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Crise au SHD ? Entre ignorance et mauvaise foi des commentateurs

Je reproduis ici le billet de Rémi Porte, qu'il vient de publier sur son excellent blog. Il s'agit de l'affaire "Paulus", signalée par J. guisnel avec, semble-t-il, un traitement qui mérite des éclaircissements. Je ne connais pas le gEneral Paulus, ne suis pas un historien militaire, mais juge utile d'évoquer ce sujet.

O. Kempf

Garder à l'esprit les fondamentaux ...

Crise au SHD ? Entre ignorance et mauvaise foi des commentateurs

J'ai été très étonné de lire, il y a trois jours, sur le site Lepoint.fr, l'article de Jean Guisnel titré "Le général Olivier Paulus et son adjoint exclus du Service historique de la Défense" (ici). Mélange de rumeurs et de sous-entendus, avec un soupçon de mauvaise foi pour faire passer le tout. Sagement, j'ai attendu quarante-huit heures pour voir si une réaction était publiée. Rien. Je passe quelques appels à différents camarades, membres du SHD ou non. Tous sont choqués, mais pour les uns (les militaires le plus souvent) le devoir de réserve interdit de réagir publiquement, tandis que pour les autres (historiens civils et universitaires) il faut y voir la partie visible d'un iceberg de lutte pour le pouvoir aux échelons supérieurs au SHD, ce qui impose d'abord de se faire discret. Bref, le "grand silence des espaces blancs", qui accrédite la thèse publiquement diffusée ! Au bilan, il est tellement facile de "charger" un militaire, sans apporter la moindre précision ou référence !

N'ayant jamais servi sous les ordres du général Paulus et n'étant l'obligé de personne, il me parait normal de rétablir quelques vérités. Analysons donc ce texte, paragraphe par paragraphe, et décryptons-le :

- Le premier paragraphe est globalement exact. Oui, l'atmosphère se dégrade au SHD depuis des mois, oui différentes catégories de personnel travaillent sur le site, oui il y a un conflit d'autorité. Mais, immédiatement, une réserve : il ne s'agit pas d'une opposition (qui serait presque statutaire ou de principe selon l’article) sur les archives entre officiers et conservateurs. Il s'agit des conséquences d'une absence de politique claire, d'un "défaut de gouvernance", comme on dit aujourd'hui. Alors, pourquoi existe-t-il un SHD et à quoi doit servir cet organisme ? Nous y reviendrons à la fin de cet article.

- Le deuxième paragraphe est le plus perfide. Après avoir brossé en quelques lignes la belle carrière du général Paulus, Jean Guisnel "glisse" discrètement que celui-ci aime vraiment beaucoup les décorations "qu'il porte pourtant fort bien", d'ailleurs il n'y a qu'à regarder la photo officielle... Monsieur Guisnel est journaliste de défense depuis assez longtemps pour avoir croisé ces dernières années des dizaines (des centaines ?) d'officiers (et d'autres) portant cinq barrettes complètes ou plus, ce qui n'a rien d'anormal depuis que se multiplient les séjours à l'extérieur et les relèves. Certes, la plupart sont des "commémo" (il n'y a pas si longtemps, un séjour de 6 mois en ex-Yougoslavie donnait la possibilité de recevoir jusqu'à 3 médailles, une tous les deux mois), mais en quoi le général Paulus aurait-il à rougir ou à cacher ces témoignages extérieurs d'une longue carrière ? Jouer sur ce registre est petit et mesquin, j'en parle d'autant plus librement que ceux qui me connaissent savent que je ne porte jamais de décoration.

