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Conversation sur le LB

Déjeuner l'autre jour avec E. Nous parlons du Livre blanc. Si l'article de Ruello l'a fait beaucoup rire, s'il trouve que Tertrais fait un peu trop le service après vente, nous en venons au texte proprement dit.

source

Bien sûr il est insipide et plat, comme souvent ce genre de documents. Nous évoquons sa durée d'écriture. Tout ça pour ça, lui dis je. Il répond que ce délai à probablement été vertueux, car il a permis la prise de conscience que l'on ne pouvait pas obtenir autant de gains qu'espérés : souviens toi de M. Aubry qui avait déclaré qu'il y avait là des réserves. Entre les conséquences industrielles et la faible rentabilité des coupes, c'est ce qui a permis d'éviter l'option Z. Autrement dit, la durée à permis d'échapper au pire.

Certes, mais là, ce sont des options budgétaires, pas de la stratégie, lui dis-je. Oh! C'est toute l'ambiguïté de l'exercice : tenir compte de la crise de la dette qui a des effets stratégiques majeurs. La contrainte budgétaire à été en permanence dans les débats.

Moui. Mais il n'y a pour le reste rien de bien nouveau ? Si, la prise en compte du pivot américain , même si on n'en a pas tiré toutes les conséquences, notamment à dix ans, en termes de réassurance.

Oui, mais aucune nouveauté, objecté-je (j'aime bien l'inversion du présent de l’indicatif à la première personne, où il faut mettre un é pour montrer qu'on a sa grammaire : ça me fait penser à San Antonio, toutes proportions gardées)

Il répond : Mais un Livre blanc est un document officiel, toujours un peu plat...

Non, pas toujours, dis-je. Celui de 1994 avait proposé les scénarios ou le système des quatre fonctions stratégiques (même si elles sont critiquables). Et celui de 2008 avait été innovant par bien des aspects : l'arc de crise (même si c'est une bêtise dont on s'est heureusement débarrassé cette fois-ci), la résilience, la fonction connaissance anticipation, les propos prophétiques sur le cyber ....

Oui, tu n'as pas tort, concède t il. Et je suis aussi d'accord avec toi : la QDRisation est une bêtise. Déjà idiote aux États Unis, ce sera pire chez nous.

Sur cette heureuse conclusion, nous passons à autre chose de plus intéressant.

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 17 mai 2013, 23:07 par yves cadiou

Sur la photo, vous avez beaucoup changé depuis que je vous ai vu.
Ou alors c’est à cause de la casquette.

La platitude du LB résulte du simple fait que personne, même pas son commanditaire, ne sait à quoi ça sert. Bien sûr « l’environnement stratégique a changé » mais on peut dire ça tous les matins, de toute éternité. L’actuel Président a commandé un LB parce que son prédécesseur en avait commandé un. Le prédécesseur lui-même ne savait pas bien pourquoi il fallait un LB en 2008 mais en 1994 Edouard Balladur, probablement pour mettre en valeur sa candidature à l’élection présidentielle de l’année suivante, en avait commandé un. Si un simple Premier ministre s’était permis de commander un LB, alors le nouveau Chef de l’Etat, Chef des Armées, se devait d’en faire un aussi. Quant à l’actuel locataire de l’Elysée, il a imité le locataire précédent sans trop savoir pourquoi. L’origine de ces LB successifs doit être cherchée dans les ressorts psychologiques du personnel politique plutôt que dans des nécessités stratégiques. Les membres de la Commission savent tout cela et de ce fait ils ne sont pas motivés. Ils font donc le service minimum pour justifier leur rémunération.

