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Boston Nigéria

L'actualité de la semaine nous a parlé de "terrorisme". En effet, d’une part, une famille française qui avait été enlevée il y a deux mois au Cameroun puis déplacée au Nigéria par un sous-groupe du mouvement Boko Haram vient d'être libérée. D'autre part, à la suite d'un attentat sur le marathon de Boston, deux frères américains d’origine Tchétchène ont été arrêté (l'un mort, l'autre blessé). A chaque fois, du "terrorisme". A chaque fois, "islamique". Et si ces catégories ne signifiaient pas grand chose ?

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Nigéria. Je relis les doutes que j'exprimais il y a deux mois sur le lien que certains faisaient entre Mali et Cameroun. Déjà, je relativisais le deux événements, expliquant que les mouvements islamistes du nord Mali (ou du sud Mali, mais c'est une autre histoire) avaient peu de choses à voir avec Boko Haram, et qui plus est avec l'enlèvement. On m’avait gentiment expliqué en privé que je n'y connaissais rien, et que les spécialistes, eux, savaient. Bon. Ben j'avais raison.

Surtout qu'en l'espèce, ce n'est pas vraiment Boko Haram qui a organisé, mais visiblement un groupe plus ou moins crapuleux, qui visait une autre cible, a pris celle-là par hasard, ce qui n'a été "adoubé" que du bout des lèvres par Boko Haram. Je cite : ""On a vite vu, ajoute le même diplomate, que les enlèvements ne relevaient pas d'un business, pour eux, à la différence d'AQMI."" et plus loin : "Le groupe des preneurs d'otages n'appartenait pas au cœur de la mouvance de Boko Haram, qui n'a assumé publiquement cet enlèvement que postérieurement. Les ravisseurs ont semblé, selon les experts, être des marginaux, déclassés socialement, ce qui a facilité la tâche des personnes chargées de faire libérer cette famille. "

  • Conclusion partielle : cet enlèvement a vraiment peu de choses à voir avec le terrorisme. Et donc avec le terrorisme islamiste.
  • Conclusion partielle n°2 : Tout enlèvement n'est pas forcément du terrorisme.

Boston. Egéa n'a pas cédé à "l'émotion médiatique" de la semaine. La sur-réaction (dans tous les sens du terme) empêchait toute analyse rationnelle. Que voit on, maintenant que l'on connaît les auteurs ? Deux individus, installés depuis longtemps, et qui semblent s'être rapidement et récemment radicalisés. Qui ont bricolé une bombe et pris pour cible "la foule américaine". Du jihadisme ? oui, si on veut. Cela mérite toutefois quelques explications.

Que l'islam soit devenu une religion du refus, de la remise en cause de l'ordre mondial, voici une nouveauté. Il est loin, le temps rappelé l'autre soir par Hervé Juvin (j'y reviendrai quelque jour) qui, citant Malraux, évoquait à quel point le chant du muezzin évoquait la paix immuable et endormie d'un ordre pluriséculaire (je cite de mémoire). Aujourd’hui, cet islam là n'est plus, bouleversé par la mondialisation. Sa radicalisation est une réaction à la modernité, mais elle est aussi le fait de la modernité.

Du coup, il s'universalise, et n'est donc plus "actionné" par une méta organisation, Al Qaida ou autre, qui tirerait les ficelles. On est loin du fantasme de l'organisation adverse que nous a donné à voir la série des James Bond : cette représentation est fausse, dans les films comme dans la vie réelle. Il reste que le "jihad" demeure une formidable propagande, un contre-récit, un chant des opprimés et des déclassés. Tous ceux qui se sentent en marge et qui ont perdu leurs racines peuvent y trouver raison d'être et fierté. C'est peut-être idiot de votre point de vue, mais cela explique énormément de choses.

Et tout d'abord, que cette religion décrite comme collective laisse, de plus en plus, la part à des initiatives individuelles, qui marquent paradoxalement le succès de l'influence occidentale, ultra individualiste. A cette aune, le jihad serait la conjonction du succès de l’individualisme occidental, et de réactions de refus, localisées. Regardez à quel point ce sont des individus qui quittent leur pays (Tunisie, Égypte ou Europe ou ailleurs) pour aller se "battre", dans une sorte de "Brigades internationales" d'un nouveau genre, sur les fronts identifiés : Tchétchénie avant-hier, Afghanistan ou Irak hier, Mali ou Syrie aujourd’hui. Décisions individuelles comme en 1936, destinées à se battre dans une logique de contre-culture révolutionnaire comme en 1936. Hier ils étaient communistes, aujourd'hui ils sont jihadistes.

C'est pourquoi les deux frères tchétchènes qui ont fait exploser les cocottes minute sont typiques : tout à fait Américains (individualistes), et tout à fait jihadistes, puisque voulant créer, hic et nunc, les conditions de leur combat et de leur refus. Sans rien demander à personne. Comme à Londres ou ailleurs : des insérés dans le modèle occidental qui ne s'y retrouvent plus et adhèrent au seul contre-récit disponible.

