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"Entraver la liberté de mouvement des groupes islamistes"

Entretien accordé ce jour à bfmtv.com

Deux attentats kamikazes ce week-end à Gao, des échanges de tirs entre militaires et microgroupes islamistes dans les rues. Peut-on parler de guérilla urbaine ?

Le terme de guérilla urbaine (conceptualisée par le communiste brésilien Carlos Marighella et utilisée par des groupes extrémistes tels que l’IRA ou les Brigades rouges notamment, NDLR) renvoie à des systèmes urbains très spécifiques. Or, la zone géographique des combats au nord du Mali, à la limite du Sahel et du Sahara, est différente de ce contexte classique même si Gao est considérée comme une ville. Le fait qu’il y ait des habitations rend ce genre d’affrontements délicats mais le terrain n’est pas celui que l’on a pu connaître à Beyrouth (Liban), à Grozny (Tchétchénie) ou à Sarajevo (ex-Yougoslavie).

Alors, comment qualifier plus précisément les événements de Gao ?

Il s’agit d’actions de harcèlement, ce qu'on appelle une guerre asymétrique. Les islamistes savent à juste titre qu’ils ne font pas le poids dans un combat "symétrique", c'est-à-dire face à face, à découvert. Ils cherchent donc à frapper, de façon indirecte, le plus fort possible mais de manière ponctuelle.

Pourtant, ne disait on pas que la ville de Gao était libérée ?

Il faut bien voir qu'il y a trois semaines la ville était aux mains des islamistes et que cette situation a changé. Il reste qu'on ne passe pas en un claquement de doigt d'une situation toute noire à une situation toute blanche : c'est beaucoup trop simpliste. Les islamistes ne dominent plus le terrain mais peuvent encore y venir porter des coups sporadiques. Assurer la sécurité, comme dans tous les conflits contemporains prend toujours beaucoup de temps.

Comment faire face à ce type d’attaques puisqu’il ne s’agit pas d’une "vraie guerre" pour reprendre le terme utilisé par le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian ?

En effet les combats se passent moins sous une forme classique. La phase très dynamique est terminée puisque les troupes amies se trouvent désormais à la frontière nord. Désormais, il est indispensable d’effectuer un gros travail de renseignement, d’observation, de reconnaissance et de contrôle de zone. Les troupes françaises, maliennes et africaines doivent multiplier les patrouilles de reconnaissance et quadriller le terrain pour entraver la liberté de mouvement des groupes islamistes. Je crois que ce sont les clés : restreindre le champ d’action et opérer des frappes de précision dès qu'on obtient des renseignements pertinents, afin de maintenir les adversaires dans une situation de fragilité ce qui les empêche de prendre l’initiative.

Bien que le conflit soit encore récent peux-t-on déjà comparer cette situation à l’Afghanistan et le retrait progressif des troupes dès mars évoqué par Laurent Fabius était-il prématuré ?

Il serait bien imprudent de prédire l’avenir. Plutôt que retrait, il faut parler de décroissance des troupes au fur et à mesure que les actions d’ampleur au sol diminueront. Ensuite, sur ce que j’observe, la comparaison avec l’Afghanistan est réductrice. Depuis la fin de la guerre froide toutes les gestions de crises militaires sont longues que ce soit en Côte d’Ivoire, au Cambodge, au Kosovo, en Bosnie ou en Afghanistan.

On sait quand on entre en conflit, mais il est très délicat de pronostiquer la date de sortie car l’outil militaire n’est qu’une partie de la solution. Désormais, les champs politiques, économiques et de la formation entrent en jeu afin de concourir à la transition qui seule apportera la sécurité. Or la situation est instable au Mali et l’armée était mal préparée. Il ne faut pas oublier que c’est même l’élément déclencheur de ce conflit : si l’armée avait été solide jamais les islamistes n’auraient tenté de descendre vers Bamako il y a trois semaines et la France n’aurait pas été contrainte d’intervenir.

Commentaires

1. Le mardi 12 février 2013, 19:57 par BQ

"Manuel du guérillero urbain" (Carlos Marighella), "La guerre de guérilla" (Che Guevara)..., où quand les indignés-qui-s'insurgeaient écrivaient.