Vers 1960 eut lieu pour la France un double bouleversement stratégique (décolonisation, possession de l’arme nucléaire) sans qu’il y eût besoin d’un LB pour ça. La pensée stratégique de l’époque fut pourtant foisonnante comme vous le rappeliez le 25 avril dernier en évoquant Lucien Poirier. En 1972 au contraire le premier LB, qui déjà ne servait à rien, ne faisait que camoufler le refus de réfléchir des successeurs de De Gaulle. Si l’on examine les années 70 et 80, l’on voit que le LB de 1972 est resté lettre morte pour l’essentiel de ses analyses et préconisations. Quant au LB de 1994 (auquel je n’ai pas prêté beaucoup d’attention, je l’avoue), il insistait sur l’Europe et ne parlait pas de suspendre le service militaire obligatoire. Il insistait au contraire sur la nécessité du service national. On a vu la suite.

Ce LB de 2013 comme les précédents, mais cette fois-ci de façon encore plus notoire parce que maintenant l’on peut en discuter sur @internet, résulte du refus de penser dont vous parliez récemment (le 16 mai, sous le commentaire n°8). Le titre de votre billet était « l’impuissance du pouvoir » : il a donné lieu à dix commentaires solidement argumentés.

2. Le vendredi 17 mai 2013, 23:07 par Tienon

(Merci pour ce blog... c'est fort utile pour travailler les concours, rester informé et avoir des "élements de langage" et de réflexion...)

@ Yves : Je ne serais pas aussi sévère que vous dans l'appréciation globale de l'utilité des livres blancs.
Ils sont pour moi un véritable exercice d'adaptation et de prospection stratégique et sont un outil important de définition de l'outil de défense sur le long terme. Leur intérêt est qu'ils ne proviennent pas uniquement de la doctrine ou de la DAS mais qu'ils sont l'expression d'une volonté politique (annoncée) concertée avec tous les acteurs de Défense. Ils interviennent tout de même, en théorie, dans des changements de paradigme stratégique.

En 1972, il a fallu déterminer l'équilibre entre armement conventionnel et dissuasion. Certes, c'est tardif. Mais on ne définit pas forcément la politique nucléaire à long terme aussi vite que l'on acquiert la bombe...
Le LB de 1994, c'est vrai, ne parle pas explicitement de la professionnalisation des armées. (Mais il ne parle pas non plus de renforcer le service national, tout au plus il parle de la "cohésion nationale". Il dit même"l'environnement général est un domaine sur lequel un effort de réduction et de rationalisation doit être poursuivi"). Mais la professionnalisation des armées n'est pas une cause du changement de l'environnement stratégique, elle n'en n'est qu'une conséquence. La cause réelle, c'est bien la disparition de l'URSS et la création de l'Union Européenne. Et là, le LB de 1994 tire les conclusions : d'abord en donnant plus de place au rôle de l'Europe, ensuite en essayant d'envisager le rôle nouveau des alliances, notamment de l'UEO et de l'OTAN. Il décrit le nouvel équilibre armement conventionnel/nucléaire et se questionne sur le nouveau rôle de la dissuasion. Certes, il n'a pas toujours été suivi d'effet, mais c'est plutôt à cause d'un manque de volonté politique... là dessus, on se rejoint.

Inutile de rappeler LB de 2008 redéfinit les 5 grandes fonctions stratégiques après le 11 septembre et l'avènement du terrorisme et sur lesquelles nous nous appuyons toujours...

Ce qui est plutôt reprochable, c'est le dévoiement de l'instrument. On en a fait un instrument d'adaptation budgétaire, déjà en 2008, encore plus en 2013. La LPM 2009-2014 (mais on peut parler aussi de la précedente et de la suivante) ne reprend pas du tout, mais alors pas du tout la logique de la LOLF (qui rappelons-le, est une Loi Organique, donc juste en dessous de la Constitution, et qui est censée fonder la nouvelle architecture budgétaire de la Défense en missions/programmes/action), alors qu'elle annexe le résumé du Livre Blanc (qui, lui, n'a aucune valeur juridique). Le LB sert désormais à justifier la réduction du format de nos armées qui sera prévue dans nos LF et LPM, sans rien apporter de réellement nouveau. C'est devenu un alibi. Sa révision fixée tous les 5 ans l’assujettit encore plus aux opportunités politiques.

Oui, il y a toujours eu une sorte d'opportunisme politique (pourquoi s'en priver?), mais le LB reste un instrument utile. Ce qui est problématique est l'usage que l'on en a fait, et là-dessus je vous rejoint.

