Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Fin de l'Etat, de la guerre, et autres métamorphoses...

Toute unité politique, depuis la plus haute antiquité, a fait la guerre : cité, État, empire.... Mais l'évolution de la guerre (que d'aucun appelle la révolution dans les affaires militaires, unique et se poursuivant depuis le Moyen-Âge), cette évolution a fait l’État, comme nous le signalions dans un autre billet. Cet État moderne, on l'a appelé westphalien, pour ne pas dire occidental.

source

Or, chacun constate aujourd'hui à la fois une métamorphose de la guerre (cf. mon article "la guerre est morte, vive la guerre !), mais aussi une déliquescence de l’État westphalien (que ce soit d'ailleurs dans l'ordre international ou dans l'ordre national).

On ne peut manquer de s'interroger sur cette coïncidence. La disparition de la guerre n'entraîne-t-elle pas la disparition de l’État ? du moins de l’État tel que nous l'avons connu ?

Si c'est le cas, cela ne signifie pas qu'on reviendra à un état ex ante, mais à un état nouveau, un nouvel équilibre, à la fois militaire et politique, qui reste à définir.

Non, ce n'est pas la fin de l'histoire.

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 21 mars 2013, 02:49 par yves cadiou

N’est-ce pas plutôt notre vision de l’Etat et de la guerre qui a changé, ou plus exactement ne sommes-nous pas face à la difficulté de comparer le passé et le présent ? En quelque sorte ces « métamorphoses » que nous voyons ne seraient-elles pas de simples illusions d'optique ?

Lorsque l’on étudie l’histoire ailleurs que dans les livres d’histoire mais dans les témoignages d’époque (pas toujours facile à cause de l’évolution de la langue) on s’aperçoit que tous les témoins de leur temps, du moins ceux qui savent écrire, déclarent que rien n’est plus comme avant.

S’il est vrai qu’il y a des évolutions (de nos jours @internet et la télévision par satellites géostationnaires changent presque tout) il ne faut pas conclure trop vite à la « disparition » de ceci ou de cela, surtout lorsque ça existe depuis l’antiquité et probablement depuis la préhistoire. La guerre existe au moins depuis l’âge de bronze pour sécuriser les routes de l’étain vers la Méditerranée orientale et l’île du cuivre (Chypre, comme son nom l’indique).

Aujourd’hui le motif n’est plus l’étain. Mais aujourd’hui la situation n’est pas fondamentalement différente de celle de l’âge de bronze : des groupes humains qui n’ont rien à perdre sont toujours incités à s’organiser pour s’emparer par la force de ce qu’ils n’ont pas, c’est-à-dire par des échanges gagnant-perdant et de ce fait d’autres groupes humains ont intérêt à s’organiser pour protéger des intérêts communs. Il est vrai que certains de ces groupes humains ne méritent pas le nom d’Etat : on parle alors de dissymétrie. Mais la dissymétrie est à double sens : la guerre des Gaules et celle du Mali sont dissymétriques parce qu’on a des témoignages d’un seul belligérant, celui qui est appuyé sur un Etat.

La photo qui accompagne ce billet illustre bien la vision déformée de l’histoire que nous avons tous : jamais on n’a vu, au XVIIIème siècle, des soldats rasés de près comme sur cette reconstitution, rasés par gilette et son acier d’une qualité qui était inconnue jusqu’à la fin du XIXème siècle. La Tour Eiffel en 1889 et, à la même époque, les navires de grande taille sont le triomphe de l’acier de bonne qualité : sur la reconstitution que montre cette photo les visages glabres sont anachroniques. Autre anachronisme mais il n'est pas visible : faites rire ces artilleurs et vous verrez qu’aucun n’a les dents cariées, ce qui était pourtant à l’époque un problème déterminant à cause de ses répercussions sur l’état de santé général et sur le moral.

Notre vision du passé est déformée, rendant difficiles les comparaisons et nous incitant à qualifier de « métamorphoses », voire de « révolutions », de simples évolutions sur lesquelles nous manquons de recul.