2. Le mardi 12 février 2013, 19:57 par Bob

belle langue de bois ... comme si Marighella et compagnies ne faisaient pas de l'asymétrique, comme si seule la configuration physique comptait ... comme si les évènements en question n'avaient aucune importance.

égéa : j'aime bien (euphémisme) quand les anonymes dénoncent "la langue de bois" en donnant des adresses mail bidon. Je ne suis pas contre les pseudos, et m'en suis déjà expliqué. Mais derrière, ajouter des adresses pipeau avec en plus un discours "on me la fait pas", cela n'est pas à l'honneur de son auteur. Et je ne laisse passer ce commentaire que pour rappeler qq règles de nétiquette prévalant sur égéa.

3. Le mardi 12 février 2013, 19:57 par

Je suis très inquiet lorsque je lis qu’il faut « entraver la liberté de mouvement des groupes islamistes ». Cette formule peut sembler, de prime abord, l’énoncé d’une nécessité opérationnelle mais il s’agit en fait, par inadvertance certainement, d’une négation des principes universels que nous prétendons défendre. Non que le sort des bandits maliens m’importe vraiment : ce sont de misérables bougres sans foi ni loi qu’aucun Dieu un peu humaniste, quel que soit son nom, ne peut approuver ni accueillir en son paradis. Mais prétendre entraver la liberté de mouvement des groupes islamistes, c’est contrevenir à plusieurs principes de la République. J’y reviendrai plus loin : avant de voir ce que l’on ne peut pas faire, voyons déjà ce que l’on peut faire.

La seule action que nous pouvons moralement et légitimement nous permettre, c’est de désarmer les bandes pillardes pour protéger les populations qui sont leurs victimes. Désarmer, ça signifie tuer sans hésitation ni états d’âme ceux qui refusent de lâcher leur arme (pour ramasser sur les cadavres les armes dont on ne pouvait pas s’emparer autrement) et laisser courir où ils veulent ceux qui n’ont pas, ou qui n’ont plus, d’arme. A ce sujet, j’insiste une nouvelle fois : contrairement à ce que dit l’ancien maire de Tulle devenu « chef des armées », il ne peut pas être question de « faire des prisonniers », c’est-à-dire de restreindre la liberté d’individus non-armés ou désarmés, à moins de disposer d’Officiers de Police Judiciaire et de tout un dispositif judiciaire conforme à nos principes, dispositif qui n’existe pas au Mali : la détention arbitraire pratiquée à Guantanamo semble avoir fait des émules chez nous car après cette déclaration présidentielle pourtant inacceptable personne, aucun sénateur, aucun député n’a protesté et aucun ministre n’a démissionné.

«Entraver la liberté de mouvement » sans bon motif de le faire n’est conforme ni à notre Loi Fondamentale, ni à la Charte des Nations-Unies. Ces deux textes devraient nous être particulièrement précieux parce qu’ils s’inspirent des principes de Lafayette. Voyons quels pourraient être les motifs pour « entraver la liberté de mouvement des groupes islamistes » au regard des lois de la République dont le respect s’impose en tous lieux à l’armée française. L’on ne peut pas reprocher à l’ennemi le simple fait d’être « des groupes » car pour nos lois la liberté d’association est totale, seulement régie par la loi de 1901 qui n’est pas fort contraignante (mais qui interdit notamment les associations armées). L’on ne peut pas, non plus, reprocher à l’ennemi le simple fait d’être « islamistes » car pour nos lois chacun est libre de sa religion.

Par conséquent rien ne permet aux militaires de la République Française de faire subir aux bandes armées maliennes autre chose qu’un désarmement par la force des armes ou par la menace de la force des armes. C’est ce qui a été fait jusqu’à présent avec succès. L’on serait mal inspiré de se laisser aveugler par le succès initial et de dépasser des limites qui ne peuvent être franchies qu’en situation juridique exceptionnelle.

Si nous sommes en situation juridique exceptionnelle au Mali, alors il incombe aux Parlementaires, sous le contrôle du Conseil Constitutionnel, de prendre leurs responsabilités et de le dire clairement. Jusque là, rien de plus n’est possible que désarmer les individus armés, en les tuant parce que c'est le seul moyen. L’affaire Firmin Mahé, en Côte d’Ivoire en 2005, a constitué un avertissement qu’il ne faut pas négliger parce qu’avant d’être un meurtre c’était un crime de séquestration arbitraire.

