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L’Ukraine : et maintenant ?

La fumée est légèrement retombée et l’attention s’est portée ailleurs. Comme si la question de l’Ukraine, désormais, appartenait au passé, une crise dont il fallait gérer les suites sans envisager que le volcan puisse se réactiver. Il y a bien sûr du vrai dans cette approche qui n’est pas due, simplement, à la courte vue occidentale manipulée par le tempo médiatique et le besoin de toujours trouver « du neuf, coco ».

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On lira pour cela un des meilleurs papiers sur le sujet (4 pages seulement), qui réussit à s’éloigner aussi bien de la doxa bien-pensante occidentale que du pro-russisme candide et souvent manipulé qui lui est opposé, souvent d’ailleurs à cause de la guimauverie irréaliste du discours mainstream. Si tous les discours occidentaux étaient aussi justes que ce papier, ils convaincraient à l’évidence beaucoup plus. L’intelligence convainc dans la durée quand la propagande n’assomme que dans le court terme, même si elle est inlassablement répétée. Suivons donc Nicu Popescu de l’EUISS.

Tout d’abord, le pays a démontré qu’il était bien plus uni que beaucoup (dont votre serviteur) ne le pensait. D’accord, on ne cessait de distinguer deux Ukraine voire, pour les pointillistes (dont votre serviteur), trois. Or, constatons que les sondages comme les élections et les événements ont démontré le souhait majoritaire des Ukrainiens de demeurer un seul pays. Autrement dit encore, il n’y a pas eu de soutien populaire ni à une séparation en deux, ni à une intervention russe. Que les Russes n’aient pas trop poussé en ce sens est une chose que l’auteur ne remarque pas et qui suscite, d’ailleurs, énormément de questions (que nous n’étudierons pas ici). Il reste que les faits sont là et si l’Ukraine a des disparités régionales, comme tout pays au monde, elle demeure une « nation », malgré tout et malgré la crise qu’elle vient de traverser. La prudence incitera à ajouter « encore » à ce « elle demeure » : il ne faut pas injurier l’avenir.

S’agissant ensuite des séparatistes, l’auteur constate que bien sûr, Kiev n’a pas réussi son objectif maximal qui était de les réduire au silence. Pourtant, il a atteint l’objectif minimal, celui de les cantonner dans leur zone d’origine, les deux régions de Donetsk et Louhansk et d’empêcher une contagion à l’ensemble du pays. De ce point de vue, Dniepropetrovsk a constitué le centre de gravité opératif de la crise, empêchant cette contagion vers ‘l’ouest (Odessa) et le centre (Kiev). Le rôle d’Igor Kolomoisky, oligarque du cru, a été central. Sans lui, les événements auraient suivi un autre cours. Beaucoup s’attardent sur Porochenko mais le vrai médecin de la crise a été Kolomoisky.

Les deux points suivants sont un peu moins convaincants : s’agissant des réformes économiques, l’auteur montre la difficulté du gouvernement face au désastre auquel il fait face. Admettons sa conclusion partielle : il s’agit d’un départ décent. En fait, le gouvernement doit à la fois maintenir une unité nationale et réformer une économie oligarchique qui a été la cause de la révolution. Il ne précise pas, d’ailleurs, que ce sont les oligarques qui sont aujourd’hui à la manœuvre et qu’ils ne vont pas se réformer d’eux-mêmes.

Car voici le quatrième point : Kiev a co-opté les oligarques, notamment parce que la plupart d’entre eux ont leurs bases économiques en Ukraine orientale (on ne rappellera jamais assez que l’Ukraine riche est à l’est et la pauvre, très pauvre, à l’ouest). Dès lors, si cette cooptation a donné des succès de court terme, elle entrave toute réforme de grande ampleur, l’espoir ne résidant que dans des réformes parcellaires, tranche de salami par tranche de salami. On est loin de cette conversion massive à la doxa libérale en cours à Bruxelles.

Dès lors, quel avenir ? Une finlandisation ou une bosnisation (des entités fédérées avec beaucoup de pouvoir, au risque d’empêcher un fonctionnement régulier du pouvoir central) n’apparaissent pas, à l’auteur, comme viables. Une autre version consisterait à considérer que les deux régions de l’est deviennent des sortes de Transnistrie, pour adopter un chemin de style moldave ou géorgien qui conduit à l’accord d’association avec l’UE. Toutefois, cette solution (peut-être jouée par Moscou afin d’avoir de quoi négocier avec Kiev) omet un point décisif, celui de la concentration de la richesse productive justement dans ces régions. Il ne s’agit pas simplement de deux régions sur 28, il s’agit un peu de se séparer de la richesse productive de l’Ile de France et Rhône Alpes réunies, pour donner une image. Cette option est à l'évidence difficilement réalisable.

Autrement dit encore, si l’Ukraine a réussi à surmonter la crise de court terme grâce notamment à la retenue russe, son chemin n’est pas pavé de roses et elle risque de revenir au devant de l’actualité. C’est bon, cela ravira les rédacteurs en chef : « T’as du neuf, coco ? ».

A Le Chardon

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