement de voir des invertébrés faire croire qu'ils ont des squelettes) : après tout, ces gens-là font leur métier, même s'ils sont en l'espèce à la traîne au lieu d'emmener : la droite qui ne cesse de parler de chefs voient les siens suivre la troupe. Signe là encore de leur faiblesse.

Mais l'affaire est le signe aussi de la contradiction de la droite, entre la droite "libérale/capitaliste" et la droite "notable-sociétale" (désolé pour les admirateurs de feu René Rémond, la théorie des trois droites n'a plus la valeur explicative qu'elle pouvait avoir jadis). Or, les libéraux sont logiquement en faveur de l’instrumentalisation des corps et du laissez faire, laissez passer. Les libéraux sont proches des libertaires de l'autre camp politique ce qui explique que certaines voies "modernes" de droite défendent le projet de loi. Tenants de l'individualisme, ils ne peuvent que mal s'apparier avec les notables sociétaux qui prônent le soutien raisonnable à des structures collectives et partagées qui organisent la société, et qui sont naturellement opposés au projet.

Quant à l'extrême droite, les médias n'ont pu que gloser sans fin sur l'apparente indécision de la dirigeante du FN : mais finalement, cette indécision était cohérente avec la diversité des courants de son parti !

L'autre dimanche, dans la rue, ceux qui défendaient les valeurs de cohésion menaient les avis, et les pensées. La droite était écartelée tout autant que la gauche, même si sa posture actuelle d'opposition rendait les choses plus faciles. Car si la gauche est en panne d'idée, que dire de la droite, dont les palinodies françaises trouvent des échos dans les élucubrations des tories britanniques ou des gens de droite d'Italie ?

Ainsi, à droite comme à gauche, il n'y a plus de structuration d'idées. Car le clivage d'autrefois ne correspond plus aux besoins de ce XXI° siècle. Le nouveau clivage, désormais, est celui opposant ceux qui soutiennent la vie collective (et donc la solidarité avec les démunis et la cohésion nationale) et ceux qui sont partisans du chacun pour soi (et donc un certain égoïsme, perso et mondialisé). Entre les partisans du droit et ceux de la dérégulation à outrance.

Pour poursuivre la réflexion, on lira notamment cette réflexion de Roger-Pol Droit, qui parvient au même constat que celui que j'exposais dans mon précédent billet.

  • PS (raison passion) : je relève dans le Monde les propos d'un manifestant : "ils (les anti) se justifient par des arguments intellectuels". Il est assez amusant de remarquer que le sentiment, l'amour, et donc la non-raison seraient "à gauche" et que la raison serait "à droite", à rebrousse poil des représentations habituelles : Mais cela ne vient que confirmer l'inanité de ces catégories que nous assènent les médias, et qui ne sont pas explicatives, encore une fois!
  • PPS (tolérance) : Accessoirement, j'observe que dans la manif des "pros", il y avait des injures et des insultes que je n'ai pas observées dans la manif des anti (qu'est-ce qu'on aurait entendu s'il y avait eu la moindre déviation..) : mais dans un cas, on a pu lire des commentaires un peu gênés du style "bon, c'était un peu en dessous de la ceinture". Oui, un peu !
  • PPPS (chiffres) : la manip des chiffres entre la manif des anti (qui n'ont multiplié "que" par 2 le chiffre de la police pour passer de 340 à 800) et ceux des pro (qui ont multiplié par 3 pour passer de 125 à 400) a fait bien rire. Tout comme ce reportage du Monde expliquant la "véracité" des chiffes de la police. Police de la pensée ? Bon, je ne suis pas un complotiste et on a rarement pris égéa à ce défaut mais d'un autre côté, les manip d'influence existent et il faut aussi les signaler.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 5 février 2013, 21:03 par

Bonjour,

Sur cette question, j'ai un peu l'impression que les deux camps cherchent à obtenir une cohésion par un clivage marqué et, tout en désignant l'ennemi (nous sommes dans le concept Schmittien), se redonner une identité propre (et par prolongement, une utilité au fond). Alors qu'en réalité, l'on sent que le sujet n'emporte pas l'unanimité des deux côtés quant à la stratégie des états-majors.