Egea: cher Yves, le goût de la controverse vous emporte. C'est moi qui utilise l'expression  "d'entraver la liberté de mouvement des islamistes". Je l'emploie dans le contexte opérationnel, celui de savoir comment lutter contre la tactique de l'ennemi qui vient de passer a un combat de harcèlement. Celui-ci n'est rendu possible qu'à la condition de sa liberté de mouvement, qu'il s'agit justement d'empêcher. Nous sommes à la guerre, avec une zone d'opération (AOR) précisément définie dans L'ordre d'opérations, qui encadre l'emploi de la force. 

4. Le mardi 12 février 2013, 19:57 par

Je fais suite à la réponse d’egea (n°3).

Il est vrai que les bandes armées se sont dispersées à l’approche de Serval. Mais c’est faire trop d’honneur à ces bandits que de leur attribuer la moindre idée tactique. De la même façon qu’on leur fait trop d’honneur en les nommant Islamistes ou Djihadistes. Ce sont tout simplement des gens qui cherchent à bouffer et qui trouvent que c’est plus facile avec une kalachnikov qu’en travaillant. En fait de « tactique » ils ont seulement constaté qu’à cause de Serval il est très dangereux de circuler en pickup dans le désert. Alors ils ont planqué les pickups et se font maintenant héberger de force chez l’habitant. Nécessité fait loi. Ce changement d’attitude ne mérite pas l’appellation de tactique, pas plus que le simple fait de s’approvisionner en utilisant des kalach ne mérite l’appellation de Djihad : c’est seulement du pillage et ça n’a rien de religieux.

Cette situation durera aussi longtemps que les bandits auront des munitions : dans cette zone où règnent les trafics de toutes sortes, ça risque de durer longtemps. Toutefois le prix des cartouches va augmenter. Par conséquent l’intensité des tirs va diminuer. En même temps la charge de travail des troupes va diminuer mais les contingents africains, parce qu’ils disposent du même équipement que les bandits, seront sporadiquement attaqués et délestés de leurs armes et munitions.

Ou plus simplement certains contingents africains, ceux qui sont les moins bien encadrés, vendront gentiment leurs armes et munitions. Autre hypothèse, certains contingents africains se livreront eux aussi au banditisme et s’affronteront entre eux selon des critères ethniques dont nous aurons beaucoup de difficulté à saisir la logique.

Après la période en fanfare qui se termine, la suite la plus probable de Serval c’est la montée d’une pagaille meurtrière. Elle sera assez peu visible parce que les exactions auront lieu sans témoins mais on en entendra parler indirectement comme dans d’autres zones africaines.

Si, lors de l’un de ces épisodes de guerre tribale, l’armée française est sur place (c’est-à-dire à moins de cinq cents kilomètres), elle sera un coupable idéal dans les deux types de situations qui se présenteront : 1 si l’armée française n’intervient pas parce qu’elle n’a pas pour mission de séparer les unités militaires africaines qui s’entretuent, ou tout simplement parce qu’elle n’a été informée qu’après-coup comme tout le monde, alors elle sera accusée de passivité voire de complicité ; 2 si l’armée française intervient elle fera nécessairement du dégât et elle sera accusée d’avoir outrepassé sa mission ou d’avoir pris parti. Dans les deux cas l’on imagine assez que les politiciens français refuseront comme toujours de prendre leurs responsabilités, étant injoignables au moment où une décision politique urgente doit être prise.

Bref, on n’est pas sorti de l’auberge. Dans la presse française les critiques ne vont pas tarder à remplacer les cocoricos du début. Je doute que la décision d’intervention, qui s’est prise à huis clos selon le circuit court décrit et vanté par Jean-Yves Le Drian, ait bien pris en compte les expériences de Tacaud, Turquoise, Licorne ainsi que de la plupart des opex africaines où les retournements de situation furent plus discrets. Cette fois il y a un élément nouveau et c’est une circonstance aggravante : l’importation de contingents étrangers qui ne sont pas tous dignes de confiance.