2. Le jeudi 21 mars 2013, 02:49 par Laurent

Très pertinentes réflexions d'Yves Cadiou (as usual). Voilà bien pourquoi il faut réfléchir à deux fois avant de parler de "révolutions militaires" et autres tournants "radicaux" sur la simple foi de ce que les discours médiatico-marketing nous invitent (?) à penser.
Et pourtant, les vrais tournants historiques (et donc aussi stratégico-militaires) existent bel et bien, mais ils sont 1. rares, voire très rares ; 2. ils ne sont souvent pas - ou pas bien - perceptibles sur de brèves durées historiques ; 3. ils sont le fait de processus complexes et multi-causaux, et jamais mono-causaux ("l'invention de tel objet technique a bouleversé le monde"), qui créent de nouveaux systèmes, ou de nouveaux dispositifs sociétaux et même civilisationnels ; 4. ils demandent à être pensés au moyen d'outils intellectuels et épistémologiques élaborés. Sinon, on tombe en effet dans le journalisme sensassionaliste le plus superficiel et le plus putassier.

3. Le jeudi 21 mars 2013, 02:49 par Colin L'hermet

Bonjour,

Cela (comment#1) me fait penser au phénomène d'occupation territoriale lacunaire-interstitielle par les populations rejetées ou en rebellion.

Je tente de m'expliquer mieux : une part de la population à l'intérieur de frontières postulées n'adhère pas au choix politique de l'autre part. Elle se soulève, guerroye, lutte, mais perd peu à peu.
Deux cas se présentent ensuite :
Soit a) l'espace territorial est suffisamment maillé pour poursuivre ces rebelles et les soumettre finalement, les intégrant dans le jeu politico-militaire de long terme (avec toutes les résurgences irrédentistes possibles).
Soit b) le territoire offre suffisamment de poches géographique =d'accès difficile= (on dira aujourd'hui de non-droit ou de non-Etat) pour abriter ces populations et leur permettre une implantation sur un plus long terme.
Au point de voir leur population croître "tranquillement" loin des yeux du pouvoir central-centralisateur.
De mémoire, il me semble que ce type de zone géographiques sont plus fréquemment des zones montagneuses. Je n'arrive plus à me souvenir des pays et peuples concernés, mais l'Asie du Sud-Est en présentait 3 ou 4 cas dans le dernier tiers du 20eme s. (et je ne pense pas au Mongs ou autres peuples laotiens-birmans, je place cela plus vers la Malaisie, mais, le Lagavulin fait des dégâts, il me faut en convenir).
Bref, dans ce cas de rébellion interstitielle, on assiste à un établissement humain de moyen terme, et à une transmission culturelle des témoignages autrement plus riche que la version des vainqueurs telle que le décrivait Y.Cadiou.

Une généralité qui semble pouvoir se déduire de ces (rares) cas, c'est que le 20eme s. a vu la tutelle des Etats coloniaux fréquemment supplanter la souveraineté de ces Etats initiaux parcellaires. Cette tutelle a débouché sur des intégrations géographiques plus ou moins abouties, et s'est manifestée :
. soit militairement (corps expéditionnaires venant mater-déloger les rebelles de leurs enclaves) ;
. soit politiquement par le tracé des ces fameuses frontières intégrant de facto des populations parfois demeurées hétérogènes et non jointives ;
. soit par un (plus ou moins) subtil mélange des deux modes.

1) Ce qui me porterait à penser :
. que le concept d'Etat est préalable à la guerre, un protoétat à vocation purement politique en sorte, cf les thèse de B.Kriegel ;
. puis que la guerre vise à lui donner les moyens de s'établir géographiquement ;
. puis que l'Etat administrant se met en place afin de réaliser et maintenir son maillage territorial et humain.

