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Faut-il enterrer la défense européenne ? (N. Gnesotto)

Quand j'ai reçu ce petit ouvrage (150 pages, 9 €), je l'ai regardé bizarrement. Comment pouvait-on encore s'intéresser à la défense européenne, cet astre mort, signe le plus évident de la déflation stratégique européenne ? Et puis je me suis dit que déjà, ne pas utiliser l'insupportable expression d' "Europe de la défense" était un gage de bonne volonté. Du coup, j'ai commencé à regarder... et finalement je l'ai lu, car il vaut le détour.

source

On connaît l'auteur : Nicole Gnesotto s'est spécialisée de puis des année sur la question, elle a dirigé l'institut d'études de Sécurité de l'UE (à l'époque, on publiait encore des textes en français, désormais tout est en anglais...), elle est une spécialiste incontournable. Disons le mot : une pro-européenne convaincue et intelligente.

Mais du coup, une sorte de circonspection est en éveil : ne va-t-on pas se voir infliger un de ces plaidoyers insipides et sans intérêt ? un déluge de bonnes paroles et de yaka fokon, et "ah ce serait tellement mieux si.. ". Or, on sent que ce stade là est dépassé, que les illusions ont été perdues et qu'on commence à avoir un discours un peu plus réaliste, ce que suggère d'ailleurs le titre. D'évidence en effet, les espoirs d'hier n'ont pas été concrétisés et il faut dresser le bilan.

L'opuscule est divisé en trois parties : la première traite justement de ce "bilan mi-figue mi-raisin". Pas de triomphalisme mais quand même quelques satisfactions : il ne faut pas oublier qu'au large de la Corne l'UE est globalement plus efficace que l'OTAN, et qu'elle est venue, certes en trainant des pieds, au Mali comme au Tchad. Mais il est vrai que les Français n'ont pas été des plus délicats sur ces coups là... Il reste que ces derniers temps, ce sont plutôt des missions civiles que dirige l'UE, plus à son aise en la matière.

La deuxième partie ("Une politique marquée par l'ambiguïté et les divisions") est très bien traitée : on comprend pourquoi ça ne marche pas (et aussi, mais j'anticipe, pourquoi ça ne marchera pas). Si je connaissais bien les rapports compliqués des Etats, j'ai apprécié la description des luttes entre les institutions sur cette question.

La troisième partie se veut un peu plus optimiste ("Relancer l'Europe stratégique, maintenant ou jamais"). Oh ! rien de très ambitieux, une sorte de résignation fataliste, la signalisation de quelques pistes qui pourraient, malgré tout, être utilisées. Mais vouloir "relancer", c'est déjà courir à l'échec et utiliser les vieilles ficelles qui n'ont jamais vraiment marché, sauf en cas de volonté politique. Or, aujourd'hui, tous les acteurs sont faibles. C'est justement cette faiblesse dont tire argument N. Gnesotto pour dire qu'il faut en profiter... C'est peut-être le langage de la raison, je crains qu'il ne s'agisse que d'une raison pure, non d'une raison pratique.

Il reste un petit livre intelligent, qui rappelle ou apprend plein de choses, ne s'illusionne pas et dresse des états des lieux réalistes qui ne vont d'ailleurs pas tous contre l'Europe, qui réussit des choses. Disons qu'elle n'est pas une puissance classique et westphalienne. Or, ce modèle habite l'inconscient de tous les pro-européens (surtout les Français) qui imaginent un multiplicateur de puissance. Cela, l'Europe ne le sera pas, du moins pas en matière de défense, me semble-t-il. En revanche, elle semble idoine pour les affaires de "sécurité" qui lient affaires de défense et affaires civiles (police, douane, développement économique, RSS, ...) : en ces matières, l'UE a des atouts et les joue d'ailleurs sans trop faillir. La défense pure n'est qu'une corde marginale à son arc ...

Vous l'avez compris : un petit livre qui mérite de faire le point sans être caricatural.

Faut-il enterrer la défense européenne ?