C’est pourquoi je crois qu’il est toujours important de différencier ce qui est tactique, compétence du militaire (ici, entraver la liberté de mouvement des bandes armées) et ce qui est politique (ici, l’étendard du djihad ou la prétendue « menace terroriste »). La décision d’intervenir sans imaginer les suites, au Mali en 2013, en Libye en 2012, est dans chaque cas une erreur qui est imputable au personnel politique et à lui seul. Nos militaires doivent agir et parler en prévoyant le moment où un chapeau cherchera une tête. Pour cela il faut bien différencier ce qui ressort au Politique et ce qui incombe au Soldat.

5. Le mardi 12 février 2013, 19:57 par oodbae

comm 4(cadiou) : +1
a part la description de la personnalité des rebelles, c'est exactement ce que j'écris depuis l'annonce de cette intervention.

6. Le mardi 12 février 2013, 19:57 par panou34

Le pessimisme d'Yves Cadiou est fondé.Olivier Kempf soulignait la nécessité d'une transition et pour l'instant on en aperçoit pas l'ébauche.Quelle est la position de notre pays?Il semble privilégier la tenue des élections prévues mi-2013.Celà paraît irréaliste car elles seront mal préparées et se dérouleront dans un climat de réglements de compte.On sait ce qu'ont donné de tels scrutins en Côte d'Ivoire.Il est temps de nous désengager politiquement en transférant le probléme à l'ONU.La Misma deviendrait une force ONU et non plus CEDEAO,un haut responsable onusien superviserait et/ou mettrait sous tutelle ce pauvre MALI en faisant d'une commission Justice et Réconciliation le préalable à des élections.Nos troupes formeraient la force de réaction rapide des casques bleus comme en Côte d'Ivoire.
Une telle proposition n'est que le résultat des ''RETEX'' d'interventions internationales et onusiennes dans la zone:imbroglio ivoirien et aussi réglement des guerres civiles au Libéria et en Sierra Léone qui ont fait 300000 morts,on l'oublie souvent.
Paris et Bamako ne semblent pas favorables pour l'instant à une tutelle ONU.Dommage car la seule régionalisation du conflit conduit à l'impasse militaire(arguments de Cadiou) et au maintien de la pagaille politicienne malienne.
A noter que la Communauté des Etats sahélo-sahariens a tenu un sommet la semaine derniére à N'Djamena en évoquant pour la premiére fois un pacte de sécurité régional.Malheureusement l' Algerie est le seul état à ne pas participer à cette organisation.C'est significatif de la nécessité de dépasser le cadre africain.
Autant Paris a bien fait de faire jouer le réflexe militaire ''pré carré'' devant la perspective de destruction de l'état malien autant ce réflexe doit être oublié dans la résolution de la crise politique.Soldat du feu oui,unique assistant socio politique non.

7. Le mardi 12 février 2013, 19:57 par oodbae

@panou34:
Je ne suis pas d'accord avec vous. Impliquer davantage l'ONU ne fera que s'enliser la situation. En effet, trop d'intérêts se croisent à l'ONU pour aboutir à des progrès, en tout cas pour des progrès dans le sens d'une autonomie des diverses peuplades, puisque les pays voisins continueront à s'y opposer et personne ne pourra crier assez fort pour imposer une alternative. Seule la face émergée de l'iceberg est traitée, à savoir les massacres et les destructions massives, ce que l'armée francaise a déjà cessé.

Un haut responsable onusien? Ce n'est pas parce qu'il est haut qu'il est compétent. Pourquoi l'ONU ne s'est elle pas intéressée à la situation aparavant si elle est si compétente?

Si on veut se désengager, il faut souder une alliance auropéenne autour de nous, intervenir en groupe, faire de la "smart defense", agir en notre nom propre européen. L'UE est synonyme de paix et d'amour d'après les discours qu'on nous serine depuis des décennies. C'est le donateur le plus généreux du monde. Une force militaire issue de la "PESD" serait au moins aussi légitime que les casques bleus. Oui, mais... La volonté francaise de souder les européens est peu évidente. L'aptitude de la france même de souder les européens est douteuse. Donc, on peut déjà faire une prévision. Ca terminera en catastrophe et il est évident que le pouvoir politique rejettera la responsabilité sur quelqu'un d'autre, l'armée

Sauf si:
- l'armée trouve les moyens d'influencer le pouvoir politique
- la fin du monde se produit avant
- Chuck Norris intervient

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