3. Le vendredi 17 mai 2013, 23:07 par Colin L'hermet

Bonjour,

J'en viens à me demander si les commanditaires de LB ne prennent pas trop au sérieux la devise de O.Kempf : ils ne l'auront pensé qu'à compter du moment où ils l'auront écrit (fait écrire ?) !

Leurs conseillers aux affaires stratégiques flâneraient-ils trop souvent ici ?

En France nous nous payons bien trop de mots.
Tout cela ressemble à de la mauvaise maïeunnaise./.

Bien à vous,
Colin./.h

Egea  maïeunaise  : excellent 

e

4. Le vendredi 17 mai 2013, 23:07 par yves cadiou

Je réponds au jeune Tienon (je dis « jeune » parce qu’il prépare des concours : qu’il y voie une marque de sympathie) en conservant mon extrême scepticisme sur l’utilité des livres blancs. Scepticisme que je ne voudrais obliger personne à partager mais qui est quand-même fondé.
« Véritable exercice d'adaptation et de prospection stratégique », l’on peut y croire ou faire semblant d’y croire. L’objectif des LB est ailleurs : faire passer au second plan les réels impératifs de défense nationale et adapter ceux-ci à des intérêts politiciens.

Le premier livre blanc (1972) est particulièrement illustratif à cet égard : il servait à empêcher de tirer les conclusions logiques de notre équipement nucléaire. La conclusion logique aurait été de supprimer le service militaire obligatoire. La conclusion logique était de passer dès les années 70 à une armée de métier, permanente et réellement opérationnelle comme aujourd’hui. Ce fut d’ailleurs l’époque du début de la professionnalisation (1969), rendant possibles les opex qui commencèrent à être volumineuses en 1978, sans qu’aucun LB n’eût prévu cette évolution. Dans le même temps la « menace soviétique » nous imposait d’être capables de tenir un moment jusqu’à la nucléarisation du conflit (et dans les années 70, les Allemands auraient supporté l’essentiel du choc initial) et pour ça les gros bataillons de la conscription n’avaient pas d’utilité.

Que le LB de 1972 eût pour fonction de « déterminer l'équilibre entre armement conventionnel et dissuasion » vous pouvez affirmer ça à l’oral si vous êtes prêt à répondre brillamment (et dans ce cas, ça peut payer) aux questions que ça ne va pas manquer de susciter : « De quel équilibre parlez-vous ? Budgétaire ? Opérationnel ? Et pourquoi fallait-il un équilibre ? » Si l’on vous cuisine bien, vous finirez par avouer qu’en réalité le LB de 1972 avait pour seule fonction de justifier le maintien du service militaire obligatoire. Pourtant celui-ci n’avait plus de motif d’être maintenu au regard des impératifs de défense nationale.

Le service militaire obligatoire permettait d’envoyer pendant dix-huit mois des jeunes citadins maintenir une petite activité dans des bleds dépeuplés de la Champagne Pouilleuse ou de la Creuse profonde. C’est à cause de la surreprésentation du monde rural au Parlement que le service militaire obligatoire a survécu pendant vingt ans de trop, permettant de maintenir des implantations militaires dans des zones peu attractives où personne ne voulait aller ni rester. C’est ce que vous appelez « l'équilibre entre armement conventionnel et dissuasion ». Le maintien du service militaire pourtant devenu inutile, d’autres l’ont appelé « la Nation en armes » comme si les engagés volontaires ne faisaient pas partie de la Nation.

Je vous parle de tout ça non pour ruminer un passé irrévocable, mais parce qu’aujourd’hui encore des décisions dites « de défense nationale » sont prises pour des motifs qui n’ont rien à voir avec la défense nationale mais au contraire la plombent : transférer un régiment de Versailles à Mourmelon, ou un autre de Senlis à Douai, ça va à l’encontre d’une bonne politique de recrutement et de fidélisation. Aucun LB ne mentionne ce problème.

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