Ce petit livre se lit avec le plus grand intérêt, notamment pour le remarquable diagnostic qui est fait des impasses de compréhension qui sont aujourd'hui communément partagées. Ainsi de la notion de laïcité, issue d'une période bien précise, celle où la religion catholique dominait la structure sociale du pays. De plus, si elle prévoit une séparation des deux champs (politique et religieux), elle n'interdit pas à la religion de pouvoir influencer la vie publique. Accessoirement, elle distingue bien entre l'individu (le croyant) et l'institution (l’Église). Autant de particularités qui ne tiennent pas face à l'islam, qui est tout d'abord minoritaire, qui est ensuite un fait social avant d'être un fait institutionnel, qui enfin ne s'accorde pas avec l'individualisme contemporain. Ainsi s'explique le silence musulman en France (laissons de côté les extrémistes qui ne représentent qu'une infime minorité). Nous raisonnons en termes de droits, ils agissent en termes de mœurs.

Surtout, P. Manent dresse un panorama implacable de la faiblesse de nos sociétés, qui ne croient plus en leur projet et peinent donc à "insérer". Notre projet collectif est aujourd’hui faible, donc incapable de mettre en œuvre cette laïcité dont on parle tant. AU contraire, la propension à sublimer l'individu empêche la construction de desseins collectifs, des groupes généraux qui soient en mesure d'intégrer des groupes particuliers. Logiquement, s'il y a moins de frontières politiques, il y a plus de frontières religieuses.

Ici, on pourrait s'attendre (craindre) un plaidoyer "anti-musulman". C'est mal connaître P. Manent qui prône au contraire d'accepter les musulmans tels qu'ils sont et de les intégrer avec leurs différences. Mais pour cela, il faut retrouver la marque chrétienne de notre communauté nationale qui si elle demeure discrète, demeure tout de même la matrice d'une culture partagée (même si oubliée). Surtout, seul le catholicisme semble, aux yeux de l'auteur, en mesure de mener le dialogue avec tous les radicalismes qui émergent (islam, judaïsme, laïcisme, protestantisme évangélique).

On le voit, la thèse est osée, à contre-courant du discours dominant, hétérodoxe si on nous passait ce mot d'esprit. Il reste que ces 170 pages sont extrêmement fructueuses et que je reste marqué par la force et la précision du diagnostic, qui permet de sortir des bêlements usuels qui encadrent aujourd'hui le "débat". De ce point de vue, un livre qu’il faut lire.

P Manent, Situation de la France, Desclée de Brouwer, 2015, 173 pages

O. Kempf