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Centrafrique et Etat

Ce qui frappe, en Centrafrique, c’est la disparition de l’État.

On nous dit qu’elle tient à la venue du Seleka. Je crains qu’il ne s’agisse d’une vision à courte vue. La disparition de l’État en RCA a été plus ou moins sciemment organisée, principalement par les voisins, avec une certaine indulgence (ou négligence) de Paris. Ainsi, le Tchad mais aussi le Congo (Brazza) et, dans une moindre mesure, le Cameroun et le Soudan se sont fort bien accommodés de cette zone tampon.

source

L’inconvénient, c’est qu’une zone tampon doit conserver un certaine force pour continuer de jouer son rôle : on assiste aujourd’hui à la déliquescence des deux. (Cliquez sur le titre pour lire la suite)

Peut-être n’est-il pas nécessaire de revenir sur la difficulté de l’état en Afrique. Très souvent fondé sur les débris de la colonisation, il a du mal à se solidifier. L’absence de profondeur historique de ces construction étatiques (en disant cela, je ne dis pas comme l'autre que l’Afrique n’a pas d’histoire, simplement que le fait étatique à l’occidentale est d’importation récente) est une des causes principales de leurs difficultés actuelles.

Accessoirement, l’absence de guerre inter-étatique aussi. Celles-ci ont bien des défauts surtout quand on les fait, mais une fois la paix revenue elles constituent un socle commun sur lequel une nation élabore son vivre ensemble. Or, les États africains (et souvent, proche-orientaux, l’avez-vous remarqué ?) sont nés à un moment où l’on mettait la guerre inter-étatique hors la loi. Ainsi, cette absence de profondeur historique n’a pu être inventée par des faits générateurs de nouvelles solidarités nationales. Il y a des exceptions : par exemple l’Érythrée qui a lutté pour la sécession est probablement (malgré tous ses défauts) un État devenu État-nation. Le Soudan du sud n’a pas eu ce destin…

Or, une des caractéristiques de l’État (la première, en fait) tient à son monopole de la violence. La légitimité viendra après, mais il faut d’abord établir ce monopole sur un territoire. Cela a bien des inconvénients (et notamment, surtout au début, beaucoup d’arbitraire) mais cela organise la société. Or, aujourd’hui, la disparition de l’État en RCA est allée de pair avec l'évanouissement de ce monopole de la violence. Dès lors, la violence est redevenue endémique. Le Séléka n’est que la conséquence de la perte de l’État, il n’en est pas la cause !

Dès lors, on en revient à un état pré-hobbesien, celui d’avant le Léviathan. La guerre de tous contre tous.

Cela explique la « surprise française » devant le déchainement de violence provoquée par son intervention. En effet, elle rendait encore plus possible cette violence de tous contre tous, affaiblissant le semblant d’ordre que représentait encore le Séléka.

On ne développera pas sur l’incongruité de la mission qui consiste à « désarmer », comme si, dans une situation de guerre de tous contre tous, c’était l’arme qui faisait problème. Depuis le Ruanda, on sait que n’importe quel instrument agricole peut servir d’arme de destruction massive et génocidaire.

Bref, il faut reconstruire l’État.

Pas en faisant comme d’habitude avec les grands succès que l’on sait (élections, consultations, etc..) : trente ans d'essais variés à travers le monde et finalement peu de réussites. On est en effet dans une situation où il faut d’abord rétablir le monopole de la violence avant d’établir sa légitimité. D’abord l’État, puis la légitimité.

Or, pour établir un monopole de la violence, il faut le pouvoir. Qui l’a ? Personne dans le pays. A l’extérieur, éventuellement des acteurs étatiques mais leur intervention pose, pour le coup, la question de leur légitimité (France, Tchad, ...). Cercle vicieux dont on ne sortira pas.

Enfin, je vous invite à relire ce billet écrit le 28 novembre, avant même l'intervention. J'avais (malheureusement) raison. Le clivage religieux n'est pas la cause, c'est la conséquence.... Les gens se regroupent derrière n’importe quel lien qui fasse communauté (langue, religion, ethnie, territoire sacré, tribu...). Réintroduire des solidarités locales consiste en effet à rebâtir du bas le vivre ensemble, seul moyen d’accueillir un État.

Le Chardon

Commentaires

1. Le mardi 3 mars 2015, 09:10 par pascal

Un an après, rien n'a changé : on en est toujours à prévoir des élections (mais il faudra d'abord organiser un référendum pour le Constitution, mais il faut d'abord faire le forum inclusif qui permettra à toutes les "sensibilités" de s'exprimer....). La violence est de plus en plus prégnante, à Bangui comme en province...

Seule différence, les FACA (forces armées) semblent être en phase de renaissance : intégration (minimale) dans le processus de sécurisation de la capitale, création d'une mission européenne qui leur sera dédiée (EUMAM), souci général de les restaurer. Le retour du "monopole de la violence" viendra t-il de là ? Sous quelle forme : légitime ou coup d'état ?

ALC : merci en tout cas de ce CR. Je crains que le retour à l'État ne se fasse pas forcément suivant des voies démocratiques.... (euphémisme) Pour avoir le monopole de la violence, il faut posséder une dissymétrie par rapport aux adversaires. Bref, il sera probable qu'un lent processus de féodalité locales s'affrontent pour que l'une, peu à peu grossesse et prenne le contrôle de parts toujours plus importantes du territoire. Cela prendra du temps.

2. Le vendredi 6 mars 2015, 21:47 par Ph Davadie

Est-il bien satisfaisant de définir l’État comme étant celui qui a le monopole de la violence légitime ? Si j'étais un chardon, je classerais cette expression dans la (nouvelle) rubrique des "expressions bobos". Car elle ne donne qu'une version négative de l'Etat qui se définit comme intrinsèquement violent. Or quel est l'homme normalement constitué qui a envie de se placer sous les ailes d'un violent ?
Cette définition pose plus de problèmes qu'elle n'en règle.
Et qu'est-ce que la violence légitime ?
Et donc quelle est la différence entre un Etat déliquescent, comme il en existe beaucoup dans le monde, et une mafia ?

ALC : et pourtant, je maintiens. CE n'est pas simplement une citation de Max Weber, cela remonte aux fondements de la philosophie politique, cf. Hobbes et le Léviathan. Accessoirement, relire le sociologue Charles Tilly (la guerre fait l'état) ou encore Roger Caillois (Bellone). Il y a un lien intime entre la constitution de l'Etat, la possibilité de maintenir l'ordre à' l'intérieur et à l'extérieur et le pouvoir de lever des impôts. Accessoirement, l'imposition est à l'origine de la démocratie... Donc non, ce n'est pas bobo "en soi" même si des bobos, des bourgeois, des bohèmes et autres catégories peuvent l'utiliser. Mais moi aussi (co. hors catégorie, bien sûr)

Quant à la déliquescence contemporaine des Etats, tout à fait d'accord avec vous : elle accompagne la déliquescence de la guerre. Quant aux mafias, j'irai encore plus loin : toutes les activités frauduleuses fondées sur des réseaux humains sont attentatoires à la souveraineté : mafias, pirates, Firmes Multinationales.... (Oh! Le gros mot!)

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