Deux réflexions complémentaires :
1) lorsque l'on avoue son impuissance sur les questions économiques et sociales, l'on se rabat cyniquement sur le sociétal. Double avantage : la ruse de guerre suffit pour masquer les vrais problèmes le temps de quelques semaines en mobilisant temps, énergie et attention ; la simple écriture d'une loi suffit sans avoir besoin de débloquer des moyens ad hoc contrairement à d'autres enjeux contemporains
2) la question du progrès est souvent revenue dans les discussions. Or personnellement, et avec un certain recul historique, j'en suis arrivé à la conclusion qu'en matière de moeurs, tout n'est que cyclique, seul le progrès technique est linéaire (sauf catastrophe qui engage une perte de connaissances ou un ralentissement conséquent).

Qui pourra me dire pourquoi je ne cesse de penser à ces querelles byzantines où l'on jugeait plus opportun de discuter du sexe des anges alors que les Ottomans s'amassaient nombreux aux portes de Byzance?

Cordialement

2. Le mardi 5 février 2013, 21:03 par

@ Y. Harrel :

Le progrès technique n'est pas non plus linéaire. La Gaule romaine fait ses poteries au tour puis la méthode est abandonnée avant d'être retrouvée au milieu du Moyen-Âge. Il faut peut être interroger l'idée même de progrès.

En passant, pour ce qui est du sexe des anges, c'est une caricature sur Byzance qui n'a aucun fondement historique. Les anges ne sont pas sexués et sont de genre (grammatical :) ) masculin. Question réglée en théologie orthodoxe bien avant 1453.

@egea : Le paradoxe des verts, c'est bien vu. Même si cela fait un bon moment que l'effet renouvellement des idées est passé, bien avant ce "débat", et plus encore avec les accords pour les législatives.

3. Le mardi 5 février 2013, 21:03 par yves cadiou

Antigone et Créon, le dilemme n’est pas nouveau. Mais vous êtes trop gentil avec les partis politiques si vous croyez qu’ils sont traversés par des courants philosophiques voulant protéger le droit collectif ou voulant protéger l'individu. Ces courants que vous voyez sont parfaitement superficiels, les courants de fond sont tout autres.

Je précise, avant d’aller plus loin et d’être soupçonné par vos lecteurs d’un quelconque poujadisme (ou je ne sais quel autre qualificatif péjoratif en –isme), je précise que par obligation professionnelle j’ai dû côtoyer des élus : c’est instructif. Mais c’est pénible : travailler avec des gens qui mentent tellement qu’ils ne savent pas eux-mêmes s’ils pensent ce qu’ils disent, qui vous diront peut-être dans dix minutes devant témoins le contraire de ce qu’ils viennent de vous dire à l’instant sans témoin, c’est un sport cérébral qui, si l’on n’y prend pas garde, mène à la misanthropie. Les élus sont eux-mêmes misanthropes : c’est probablement leur caractéristique commune. Je n’écris pas sous anonymat et ceux qui se sentent visés peuvent répondre.

En ce moment le seul courant qui traverse les partis politiques, leur pensée unique en quelque sorte, est créé par la rencontre de deux données : d’une part et classiquement, la somme des tentatives individuelles de se placer au mieux pour les municipales de l’année prochaine. D’autre part et c’est nouveau, la crainte de la Démocratie Directe : j’y reviendrai plus loin. Pour les municipales de l’année prochaine tout le problème est de deviner quel sera l’état de l’opinion dans un an : il faut veiller à ne pas dire quelque chose qui pourrait passer aujourd’hui mais serait éliminatoire quand le moment des municipales sera venu.

