Réponse à l’article «Le Mali, une guerre mystère» (VM Vallin)

Egéa est aussi un lieu d’accueil de jeunes talents. En témoigne ce billet, rédigé par un étudiant de science po, Victor-Manuel Vallin, qui l'a d'abord fait paraître sur le blog de PSIA (euh.. .pas franchement un gros trafic) et qui me demande si ça m'intéresse, tout ça tout ça. Ben oui, très cher, c'est intéressant, bien écrit et ça mérite d'être aperçu par la communauté stratégique dont une petite (mais valeureuse) partie lit égéa. Et pour débuter une bibliographie, ce n'est pas mal de paraître dans des blogs spécialisés. Pour commencer ! Bref, chers lecteurs, à l'imitation, n'hésitez pas. Pas trop long (deux pages Word max), des idées, bien écrit, voici les trois critères !

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O. Kempf

A l’image de cet article, de nombreux médias ont fait part de leur incompréhension face au strict bouclage médiatique des zones de combat du Nord-Mali par les armées françaises et maliennes. Cette « guerre mystère » est en réalité symptomatique des relations armées-médias.

Comme chacun l’a compris, les médias sont tenus à l’écart des zones de combat au Nord Mali et ne sont autorisés à y accéder qu’une fois les lieux sécurisés. Les journalistes embarqués auprès des militaires français sont rares et l’essentiel des images provient des organismes institutionnels (ECPAD et DICOD). A l’inverse d’autres théâtres d’opération où les armées françaises ont été récemment engagées, le Mali est peu densément peuplé, exit donc les éventuels témoins locaux diffusant leurs propres images du conflit comme c’est par exemple le cas en Syrie. Rajoutons à cela la comparaison d’avec les guerres d’Afghanistan ou de Libye, où la communication semblait plus diversifiée, et on comprend pourquoi les médias généralistes expriment aujourd’hui leur frustration à coup de phrases grandiloquentes telles que « la France est en train de perdre la bataille de l’information libre ».

Comme Le Figaro, de nombreux journaux ont voulu feindre de ne pas comprendre les raisons de ce silence imposé: « Rarement, au cours des dernières années, une guerre aura été aussi peu accessible. Pourquoi? Nul ne le sait ». Pourtant trois grandes raisons peuvent expliquer cet état de fait. Passons-les en revue.

La première tient à un concept qui est malheureusement négligé, voire inconnu, par le grand public et les médias: l’efficacité militaire. Il s’agit pour les soldats français, qui sont avant tout des professionnels accomplissant leur travail, de rester efficace dans leur action. Des journalistes embarqués ou accompagnant l’avancée des troupes sont de nature à ralentir le mouvement général. Parce qu’ils ne sont pas équipés pour de longues percées dans un terrain éprouvant comme le Sahel, ou parce que leur présence nécessite un effort de sécurité supplémentaire nuisant à la liberté d’action des militaires, sans doute le plus ancien principe de la guerre, les journalistes sont plutôt perçus comme un poids. Il s’agit aussi de protéger l’identité des soldats, et par extension leurs familles quand on sait que les islamistes s’informent eux aussi par les médias français. Le phénomène n’est pas nouveau, même s’il est de nature à soumettre le conflit à la communication quasi-exclusive des belligérants. Ne prête t-on pas d’ailleurs à Rudyard Kipling ce célèbre adage « La première victime de la guerre est la vérité »?

La seconde raison est liée au risque d’enlèvement. L’armée française a été fortement marquée par l’enlèvement fin 2009 des journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier en Afghanistan. Les quelques 547 jours de captivité de ces deux otages, voulant enquêter par eux-même en dehors des zones contrôlées, malgré les avertissements des militaires, a laissé des traces, et a fortement contraint l’activité opérationnelle du contingent français en Afghanistan. Une forme de défiance vis-à-vis des médias est désormais palpable au sein des armées qui ne souhaitent absolument pas revivre cette situation au Mali. L’affaire n’est d’ailleurs pas tout à fait terminée car Hervé Ghesquière nie toujours avoir été averti du risque d’enlèvement. Au Nord-Mali, ce risque est d’autant plus fort que la France y compte déjà sept otages.

La troisième et dernière raison concerne les relations armées-médias en France de manière générale. Force est de constater que les médias à très forte visibilité comme France 2, BFM TV ou Le Monde, méconnaissent les questions militaires. Le Mali le démontre une fois encore, à la vue des grossières erreurs des médias télévisés, bien trop sérieuses pour n’être que de simples confusions. En témoigne le JT de 13h de France 2 du 15 janvier 2013 lors de la visite de François Hollande sur la base française d’Abu Dhabi, où semble t-il « 600 avions Rafale sont positionnés », un chiffre absolument invraisemblable. Le milieu militaire évoque souvent des fantasmes quant à ses moyens, son organisation ou ses valeurs, fantasmes qui parfois se retrouvent en une des médias en question, sans véritable travail de vérification. Pour finir, cette méconnaissance engendre l’apparition de véritables généraux de salon qui vont formuler des affirmations absolues, à l’image des propos de la journaliste Nathalie Guibert dans les pages du Monde: « L’armée française, dont les moyens sont limités, ne saurait rester à ce niveau longtemps : c’est tactiquement absurde – cela reviendrait à s’épuiser dans une course sans fin –, et financièrement insoutenable ». Ceci ne facilite pas les relations entre ces deux univers naturellement très différents.

En effet le milieu médiatique est par définition celui du court terme et de l’instantané, là où l’action militaire s’inscrit dans le temps long. En outre, en terme de mode de fonctionnement, les journaux papiers, internet ou télévisés reposent sur le principe de la transparence et de la diffusion de l’information, tout l’inverse du milieu militaire qui cultive lui la discrétion et le secret. Ceci explique sans doute pourquoi le cercle des journalistes spécialisés dans la défense est si restreint. Ainsi au Mali, à défaut d’analyser eux-mêmes ces sujets, la plupart des journaux font appel à des spécialistes pour écrire des articles de fond: le général Vincent Desportes, les politologues Olivier Roy et Bertrand Badie, ou encore le conseiller spécial François Heisbourg. La même remarque peut d’ailleurs être faite quant à l’analyse du conflit syrien.

Ne pouvant ou ne souhaitant pas analyser directement l’intervention au Mali, les médias se sont alors davantage intéressés aux questions subsidiaires comme le coût journalier des opérations. Autre exemple, le buzz généré par la photographie du légionnaire français portant un foulard de tête de mort, qui a valu à ce dernier d’être rapatrié et mis aux arrêts pour 40 jours. Une punition à la hauteur du buzz, mais pas forcément du comportement du légionnaire.

La guerre au Mali illustre ainsi les difficultés qu’ont la plupart des médias français à traiter les affaires militaires. Elle met également en lumière les risques, bien réels, du bouclage médiatique imposé par les autorités militaires. La guerre du Mali nous apparaît «propre», sans morts, sans blessés, sans dommages collatéraux, les seules images diffusées nous montrant des frappes chirurgicales sur des emprises islamistes, ou des carcasse calcinées de pick-ups. Or, il est nécessaire de rappeler une fois pour toutes que la guerre, aussi technologique et moderne soit-elle, demeure une activité humaine, sale et mortelle.

Victor-Manuel Vallin

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