2) Une seconde conclusion serait que l'Etat Westphalien-occidental est justement occidentalo-centré. C'est pourquoi il a plaqué son mode d'émergence (né dans la plaine hollandaise sous Guillaume d'Orange-Nassau) sur des situations géographiques distinctes (montagnes, déserts, jungles) à l'occasion d'aventures impériales et coloniales.
Puis, le pivot économique et démographique faisant, la conjonction a) du déblocage mondial de la fin de la GuerreFroide et b) l'émergence graduelle des contrées autrefois sous tutelle, fait craquer localement dans ces contrées l'hégémonie voulue du modèle westphalien.
Lesquelles fissures sont ensuite et graduellement portées à l'échelle globale par les diplomaties de clubs et autres minilatéralismes (BRICS, OCS, Alba, intégrations régionales entre pairs, ententes ad hoc sur les DtsHumains ou sur les protocoles touchant au climat, etc).
Bien plus que la fin de l'histoire, c'est la mutation du système politique international qui se joue. Nous entrons probablement dans une nouvelle époque, une nouvelle surcouche sur l'habitus humain social et politique.
Mais, aucun fatalisme, rien n'est joué. L'hégémonie occidentale peut évoluer pour peu que ce bloc politico-philosophique veuille bien demeurer homogène.

3) Or il semblerait que cette homogénéité soit intimement liée à la question de la violence et de la guerre. Car en sous main, il s'agit de puissance et de souveraineté, vécues comme autant de gros mots.
Qu'il s'agisse de l'individu ou du paquet d'individus formant communauté, on assiste à la recomposition des modèles de lien, la remise en cause du deal établi chère à Locke.
Et cela semble passer par la réappropriation du pouvoir de violence par les individus : la société US l'illustre par sa double thématique de la détention, et du mésusage des armes.
On le découvre en Europe industrialisée par la mise au jour de flux d'armement dans des zones géographiques somme toute circonscrites, et des flux de mercenaires qui recourent au jihad pour élever le seuil moral qu'ils souhaitent à leur existence.
Bref la rébellion et la zone interstitielle de déploiement.
L'Etat westphalien fait mine de redécouvrir les jacqueries, la vente sous le manteau, les libelles et la sédition. Donc rien de nouveau. Mais sans pour autant être un retour ex ante.
C'est une mutation, l'Etat westphalien endure le devenir des empires. Et "tout empire périra".

Se serait-on perdus en chemin ?
Notre projet philosophique de RelInt, dans lequel se moulait l'Etat westphalien, se serait-il corrompu à mesure que nous abusions, et finalement nous nous abusions nous-mêmes, de notre hégémon ?

Je le répète, rien de fatal ou de prédéterminé. Mais si nous économisons une réflexion sur ce qui nous a amené là, nous serons, là c'est sûr, mis de côté et réduits par de nouvelles formes politiques ET militaires./.

Bien à vous,
Colin./.

Egea : oui, je partage beaucoup de vos développements (pas tous ou pas complètement, mais on ne va pas chicaner. Et oui, voici la vraie question, celle de la mutation politique encours. Relier vos propos au compte rendu de l'analyse de Pierre Manent... Pour le reste, néo-Duroselle, "tout État westphalien périra " ?

4. Le jeudi 21 mars 2013, 02:49 par Ph Davadie

L'Etat westphalien ne serait-il pas confronté à une crise d'obésité (centralisation à outrance, ingérence dans tous les domaines) le rendant de fait incapable de comprendre la sveltesse (décentralisation, liberté individuelle) ?
Ou, plus exactement, l'Etat westphalien ne pourrait-il subsister que s'il respecte ses conditions d'existence, dont le principe de subsidiarité, l'inobservance de celui-ci le condamnant, à terme, à s'effondrer ?
Illustration : incompréhension des "raves parties", du cyberespace, etc.
La mutation des formes de guerre n'étant alors qu'une conséquence de la confrontation d'un Etat westphalien avec des organisations qu'il ne comprend pas. La guerre qu'il sait mener fonctionne parfois, mais pas toujours, l'obligeant à s'adapter.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/1735

Fil des commentaires de ce billet