- Les troisième et quatrième paragraphes insistent sur un aspect très particulier, celui des archives "nucléaires", par nature extrêmement sensibles et protégées. Du croustillant donc ? Or il s'avère que le dossier Jupiter (I puis II) remonte à de longues années déjà et que son traitement exige, par définition, une grande précision ... mais aussi des moyens pour assurer la sécurité. Que le chef du service s'en préoccupe semble on ne peut plus naturel. Il n'y a pas là d'opposition entre des catégories de personnel qui souhaiteraient une ouverture plus ou moins large des archives, mais application de la loi et respect des règlements, et tout particulièrement celles et ceux relatifs à la protection du secret de la Défense nationale qui relève du SGDN sous l'autorité du Premier ministre. Faux problème donc, et surtout ce n'est pas sur ce dossier (dont la quasi-totalité des cadres du service ne connaissent au mieux que le nom) que "tout le personnel spécialisé détaché du ministère de la Culture s'indigne". Par contre, et il suffit pour s’en rendre compte de discuter sur place avec toute les catégories de personnel, à tous les niveaux hiérarchiques, le conservateur chef des archives de Vincennes a-t-il bien pris en compte les spécificités d'un Service relevant du ministère de la Défense et dont la collecte et la conservation des documents n'est qu'un aspect des savoir-faire, relevant de la mission archivistique à côté de celles attachées aux bibliothèques, à la symbolique et à l'histoire militaire ? Par nature et par fonction, le SHD n’est pas homothétique des Archives nationales. Qu'on le veuille ou non, le SHD n'est pas qu'un service d'archives. Il a, de surcroît, la mission de contribuer à l'écriture de l'histoire des armées et du ministère, et à l'exploiter pour apporter aux autorités et aux unités la connaissance et la compréhension de la chose militaire. Voilà ce qui différencie fondamentalement le SHD des autres services d'archives ministériels. Nous y reviendrons un peu plus loin.

- Le cinquième paragraphe, à partir du cas particulier de ces archives sensibles, généralise hâtivement le discours : les militaires soupçonneraient les conservateurs de "préparer un hold-up" sur leurs archives ! N..de D... ! Un hold-up ! Parlez-en à la poignée de militaires qu’il reste à Vincennes. Pour eux, ce mystérieux hold-up est inutile : ils sont peu-à-peu dépossédés non seulement de l’autorité mais même de leurs propres marges d’initiative.

- Les deux derniers paragraphes mettent en cause les autorités de tutelle, qui ont "négligé" , "étouffé", "glissé sous le tapis pendant des mois" ce différent. Belle découverte. Qui a réagit lorsque le général Paulus a, à plusieurs reprises, « tiré la sonnette d’alarme » ? Qui a réagit lorsque le conservateur général qui lui était adjoint s’est adressé directement aux cabinets de la Culture et de la Défense pour critiquer et contester son chef (toute l’université parisienne a été au courant) ? Y a-t-il là quelque chose d'original ou d'atypique dans une haute administration où la règle de base est désormais celle du "Pas de vagues !" ? En résumé, un article qui multiplie les sous-entendus à partir des confidences, selon la formule consacrée, de "sources proches du SHD". Lesquelles ? Personne ne le sait ! Alors posons la question : qui a intérêt à déstabiliser le général chef de service ? Qui aimerait être "calife à la place du calife" ? Selon l'ancienne formule des enquêteurs : à qui profite le crime ?

Revenons donc sur le sujet laissé en suspens et qui constitue, au-delà des situations personnelles, le fond du dossier : pourquoi un Service HISTORIQUE de la Défense ?

La sémantique nous donne une première réponse : il ne s'agit pas du service des archives de la Défense, et l'emploi du mot Historique souligne bien qu'il n'est pas simplement question de collecter, conserver et communiquer des documents. Dès le Directoire, le Dépot de la Guerre, "ancêtre" du SHD, reçoit la double mission de "conserver la mémoire de la nation en armes" ET de contribuer à la formation militaire des officiers en permettant l'étude des campagnes passées. Après 1870, c'est autour des officiers historiens qu'est créé le 2e bureau de l'état-major, c'est le général Lewal qui commande la jeune Ecole supérieure de guerre, ce sont les officiers de la section historique de l'état-major qui animent le renouveau doctrinal. Après 1918, Clemenceau affecte une cinquantaine d'officiers à la rédaction des AFGG (Armées Françaises dans la Grande Guerre), monumentale étude jamais égalée, rédigée à partir des archives primaires et des documents originaux, dont les quelques 110 volumes sont publiés au cours de l'entre-deux-guerres. Depuis toujours, les chercheurs du SHD (officiers et personnel civil) participent à la formation, enseignent dans les écoles, dirigent des études tactiques sur le terrain, rédigent des ouvrages de référence en puisant leurs informations à la meilleure source : les archives. Jusqu'en 2005, tant que chaque service d'armée relevait de son propre état-major, ce lien naturel n'a pas été remis en cause. Depuis la fusion de tous les services en un seul ensemble relevant de la chaîne SGA via la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (et l'on observe ici que le mot "histoire" est absent), ce lien a été sinon rompu, du moins fortement distendu.