  • N. Gnesotto
  • La Documentation française, 9 €

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 6 octobre 2014, 14:22 par oodbae

A propos des missions auropéennes, j'ai constaté les statistiques suivantes.

Avant le Mali, l'UE n'avait jamais envoyé de mission dans l'ancien empire colonial francais en Afrique. En revanche, elle en a anvoyé de multiples dans l'ancien bloc soviétique: Arménie, Géorgie, Serbie, Bosnie-Herzégovine de mémoire.

La puissance des faits! Mais la puissance des faits n'éblouit que ceux qui veulent les observer. Et le constat me semble très clair. Non seulement les missions européennes suivent l'élargissement européen vers l'Est, ou le provoquent. Elles calquent ainsi l'OTAN. Mais aussi les intérêts géopolitiques de la France (notamment en Afrique), étaient-ils jusqu'à peu incompatibles avec ceux de l'UE. Quid des partenariats industriels me dira-t on puisque l'on parle d'intérêts géopolitique. Certes mais l'UE n'accepterait un engagement militaire pour aucun de ces partenariats industriels, pas même pour l'alliance sino-allemande. En témoigne la rupture d'avec la Russie depuis décembre 2013 malgré les multiples collaborations industrielles dans des secteurs clés tels que l'aérospatiale, la pétrochimie, l'agriculture pour ne citer qu'eux.

N'est idiot que celui qui persévère dans l'erreur. Regardons les récents progrès. Depuis le Mali, l'UE a envoyé une trentaine d'hommes en Lybie pour une mission de surveillance des frontières, une centaine d'hommes au Mali à des fins de formation de l'armée malienne. A comparer avec les 4500 hommes de Serval sans parler de la logistique.

Je crois que le constat est sans appel. L'UE n'a aucune ambition mondiale en tant que telle. Il ne s'agit que d'une agglomération d'états qui se justifient cette connivence par la crainte d'une menace russe aussi crédible que le ratio du budget militaire russe à la somme des budgets militaires européens (80/350 , soit 0.2, sans parler des budgets américains et canadien). Le but final final est la neutralisation de tout nationalisme en Europe avec les ambitions mondiales associées, comme la France, la GB, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne et le Portugal en ont eue une depuis Christophe Colomb.

Et pourtant, oodbae est européen! Alors la surprise stratégique majeure aura bien lieu en Europe, sur ce point, je suis tout à fait d'accord avec egea.

Cordialement

égéa : Juste une petite remarque  : la Bosnie, du moins la Yougoslavie, n'appartenait pas au bloc soviétique... Pour le reste, Lee problème c'est l'Europe, dans la PSDC comme dans l'OTAN, nous sommes bien d'accord.

2. Le jeudi 9 octobre 2014, 10:52 par oodbae

Bonjour.
Oui, certes, la Yougoslavie n'était pas dans le bloc soviétique, mais dans le bloc communiste quand même et était en tant que telle la cible de toutes les tentatives politiques possibles de l'en sortir. Certains ont probablement entendu parler des constructions massives de mosquées sous Tito avec de l'argent du golfe car le chef d'état cherchait à s'extraire de la tutelle de l'URSS tout en restant communiste. Mais ce n'est pas le sujet.

Ce que je voulais dire, c'est que l'étude des engagements militaires de l'UE est accessible à tout un chacun, et donc par extension la PSDC aussi. Il suffit d'aller voir le site http://eeas.europa.eu/csdp/missions... On peut facilement se renseigner grâce à l'information ouverte officielle et en tirer ses propres conclusions.

