Boko haram, au-delà du Nigéria

Voici donc une "émotion internationale" qui place Boko haram au devant de l'actualité. L'enlèvement de 200 jeunes filles fait plus que les massacres à répétition qui endeuillent le nord du Nigeria depuis cinq ans. Alors pourtant que l'intervention au Mali ou les enlèvements de Français au Cameroun avaient taire l'attention sur le groupe. Comme toujours, il est à craindre que cette émotion sera de courte durée. Cela n'empêche pas de réfléchir à la situation. Avec toute la prudence qui s'impose de la part de quelqu'un qui n'a aucune prétention à connaître l'Afrique ou les différentes sectes islamistes... Je m'excuse à l'avance devant les experts, reconnus ou autoproclamés...

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Constatons tout d'abord que contrairement à ce que certains affirment, BH est un mouvement local, concentré au nord du Nigeria et qui n'entretient pas de liens particuliers avec les autres mouvements islamistes de la région. Quasiment aucune liaison avec les mouvements sahéliens ou sahariens, du Mali de Libye ou d'ailleurs. Pas de prétention à un califat international, juste une réponse à des besoins locaux. L'islam n'est que le véhicule d'une mobilisation, assez simple pour être partageable, assez présent pour mobiliser. BH ne diffuse même pas sur l'ensemble du nord du Nigeria.

Cette caractéristique semble tenir à la géopolitique intérieure nigériane. Souvenez vous, les observateurs avaient été surpris qu'un président chrétien soit élu en 2011 dans ce pays à la majorité musulmane. Chrétien, mais surtout du sud, comme si les déterminations religieuses jouaient peu. Autrement dit, le facteur religieux, bien que très apparent, n'est peut-être pas la vraie racine des choses. Celle-ci vient se greffer par dessus.

En effet, simultanément, le Nigeria est devenu énormément riche grâce à ses ressources pétrolières qui ont dynamisé le pays, du moins son PIB, désormais au premier rang africain (vous avez dit Afrique du sud ? Derrière...). Ou plutôt, ont dynamisé le Sud du pays, délaissant le Nord dans un sous-développement assumé. La raison en tient au manque d’État, ou plus exactement à la corruption généralisée qui fait que malgré des sommes ahurissantes (23 % du PIB consacré à la lutte antiterroristes), la sécurité ne soit pas assurée dans le nord, sans même parler du développement économique ou de l'éducation.

Ainsi, d'abord, des raisons politiques et économiques avant même l'explication si facile du terrorisme international. Ajoutons des violences publiques ahurissantes, la seule réponse à BH ayant été l'envoi massif et indiscriminé de la force dans le Nord-Est, et vous aurez une population largement hostile et une région quasiment en sécession. Il semble que 80 % des attaques de BH soient en fait des ripostes à des initiatives armées du pouvoir.

Est-ce à dire, pourtant, que BH n'est que nigérian ? Il semble que les mêmes causes produisant les mêmes effets, il s'étend au delà de frontières nationales. Beaucoup au Cameroun du nord, qui semble hors de contrôle de Yaoundé, mais aussi au Tchad ou au Niger (et pas au Mali ni de lien prouvé avec AQMI). C'est au fond tout l'équilibre du système géopolitique d'Afrique centrale qui est ainsi menacé, d'autant que la Centrafrique connaît les déboires que l'on sait. Autrement dit, la crainte n'est pas dans l'hypothétique liaison entre BH et AQMI, mais dans la chute du domino camerounais qui embraserait toute la région. les témoignages font d'ailleurs état d'un même abandon du nord Cameroun et donc d'une zone "grise" entre nord-est du Nigeria, nord Cameroun, ouest tchadien et marges centrafricaines.

Accessoirement, en modifiant la focale, on constatera que l'Afrique anglophone n'est pas en si meilleure forme que l'Afrique francophone, malgré ce que nous racontaient les libéraux de tout poil. Nigeria, Soudan ou Zimbabwe ne sont pas plus convaincants que la RDC ou la RCA. Ce bijou anglophone menace est peut-être la raison de la mobilisation internationale, quasi hollywoodienne (Bring back our girls, vous aussi comme Michelle faites votre selfie) qui rappelle les grandes campagnes similaires pour le Tibet ou le Darfour.

Le lecteur nous accordera a une petite coquetterie sarcastique à constater que le sommet de samedi se tiendra à Paris, en reconnaissance des engagements français dans la région (Côté d'Ivoire, Mali, RCA,...). Pas simplement de la Françafrique comme le ressassent les journalistes sans imagination et les Anglo-Saxons, mais aussi résultat d'interventions faites aussi par devoir, ce truc irréaliste des relations internationales. Bon, je ne crois pas que ce sommet serve à grand chose. Mais à l'heure où de nombreuses voix dénoncent la perte d'influence de la France, ce petit signe devrait les rassurer un peu.

A. Le Chardon

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