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Syrie et embargo

L’annonce par la Grande-Bretagne et la France de la levée de l’embargo d'armement en faveur des rebelles syriens ne laisse pas de surprendre. Je me garderais bien de dire si elle est bonne ou mauvaise, mais j'essaierai de comprendre ses motifs. Autant de conjectures, car les raisons n'apparaissent pas clairement. Au fond, elle soulève plus de questions que la "réponse" qu'elle veut apporter. Ce billet est donc très spéculatif, hypothétique, interrogatif.

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1/ En effet, on pourrait bien sûr écouter les motifs officiels : la morale (être du côté du plus faible), ne pas rester à "ne rien faire", "suite logique de la reconnaissance du CNS", ... Pour le géopolitologue, voici autant de raisons peu convaincantes, même s'il ne doute pas qu'elles puissent avoir éventuellement la faveur de l'opinion publique. Mais le géopolitologue a du mal à croire que les décisions de politique étrangère soient dues à de simples calculs de politique intérieure, même s'il sait simultanément que ceux-ci sont toujours présents dans les décisions. Toutefois, en l'espèce, ce la ne suffit pas car il n'y a tout de même pas une telle émotion du "public" qu'il faille adopter des positions aussi hardies.

2/ Pourquoi hardies ? Pour des raisons de cohérence occidentale, de timing, de destinataires.

3/ Cohérence occidentale : C'est peu dire que cette initiative franco-britannique a surpris en Europe, et a même introduit une certaine contradiction, avec notamment l'Allemagne. Quant aux États-Unis, ils se sont montrés depuis le début de la plus extrême prudence sur la question. Bref, cette déclaration FRUK a introduit une nouvelle micro-faille dans le dispositif européen, déjà passablement malmené par les errements antérieurs. Et autant la France pouvait facilement prouver son leadership en Libye ou au Mali, autant la chose paraît bien moins convaincante en Syrie. Surtout que dans le même temps, de multiples différents sur la gouvernance européenne se font jour. On me dira alors qu'il s'agit justement de briser le front uni franco-allemand, qui s'est fait jour lors du vote du budget européen, l'autre semaine, et qui avait laissé la France isolée. Mais somme toute, cette isolement n'était pas bien grave. Rejouer une partition franco-britannique alors que dans le même temps, on laisse accroire qu'on soutient l'Europe de la défense et qu'on a bien compris que l’initiative du traité de Lancaster House avait déplu auprès de nos partenaires... Bref, tout ceci n'est pas très "lisible", comme on dit quand on veut faire chic.

4/ Timing, pour deux raisons :

  • une qui est de court terme, et est liée à la négociation actuelle du traité de contrôle des exportations d'armement : alors que la France soutient une position "contrôlante", dire dans le même temps qu'on lève l'embargo en se passant des autorisations de l'ONU n'est peut-être pas la meilleur façon de peser sur les discussions.
  • Une qui est de plus long terme : en effet, il faut bien constater que les combats s'équilibrent, ce qui explique au passage la moindre couverture du conflit par nos médias (et ce n'est pas seulement dû à notre campagne malienne). Autrement dit, Bachar Assad réussit à équilibrer. Cela ne signifie pas qu'il va gagner, simplement qu'il n'est pas aussi cuit qu'on le dit. Surtout, il semble qu'à la suite de l'ouverture du leader du CNS (Moaz Al-Khatib), il y ait des possibilités de négociations qui se fassent discrètement. La levée d'embargo serait-elle alors un moyen de peser sur ces négociations ? C'est une hypothèse qu'on ne peut exclure.

5/ Destinataires : une des difficultés liées à la levée de l'embargo est celle des destinataires exacts des armes livrées. En effet, parmi les combattants, il y a des djihadistes. Or, ils sont de plus en plus influents. Accessoirement, il faut savoir que le CNS n'est pas un gouvernement uni, qu'il ne contrôle par l'armée syrienne libre, et que l'état-major de cette dernière ne contrôle pas les "commandants de brigade" qui luttent sur le terrain. D’ailleurs, pour lever cette difficulté, on nous explique que d'une part le CNS garantit que ces armes ne tomberont pas en de mauvaises mains, et qu'en plus nous veillerons à les distribuer à bon escient. Cette traçabilité ne laisse pas d'étonner, quand on devine la mêlée furieuse et chaotique qui se déroule là-bas et l'absence, justement, de contrôle. D'ailleurs, l'opposition est désormais si diverse que c'est une des raisons qui permet à B. Assad de tenir : si son camp est également divisé, il obtient encore le soutien de bien des minorités qui ne veulent pas de l'inconnu qui s’annonce. Après tout, il résiste depuis deux ans, alors que les Alaouites ne font que 9 % de la population. Il a donc d'autres partisans.

Ainsi, au vu des éléments publics, la décision de Paris et de Londres paraît peu compréhensible.

Références (MAJ de deux billets parus ce jour)

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 17 mars 2013, 21:47 par yves cadiou

On peut certes s’interroger sur les motifs et motivations de cette décision présidentielle. Quoi qu’il en soit elle est prise en conformité avec l’une de nos deux Constitutions.

Un peu d’ironie ne fera pas de mal, au point où on en est. La France dispose de deux Constitutions, donc double garantie de démocratie : il y a une Constitution théorique qui est écrite et qui a été votée par referendum ; et il y a une deuxième Constitution qui est En Vigueur (CEV). Elle est progressivement entrée en vigueur depuis 1970 lorsque le Premier ministre, ancien maire de Bordeaux, a inventé la notion de « domaine réservé du Président ». Ce Chef de Gouvernement voulait probablement se décharger d’un domaine qui ne l’intéressait pas : depuis lors on a pu vérifier que les politiques étrangère et militaire commencent à intéresser un élu local seulement après qu’il se soit aperçu, un 14 juillet, qu’il est « chef des armées ». C’est certainement en application de ce principe que l’actuel Président s’est considéré comme autorisé, au mépris des articles 5 et 20 de la véritable Constitution, à prendre la décision dont on parle ici.

Un problème avec cette CEV, c’est que le vrai bon citoyen (une catégorie dont je fais partie, le lecteur aura deviné) se sent presque gêné de s’interroger sur les tenants et aboutissants d’une décision qui résulte du bon vouloir présidentiel. Alors comment Olivier Kempf, qui est pourtant un vrai bon citoyen lui aussi, peut-il être « spéculatif, hypothétique, interrogatif » sans être gêné de son audace ? Comment peut-on ignorer la CEV ?

Un autre problème avec cette CEV, c’est qu’on ne sait pas si le Parlement peut s’opposer à une décision présidentielle. On verra.

Pour moi et mon droit de vote, cette décision présidentielle résulte tout simplement d’un phénomène psychologique individuel : sous couvert de ceci-cela, un désir d’absolutisme. Après la prestation exemplaire de nos armées au Mali, le Président a pris la grosse tête. Heureusement, il existe des assemblées représentatives du Peuple pour tempérer l’absolutisme.

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