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Drones, distance et progrès

oodbae vient de publier un long commentaire sur un de mes anciens billets sur les drones. Cela vaut le coup d'attirer l'attention des lecteurs sur le sujet : je le publie donc comme billet autonome. Merci à lui. OK

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Je voudrais répondre, rapidement, à un commentaire précédent. En résumé, ce commentaire vilipende la prise de distance croissante du soldat par rapport à sa cible, ou sa victime selon le point de vue. Ce phénomène, de la prise de distance, franchirait une étape avec les drones, armés s'entend.

Je m'inscris en faux avec cette vision. Il s'agit d'une vision sensationnaliste, si je puis me permettre, à l'instar des procédés médiatiques et commerciaux qui présentent chaque nouveauté comme une révolution et chaque événement comme une nouveauté. Pour étayer ce point de vue, il suffit d'une prise de recul historique.

Comme toujours, la Seconde Guerre mondiale fournit une pléthore d'exemple.

A commencer par les bombardements massifs des villes allemandes (et européennes faut il rappeler) qui ont pu faire jusqu’à 40 000 morts en une nuit à Dresde en février 1945. Certes les pilotes risquaient leur vie, mais ils ne voyaient pas les massacres que les bombes - lâchées par eux sur une pression de bouton - causaient. Certainement qu'ils furent moins traumatisés que les fantassins qui faisaient face à leurs ennemis, notamment ceux qui se battirent à Stalingrad, là où les véhicules mécanisés ne purent pas être d'une assistance optimale.

Encore peut on regarder plus loin dans le temps, vers la Première Guerre mondiale. D'une part les mitrailleuses ont mis entre les mains de leurs servants un pouvoir mortifère largement supérieur à ce que l'esprit eût pu décemment concevoir. Les Américains l'avaient déjà expérimenté contre les Indiens de Sitting Bull. D'autre part l'artillerie a aussi été employée dans une mesure jamais atteinte, ce qui a valu à cette guerre le surnom de "guerre d'acier", concept largement détaillé par des historiens mais aussi par des artistes (Otto Dix, Ernst Junger entre autres). Durant la phase de la guerre de position, les fantassins furent souvent surnommés comme de la chair à canon, ce qui suffit à décrire la déshumanisation de la confrontation entre les artilleurs et leurs cibles.

Plus loin encore, l'introduction de l'arc - et de l’arbalète - établirent un déséquilibre dans la balance de la valeur au combat "mano a mano" des troupes et des pertes humaines respectives. La bataille d'Azincourt présente un intérêt particulier pour les Français, puisqu'elle est entrée dans la fresque historique nationale.

Encore plus loin, la pratique du siège dont la conséquence majeure est bien la mort de toute la population des villes assiégées, retranchée derrière ses remparts. Cette mort a lieu loin du regard des assiégeants, ce qui les libère de toute crise de conscience. On pourrait bien sûr évoquer Leningrad et sa tiercisation. Mais puisqu'il s'agit d'une rétrospective, j’évoquerai plus volontiers le siège d’Alésia. Jules César, dans "la guerre des Gaules", décrit cette phase du siège, lorsque les Gaulois de Vercingétorix, jettent les femmes, vieillards et enfants hors d’Alésia pour économiser les vivres restantes. Leurs cris eurent pu attendrir les soldats, mais le chef - César - recommanda la plus grande fermeté et fit même exécuter ces mourants afin de faire cesser leurs cris. Je n'entrerai pas dans une réflexion sur ce cas qui semble illustrer le concept de "dialectique des volantes" de Beaufre à propos de la détermination de César de gagner même au prix du massacre de ces personnes sans défense.

Ainsi, tous ces cas de figure, montrent d'une part cette évolution constante de la confrontation guerrière depuis l'origine de l’humanité. Les armées recherchent des moyens technologiques toujours plus poussés pour augmenter leur puissance destructrice - et aveugle - tout en se mettant eux-mêmes à l'abri du danger de mort, soit individuellement (arc, siège), soit en terme du ratio des ennemis tués aux pertes propres (cas des bombardements aériens, des mitrailleuses, de l'artillerie).

D'autre part, dans le cas d'une confrontation guerrière, le sort des populations civiles est souvent indifférent aux soldats, dans la mesure où on n'a pas fait la guerre à la Wehrmacht mais au troisième Reich allemand, pour faire court. La tactique du siège illustre cela le mieux. Les bombardements aériens de la Seconde Guerre mondiale sur les villes - et non sur les seules cibles militaires - montrent aussi les progrès faits dans ce domaine, si vous me pardonnez l'emploi du mot progrès dans ce contexte, ce que Paul Valéry reprouverait probablement d’après sa phrase célèbre "le progrès s'est arrêté à Hiroshima".

En conclusion, il s'agit au mieux d'un problème éthique de second plan, au pire d'une diversion, de se poser des questions sur les conséquences de l'emploi de drones armés. Dans tous les cas, il s'agit d'une perte de temps et d’énergie. Mieux vaudrait s'employer à trouver les moyens de s'en protéger et de les détruire.

A ce sujet, mettre hors-service le système GPS de l'adversaire pourrait déjà représenter une bonne option pour commencer, ce qui nécessiterait bien sûr de maitriser soi-même un système alternatif. Priver les drones adversaires de l'utilisation de l'Internet sur son sol ne serait pas non plus inopportun. Mais peut on disposer d'un internet alternatif pour sa propre utilisation ou est on contraint à une tactique de terre brulée? Les radars sont il capables de détecter des drones terrestres ? De nombreuses autres problématiques peuvent être soulevées dès qu'on s’intéresse à la technique de ces drones.

Bref, de nombreuses perspectives de développement technologique pour la défense, et j'insiste sur ce mot de défense , stratégique s'entend. Et ces perspectives ne peuvent être abordées si l'on se perd en confrontations rhétoriques sur la révolution éthique de l'introduction de drones.

PS: évidemment, la question de l’évolution des technologies de la défense est liée à la question de l’entité à défendre et de la définition de l'ennemi. Si l'on part du principe que les USA seront toujours nos amis, alors on ne voit pas le besoin de bâtir un GPS alternatif. Si on voit comment les USA traitent leurs amis, on voit que stratégiquement parlant, il vaut mieux disposer d'un GPS alternatif.

oodbae

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