Du coup, le "terrorisme islamique" ne serait plus aussi simplement l'ennemi que l'on veut fabriquer. Il n'est qu'un instrument, absorbé et recyclé, ici par des individus, là par des groupes localisés qui s'en servent, temporairement, parfois pour attirer l'attention. Toujours divers et bien moins unique que ne veut nous le dire le discours unifiant, simplificateur et finalement rassurant débité à grosses tranches.

  • Conclusion partielle n° 3 : le terrorisme n'est qu'un procédé de combat, au service de multiples causes. Le "terrorisme" en soi ne peut être l'ennemi.
  • Conclusion partielle n°4 : l'islam n'est plus ce qu'il a été. Il a été bouleversé par la modernité mondialisée et on ne saurait unifier ses différentes manifestations. Ce qui rend le travail des services d'autant plus difficile qu'il n'ont pas un phénomène unique, mais accumulation de phénomènes qui ne partagent qu'un nom en commun.

Réf : le billet d'Abou Djaffar un peu sur le même sujet.

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 21 avril 2013, 21:21 par panou34

Certes il s'agit certainement d'initiatives individuelles mais provoquées ou amplifiées par un aspect de la mondialisation:internet.Plus besoin de trouver un gourou caché dans la cave d'une mosquée et un instructeur en explosif.On trouve sur la toile le prêcheur qui vous motive,les recettes de la cocotte minute explosive et la célébration des exploits des djihadistes que vous rêvez d'imiter.La solitude de l'individu se dissout dans l'espace de la toile qui lui garantit en plus un certain anonymat.


On est loin des Brigades Internationales que vous citez.Au moins pour les communistes elles avaient des bureaux de recrutement avec centralisation à Paris qui organisait le transfert vers l'Espagne et garantissait des revenus.Plusieurs bureaux existaient en France y compris à Oran.Le célébre Marty protesta même sur la sélectivité du recrutement qui avait attiré notamment des chômeurs à la motivation faible.Les consulats de France en zone républicaine furent assaillis de brigadistes déserteurs demandant leur rapatriement et ceux que les sbires de Marty interceptaient ne vivaient pas longtemps.Il y eut des initiatives individuelles pour rejoindre les républicains mais elles concernaient essentiellement des troskystes comme Orwell et des anarcho-syndicalistes.Le Komintern fit tout son possible pour éliminer ces adversaires idéologiques.


On ignore souvent que côté franquiste se battirent environ 1500 volontaires français pour la plupart dans la Bandera Jeanne d'Arc pour d'autres surtout royalistes avec les requetes carlistes.Parmi eux Michel de Camaret futur compagnon de la libération tout comme Rol Tanguy commissaire politique dans les Brigades.Peut-être qu'une conjoncture historique fera que djihadistes et Occident se retrouveront dans le même camp mais celà tient de l'horoscope géopolitique même si en Afghanistan dans les années 1980........

2. Le dimanche 21 avril 2013, 21:21 par Colin L'hermet

Bonsoir,

Je me permets de rappeler que la qaeda était justement à la fois une base de donnée et une base logistique en vue de l'enrôlement des mudjaheddines : le précurseur en fut le mekteb al khadamat li el djihad al afgani, à Peshawar.

Dans un mouvement similaire à celui qui a pu donner la virtualisation de l'économie, le terrorisme a connu son propre passage du secteur secondaire au secteur tertiaire : la dématérialisation des structures, une logique privilégiant les flux et une délocalisation de l'activité.

en caricaturant bien, 3 étapes historiques :
. Après le Konzern-Zaibatsu de la Qaeda franchisant des unités de production,
. puis son émiettement sous les coups de butoir de la logique antitrust (attaques indistinctement contre la masion mère et les franchises),
. on en revient à une sorte d'Eldorado du petit entreprenariat aidé a) par des pouvoirs locaux offrant des zones franches (le renssentiment envers un occident honni, voire des agendas locaux cf Mali-AQMI-Azawad) et b) les capacités de l'Internet pour l'accès aux fonds et aux brevets.

Donc si on suit mon pitoyable raisonnement, le terrorisme n'est qu'une forme de combat dont les modalités épousent les mutations de la mondialisation-globalisation.
De ce fait, on peut raisonnablement, dans le sillage de notre hôte, admettre que le terrorisme à motivation jihadiste est une forme de modernité.
Et pour conclure, que comme pour la (vaine) régulation de la mondialisation-globalisation, le CT se doit de pister des entreprises et des fluxs tous différenciés, mais qui finissent par employer un même "business model".
Ce sont sur ces points communs que se mène d'ordinaire la veille heuristique permettant de déceler suffisamment en amont pour éviter la commission.

J'arrête là mon navet "Le terrorisme expliqué à ma fille"./.

Bien à tous,
Cl'H./.

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