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Interdire Telegram ? Chronique dans Conflits

Classant mon disque dur, je me rends compte que j'ai oublié de vous signaler plein de textes. Pas sérieux, tout ça. Voici donc un texte écrit l'été dernier et paru dans la numéro 11 de Conflits, en septembre dernier... Bonne lecture. (NB : je constate également que ce billet est le 100ème rangé dans la catégorie "livres et écrits"...)

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L’assassinat du père Jacques Hamel a été le fait de deux terroristes, l’un habitant en Normandie, l’autre en Savoie. Les enquêteurs se sont interrogés : comment ont-ils pu communiquer ? Ils ont tout simplement utilisé une application de messagerie privée, Telegram. Celle-ci permet d’envoyer des messages qui peuvent être automatiquement chiffrés (et non pas « cryptés », selon un américanisme maladroit). Surtout, Telegram dispose d’une option qui permet de ne pas passer par un serveur, comme les autres logiciels de messagerie. Ainsi, quand vous utilisez votre logiciel habituel, celui-ci copie automatiquement les métadonnées du message sur une de ses fermes de données, même si le message est chiffré. Dès lors, des enquêteurs peuvent, le cas échéant, demander au prestataire de leur ouvrir leurs archives (leurs fermes de données) pour examiner les échanges de la personne concernée. Au passage, constatons que ce système ne s’utilise qu’a posteriori : il y a tellement de messages circulant à travers le monde que les services de police et de renseignement ne peuvent pas tous les analyser. Dans le cas de Telegram, pas de stockage : le message n’est qu’un flux. Le logiciel dispose même d’une option qui permet l’effacement automatique à la réception.

Voici donc un outil accessible à tous qui permet de discuter en toute discrétion. Le cyberespace procure ainsi à tout un chacun un outil qui permet des conversations totalement secrètes. Donc aux terroristes aussi. Ce qui a suggéré à un député russe, en novembre dernier, après les attentats du Bataclan, d’interdire l’application. Or, Telegram a été inventé par un développeur russe, opposant à Poutine, qui voulait un moyen de communiquer hors du regard du FSB : on comprend les considérations de politique interne du député russe.

Le secret est nécessaire à beaucoup de personnes, pas seulement aux djihadistes. Tout un chacun peut avoir de très bonnes raisons d’avoir des correspondances secrètes, y compris les États. La technologie permet non seulement une augmentation faramineuse des échanges, puis des moyens techniques de surveillance de masse (pour de bonnes et de mauvaises raisons), mais aussi des contre-feux qui permettent de s’affranchir de cette surveillance, là aussi pour de bonnes et mauvaises raisons.

Vouloir interdire Telegram, c’est comme vouloir interdire les camions parce qu’un djihadiste en a utilisé un pour le carnage de Nice le 14 juillet : stupide ! Ensuite, la chose ne serait pas efficace comme le prouve l’exemple brésilien. Le Brésil avait interdit une autre application très populaire, Whatsapp. Du coup, les internautes brésiliens ont utilisé Telegram. Si on interdisait Telegram, les utilisateurs prendraient une autre application similaire, puisqu’il en existe des centaines sur le marché.

Car ce qui fait le crime, ce n’est pas réellement l’arme ou l’outil : ce n’est pas pour rien que la justice utilise la notion d’armes par destination. Ce qui fait le crime, c’est d’abord l’intention, les moyens ne viennent qu’après et ils sont extrêmement variés. La prévention consiste donc à agir non sur les moyens, même ceux du cyberespace, mais contre les intentions. C’est autrement complexe. Dans le cas présent, le cyberespace est donc neutre, utilisé aussi bien par les djihadistes que par les policiers. Il est illusoire de vouloir le limiter : la seule option consiste à réfléchir aux moyens de mieux l’utiliser.

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