Au fur et à mesure du temps, des spécialistes civils des archives ont été affectés au service, leurs compétences reconnues leur permettant d'être des conseillers techniques écoutés du commandement. Peu à peu, la diminution de plus en plus sensible du nombre de militaires à Vincennes a fait son oeuvre : la nature a horreur du vide. Avec la quasi-disparition des officiers historiens qualifiés, le personnel détaché du ministère de la Culture a naturellement imprimé son style, sa marque, ses priorités, ses choix. Et il devient presque "anormal" ou "méprisable" de vouloir étudier les campagnes militaires, contribuer au RETEX, s'intéresser aux opérations passées, récentes, en cours. En clair, les armées ne sont bientôt plus chez elles dans leur propre service d'archives. Voilà l'origine de la crise. Lorsqu'un général souhaite rééquilibrer le dispositif, redonner à l'histoire une utilité et une visibilité, contribuer aux débats en cours, appuyer les opérations, il devient personna non grata dans son propre service, parce qu'il a été "laché" par les autorités de tutelle qui l'on pourtant nommé. Ce n'est pas le général Paulus qui a fragilisé le SHD : ce sont ceux qui, depuis plusieurs années ont détourné le service de l'une de ses missions, qui ont poussé à la réduction dramatique d'une capacité de recherche, qui ont fermé les yeux sur l'abandon de l'une des richesses du ministère. Notons d'ailleurs que le même journaliste, il y a quelques jours, sous le titre "Exclusif : l'armée de terre dénonce une prise de pouvoir de l'administration sur l'opérationnel" (ici), rendait compte d'une réalité quotidiennement vécue. Le problème est du même ordre à Vincennes. Parmi bien d'autres points, le récent rapport de l'amiral Chomel de Jarnieu, inspecteur général des armées pour la Marine, pointe d'ailleurs cette "faiblesse" militaire de Vincennes. Chacun le sait. Personne n'en parle.

N’ayant, je le répète, aucun lien particulier avec le général Paulus, je m’indigne de la réputation, de la fin de carrière, du sort faits à un homme qui a eu le grave défaut de vouloir remettre le navire sur sa voie, et je m’inquiète d’une évolution qui annonce, si l’on n’y prend pas garde, de tristes lendemains. Alors que faire ? Continuer avec persévérance à défendre une capacité d'étude et d'enseignement au profit des armées. Et donc de recherche, car on ne peut pas admettre que les "officiers historiens du futur" se contentent de recopier et synthétiser plus ou moins bien deux ou trois livres pour dispenser de temps en temps quelques heures de cours. Tout enseignement implique, exige, une recherche. Tout travail au bénéfice d’un état-major nécessite de repartir des archives primaires. Ces officiers doivent non seulement être titulaires de toutes les qualifications universitaires mais aussi, c’est indispensable, s'investir dans les archives, manipuler les dossiers, consulter les documents originaux. C'est à cette indispensable condition qu'ils pourront être utiles à leur institution d'appartenance et que leurs successeurs pourront peut-être rédiger, dans quelques années, les "AFGG de l'an 2000". Encore faudrait-il que les missions soient clairement définies (un petit peu comme à l'armée, désolé !) et que les responsabilités des uns et des autres soient clairement fixées.

Nul doute que nous reparlerons dans l'avenir de ce vaste et important sujet.

N.B. : je n’ai pas abordé ici, du fait du sujet, la délicate question de la communication des archives au public. Tous les universitaires, enseignants-chercheurs, et étudiants parisiens ou provinciaux ont beaucoup à dire sur ce sujet, qui relève totalement du chef des archives de Vincennes A chacun ses responsabilités…

Rémi Porte

Commentaires

1. Le samedi 29 juin 2013, 10:36 par anonymous

Ne croyez vous pas qu'en réalité le journaliste mentionné a clairement désigné les tenants et aboutissants dans son papier suivant?

http://www.lepoint.fr/editos-du-poi...

2. Le samedi 29 juin 2013, 10:36 par Marco

A moins que le rôle de Mme LEBOUCQ ne soit pas si anecdotique dans le fouillis actuel...

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