Non que les responsabilités municipales soient enviables : c’est relativement mal payé et ça oblige l’élu à prendre des responsabilités, donc des risques. Signer des papiers, des décisions, des arrêtés, des marchés, peut amener l’élu à commettre par inadvertance un délit d’ingérence : dans une ville où depuis de nombreuses années il réside en famille, l’élu a des intérêts économiques ou patrimoniaux privés qu’il doit tenir soigneusement à l’écart des intérêts publics et ça n’est pas facile. De ce point de vue, les « parachutés » sont plus tranquilles. De plus, en sa qualité de chef de l’administration municipale, même si le travail est fait par des fonctionnaires d’encadrement, l’élu doit se coltiner les syndicalistes qui connaissent parfaitement son point faible : la nécessité de conserver une bonne image auprès du public.

Les responsabilités municipales ne sont pas enviables mais elles sont le point de passage obligé pour convaincre le parti, et si possible aussi les partis adverses, de laisser l’intéressé accéder ensuite à des sinécures lucratives et sans risque : député européen, conseiller territorial, sénateur, député national.

En même temps que ce qui précède, le malaise dont vous parlez dans ce billet c’est l’obligation où est le personnel politique de continuer de cacher les dessous de la Démocratie représentative car les citoyens pourraient vouloir passer à la Démocratie Directe. Celle-ci est devenue en ce XXIème siècle techniquement plus facile, moins coûteuse et plus démocratique que la Démocratie représentative. Ce n’est pas sans motif que l’idée d’un référendum sur le mariage homosexuel est rejetée à l’aide de mauvais prétextes sans qu’on s’y arrête un seul instant : la leçon de 2005, où le corps électoral a contredit sans vergogne ni ménagement les directives politico-médiatiques, n’est pas oubliée.

Tel est le courant composite qui traverse en ce moment les partis politiques : d’une part la crainte collective de la Démocratie Directe et d’autre part la nécessité, individuelle mais multiple et brownienne, de manœuvrer pour l’an prochain.

Parce qu’elle est l’avenir et parce qu’ils sont peu représentatifs, la Démocratie Directe menace les représentants de la Démocratie représentative où, en même temps, chacun veut se placer sans en dévoiler les règles. Nous sommes à un changement d’époque, non quant aux questions qui font la Une des journaux mais quant au Régime des Partis. Le reste n’est que vaguelettes.

4. Le mardi 5 février 2013, 21:03 par Yannick Harrel

@Spurinna

Bonjour,

Concernant la caricature du sexe des anges, il semblerait que celle-ci s'appuie tout de même sur une réalité historique et plus particulièrement fondée sur le second Concile de Nicée. Mais il faut en retenir le substrat essentiel qui est que l'acrimonie religieuse divisait les Byzantins au moment de la chute de Constantinople, ne serait-ce que le refus du concile de Florence de 1439 qui eut pour ambition de rapprocher les deux Églises mais miné par une partie des hiérarques orthodoxes qui feront jusqu'au bout obstacle à cette union. Celle-ci sera finalement proclamée le 12 décembre 1452 par Isidore de Kiev, et n'apaisera en rien l'effervescence dûe à l'avancée des forces Ottomanes les dernières années, engrangeant victoire sur victoire (comme celle au Kosovo en 1444).

Pour le progrès, je précise bien « sauf catastrophe ». Mais en règle générale (laquelle est souvent constitutée d'exceptions), chaque avancée technique repose sur une fondation, recherches, expérimentations et erreurs antérieures.

Quant à interroger l'idée même de progrès, je suis bien d'accord. Déjà le « neutraliser » (le débarrasser de sa gangue politique j'entends) pour éviter de se perdre en imprécations plus ou moins véhémentes.