3. Le jeudi 9 octobre 2014, 17:44 par oodbae

Je suis tombé par hasard sur cette conférence du groupe "militant" friends of europe, basé à Bruxelles. http://archive.friendsofeurope.org/... . Cette conférence avait lieu aujourd'hui.
Ce groupe est dirigé par Jaap de Hoop Scheffer(ancien secrétaire général de l'OTAN). Dans la dernière partie de la table ronde, j'ai remarqué cet échange. L'un des intervenants, Ben Judah je crois (un essayiste), lance une diatribe contre les intervenants : "c'est bien beau qu'on parle en ce moment, mais quand on parle aux gens de mettre en place cette Europe forte possédant un hard power, ils n'en veulent pas car ils font de l'argent avec les russes, avec les chinois, avec les arabes maintenant.Je vois une vraie contradiction entre ce dont nous parlons maintenant [sur le rôle normatif de l'UE, etc] et ce qui se passe en vrai. Nous devons décider: voulons nous faire de l'argent, créer des emplois? Ou voulons nous promouvoir la démocratie en Russie et en Chine [de manière effective, dont avec un hard power à l'appui]? "
Là-dessus, la modératrice, Shada Islam, lui répond:
" So, you see a contradiction in that?".
Et Judah répond:
" well, yes, obviously".

Je trouve ca intéressant, non pas parce que son propos tranchait avec les heures d'ennui dans lequel la conférence m'avait plongé, mais parce que l'ironie de la modératrice est tout simplement... habituelle. Que les gens ne voient pas de contradiction dans le schéma que l'intervenant a montré: nous [l'UE] recoit les investissements en monnaie sonnante et trébuchante des BRICS, des pays arabes. Et nous [les politiques ou affiliés autour de cette table] débattons de comment construire un hard power pour soutenir le soft power européen dont le but est d'installer la démocratie et les droits de l'homme dans ces mêmes pays qui nous [les pays de l'UE] fournissent l'argent. ".
Je ne parle même pas de l'interprétation selon laquelle les droits de l'homme/la démocratie ne sont pas forcément mieux respectés chez nous, ce serait un autre sujet de discussion. Je veux dire que effectivement, ces pays soi-disant antidémocratiques ont de l'argent, et même tellement qu'ils l'investissent chez nous. Et de quoi discutons nous? de comment les remercier en exportant chez eux des valeurs qui pourtant ne leur ont pas manqué pour devenir assez riches pour investir chez nous. Hors, les industriels/financiers, qui détiennent le pouvoir ou une bonne partie, sont bien conscients que c'est absurde et contre-productif et donc il faut décider: ou bien on veut vraiment exporter la démocratie/DH et donc couper le robinet des financements venant de ces pays [non pas moralement, mais pour éviter de se faire manipuler], ou alors il faut réorienter nos priorités [faire de l'argent et des emplois et donc cesser de justifier la politique extérieure par la promotion de la démocratie et les DH.
C'est comme ca que j'interprète la contradiction relevée par M. Judah (NB: un tel nom ne s'invente pas dans ce contexte lol) et je la trouve très pertinente parce qu'elle prend acte du rôle d'investisseur des BRICS en Europe/UE au lieu de les cantonner au stéréotype de pays émergents, ce qui en soi est un grand progrès intellectuel.

Désolé si mon propos est imbuvable.

Cordialement

égéa :moi, ce que j'aime bien, c'est quand on dit "voulons nous exporter la démocratie avec un hard power à l'appui" : ça a un je ne sais quoi de Parti colonial sous Jules Ferry, apportons la civilisation à ces barbares, qui me fait rire. Car il habite tant de belles âmes contemporaines qui ne se rendent même pas compte de la contradiction..

4. Le vendredi 21 novembre 2014, 22:38 par AF_Sobocinski

Bonsoir M. Kempf.

Le journaliste Jean Quatremer vient de publier un intéressant article sur une éventuelle mais sans doute lointaine européanisation du budget de la défense française, au moins pour les OPEX. Qu'en pensez-vous ?

http://bruxelles.blogs.liberation.f...

egea : Bonjour. Cela fait plusieurs billets où je propose de sortir les dépenses de défense des critères de Maastricht. Ce qui est intéressant dans l'article, c'est que nous apprenons que c'est affaire d'interprétation, donc sans négociations sur le traité. Même si l'affaire demeure lieu de négociation. Là, le bât blesse. Est-on prêt à entrer dans un rapport de force ? Aujourd’hui, je ne crois pas.



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