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Jésus, une biographie historique (Puig i Tàrrech)

La religion est communément comprise comme un facteur géopolitique. Constatons que cette conception a repris de la vigueur depuis l’arrivée du terrorisme islamique qui a relancé également les interrogations sur la laïcité. Bref, alors qu’il y a floraison de livres sur l’islam et l’islamisme (je vous en reparlerai un jour très prochain), il m’a semblé utile de regarder ailleurs. Voici donc une biographie historique de Jésus, homme qui a incontestablement marqué l’histoire.

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En effet, comment un petit prédicateur d’une province mineure de l’Empire romain a-t-il pu transformer non seulement le cadre géopolitique qui l’entourait (si le Temple de Jérusalem est détruit dès 70 après JC, l’empire devient chrétien quelques trois siècles plus tard) mais au-delà, le reste du monde ? Surtout que l’homme en question refuse justement tout discours politique tant vis-à-vis des Romains (« ce qui est à César… ») que des autorités juives (« mon royaume n’est pas de ce monde »)… Voilà le paradoxe.

Or, il y a de multiples sources historiques sur Jésus. Si les Évangiles sont écrits longtemps après sa mort (mais les spécialistes montrent qu’ils rapportent des traditions orales plus anciennes), d’autres sources non chrétiennes en parlent (Flavius Josèphe, Tacite ou Pline, pour les plus connues). Autrement dit, Jésus n’est pas une invention ou un mythe et on dispose même de plus de sources sur lui que sur bien des empereurs romains. On peut donc le regarder comme « sujet d’histoire ». C’est l’objet de ce livre, écrit par un professeur catalan de théologie. Il s’agit d’un pavé de plus de 800 pages mais elles se laissent lire sans difficulté : ce n’est pas pour autant le dernier thriller à la mode que vous dévorez en trois nuits. Voici au fond un ouvrage sérieux, méthodique, citant ses sources, pointant les contradictions ou les paradoxes, émettant des hypothèses et des interprétations mais dûment signalées comme telles.

Les 200 premières pages dressent le contexte : la question des sources, justement, mais aussi l’environnement géographique, historique, social, économique. Jésus est un rural de Galilée, une province juive excentrée et éloignée de Jérusalem, sous la tutelle d’un roi vassal de Rome. Voici en effet décrit le personnage pendant 200 pages : son nom, les dates de son parcours, son activité publique, ses adeptes, ses contradicteurs, ses adversaires. 200 pages exposent le message, sa nouveauté par rapport à l’environnement intellectuel et mental de son temps. Les 200 dernières pages évoquent la fin, des derniers jours au procès, à la Passion et au décès. Un bref chapitre expose la résurrection : non comme un fait historique mais au moins comme un « événement » assez fondamental pour que cela change tout dans l’esprit des disciples et des adeptes. L’historien ne peut ici que constater que peu importe que la Résurrection ait eu lieu ou pas, le seul fait que beaucoup y croient immédiatement affecte l’histoire.

Toute la difficulté d’un tel livre consiste à conserver la rigueur de l’historien en évitant bien sûr la bienveillance tolérante, mais aussi un excès de doute. S’en tenir aux faits, discuter la façon dont on connaît les faits, les interpréter à la lumière des outils scientifiques à disposition des chercheurs, rendre compte de l’état actuel de la recherche, voilà ce que ce livre dense propose. Il permet d’aller au-delà de bien des choses que l’on croit savoir par son éducation religieuse quand on l’a reçue, ou par ses quelques lectures quand ce ne fut pas le cas. Autrement dit, un ouvrage de référence qui permet de bien mieux comprendre les faits, à la lumière de la raison, une raison respectueuse de sa méthode et donc de l’objet de son étude, sans verser ni dans l’hagiographie ni dans la critique hostile.

Réf  : Jésus, une biographie historique par Armand Puig i Tàrrech, Desclée de Brouwer, 2016, 837 pages, 22 €.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 5 avril 2017, 15:32 par Spurinna

Il faut je pense un peu relativiser le fait que les Evangiles ont été écrits longtemps après la mort de Jésus. Les hypothèses contemporaines les plus hautes évaluent les dates de rédaction entre 70 (Marc) et 100 (Jean) de notre ère. Soit entre deux et trois génerations après l'évènement (les plus basses postulent à peine une ou deux décennies).

Par comparaison, la première biographie de Mahomet est écrite en 742, soit 10 ans après sa mort alors pourtant que ses disciples ont accès à des ressources materielles et intellectuelles bien plus rapidement que les premiers chrétiens.

Avez-vous lu la biographie de Jésus écrite par Jean-Christian Petitfils ? Si oui, est-elle meilleure, moins bonne, au même niveau ?

égéa : il se trouve que je lis beaucoup sur ce sujet depuis quelque temps (même si je n'en parle jamais, ce CR de lecture est la première incursion, il est un temps pour tout). Or donc, entre 40 et 70 ans après les faits, cela ne choque pas. Dans les deux cas,contrairement à ce que vous suggérez, il faut tenir compte du contexte culturel où la transmission mémorielle se fait principalement à l'oral. De plus, on a beaucoup plus de sources historiques diverses (hors Evangiles) sur Jésus que sur quelques emrepeurs romains postérieurs !!! Bref, le receuil scripturaire (et sa distance par rapport aux événements) n'est pas l'objection principale qu'on puisse faire aux Evangiles. D'ailleurs, leur diversité montre paradoxalement leur originalité et donc la non manigance.

Surtout, l'écriture du Coran revêt tout de suite un caratère politique évident cr Mahomet,à la différence de Jésus, a execé le pouvoir temporel et tout de suite, la quesiton de sa succession se pose. Les luttes entre ses descendants proches occupent sd'ailleurs pas mal notre géopolitique contemporaine (cf sunnites contre chiites) : pour mon dernier ouvrage (en cours de parution, "Au coeur de l'islam politique", je vous en reparle très vite, il a fallu que je travaille aussi les origines de l'islam et donc lise plusieurs livres sur le génèse de cette question politique de l'islam. Or,elle est immédiate (Mahomet est un dirigeant, je le repète) alors que Jésus ne cesse de dire "mon Royaume n'est pas de se monde", même s'il est tué sur l'accusation d'avoir voulu (ou prétendu, selon qu'on se place du point de vue de Pilate ou des prêtres) être le roi des juifs.

Oui, j'ai lu le Petitfils, qui apporte un autre angle qui complète bien celui-ci. Les deux sont chrétiens mais l'un est un historien français laïque, l'autre est un historien catalan prêtre. S'ils sont tous deux pareillement sérieux et font très attention à ce que leur foi n'empiète pas sur leurs raisonnements, leur contexte culturel et éducationnel respectif produit logiquement des oeuvres différentes. L'une n'est pas meilleure que l'autre, pour répondre simplement. Une simple indication : Petitfils explique en quoi Jean (alors que son texte est le plus spirituel) est prorprement le plus exact historiquement pour les raisons que je vous laisse découvrir.

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