Cordialement

5. Le mardi 5 février 2013, 21:03 par Yannick Harrel

Erratum : je voulais écrire bataille de Varna (1444) celle de Kosvo s'étant déroulée plus tôt mais ayant eu des conséquences tout autant pérennes.

6. Le mardi 5 février 2013, 21:03 par Ph Davadie

Que de sujets différents abordés suite à un seul billet...

L'opposition des "pro" et "anti" se résume-t-elle à une protection du collectif ou de l'individu ? Car par ce prisme, on en vient effectivement à déceler des incohérences insupportables.
Cela me semble plus clair si on essaye de voir ce sur quoi se fonde le droit. En ayant évacué Dieu, on l'a fondé alors sur la Tradition, qui a laissé la place à la Nature, qui, maintenant, est priée de laisser la place à... à quoi au fait ? L'opposition repose donc entre les tenants du fondement du droit sur la Nature (ou à ce qui l'a précédée) et ceux qui veulent le fonder sur...

En ce qui concerne les lignes politiques défendues par les uns et les autres, "il revient à ma mémoire" (comme le dit la chanson) les déclarations d'un ingénieur qui, durant la cohabitation jospino-chiraquienne, avait développé un logiciel analysant les déclarations de l'un et de l'autre pour tenter de déterminer le socle de chacune d'elles. Conclusion : quand l'un disait blanc, l'autre disait noir, "et vice-versa" (comme la chanson des inconnus).
Succès technique, échec commercial, bien sûr. Un beau sujet d'intelligence économique, non ?

Quant à savoir pourquoi les Grecs ont rejeté l'union de Florence : http://www.academia.edu/435881/_Pou...

7. Le mardi 5 février 2013, 21:03 par oodbae

Moi, je suis contre cette loi, mais tout le monde s'en fout. C'est peut-être ca le problème.

égéa : peut-être, aussi.

8. Le mardi 5 février 2013, 21:03 par arnaudgrd

Pour poursuivre, entre autre, sur le terrain qui oposerait un "droit à la nature" à autre chose (...), je soumets cette réflexion à votre sagacité:

En préambule, son objet ne me semble pas être secondaire face à une éventuelle pression exercée par les ottomans aux portes de Byzance car si l'on prétend vouloir défendre la Cité, il me parait nécessaire de s'accorder sur le modèle qu'elle représente.

Je m'interroge finalement sur trois échelles de temps que sont celui des civilisations, le temps du quotidien et celui de la gestion de crise.

Premièrement, il me semble que l'enjeu du mariage repose sur la définition même que l'on peut se faire des objectifs d'une civilisation: celle-ci doit-elle tempérée la Nature ou la transformer? Cette question de fond appelle ensuite à situer le choix individuel au regard de l'intérêt général?
Deuxièment, et pour raisonner dans le temps du quotidien, a-t-on aujourd'hui la volonté et les moyens d'ouvrir un tel débat? De fait, il me semble que les échanges entre hommes publics sollicite d'avantage le pathos que la raison. Cela est d'ailleurs parfaitement servi par les principaux vecteurs des "manip d'influences" que sont les médias. Par exemple, à l'heure actuelle, il semblerait que, de manière inédite dans la Vè République, plus de 600000 demandes de saisine du CESE aient été récoltées par les associations anti et cela n'a pour le coup aucun retentissement médiatique.
Ainsi, aujourd'hui, sous couvert de progrés et d'une idéologie qui me semble plus imposée que débattue, ne glissons nous pas dans une situation crisogène pouvant mener à une fracture, au sein de la société ainsi qu'entre l'Etat et (une partie-?-de) la nation.
Il me revient ce commentaire de Guy Carcassonne à propos de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen: "les principes qu'elle renferme se situent à l'étiage de la démocratie: au-delà de cet imcompréssible minimum, on discute; en-deça, on combat".

Cordialement,

égéa : votre première question est effectivement fondamentale. Nous y reviendrons car elle est finalement peu discutée et vous avez raison de le signaler.

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