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Le paradoxe français (B. Giblin)

D'une certaine façon, ce livre était attendu. Béatrice Giblin dirige en effet la revue Hérodote et l'Institut Français de Géopolitique (Paris VIII) qui est le creuset de l'école française de géopolitique, même si d'autres géopolitologues peuvent avoir grandi en dehors de cette pépinière. En effet, Y. Lacoste avait bien dirigé une Géopolitique des régions françaises en 1986, suivi en 1995 par B. Giblin qui proposait une Nouvelle géopolitique des régions françaises, l'équipe d'Hérodote n'avait pas écrit l'équivalent d'une Géopolitique de la France. C'est d'une certaine façon cette lacune que vient combler l'ouvrage d'aujourd'hui.

Le paradoxe français - Entre fierté nationale et hantise du déclin

Peut-être en effet faut-il une longue vie d'étude avant de s'attaquer à pareil sujet. Peu importe au fond, car la démarche vaut le détour pour cet ouvrage d'environ 200 pages, articulé en 7 chapitres.

Le premier traite de l'histoire et cherche à la fois à montrer la "construction" de l'histoire de France (c'est-à-dire que son écriture est instrumentalisée au profit des différents pouvoirs qui se succèdent : on retrouve là une caractéristique de l'école lacostienne et son thème de la représentation) mais aussi la double malédiction de cette histoire aujourd'hui, entre repentance et double condamnation de la France, pour être à la fois une nation de culture chrétienne et en même temps une nation laïque, mettant les valeurs religieuses dans le domaine privé. On s'amusera de voir qu'après quelques remarques initiales pour montrer que l'auteur est progresssiste, la description de Louis VI et Suger fleure bon la réhabilitation (pp. 24-26).

Le 2ème chapitre s'attache à décrire la hantise française du déclin. Cela part de la démographie pour une brève incursion vers l'économie avant de conclure sur le sentiment d'abandon des territories. Le déclin, c'est la France périphérique et JB Guilluy est cité comme il se doit.

Nous voici amenés logiquement au 3ème chapitre sur l'impossible décentralisation. On craignait le pire et la réaffirmation du sempiternel "Paris et le désert français", on est heureusement surpris de voir qu'il s'agit de défendre le découpage existant, aussi bien la commune que le département, en expliquant que le culte de la région témoigne d'une comparaison malvenue avec nos voisins. Il y a ainsi une illusion à vouloir un bon "découpage régional". Autant dire que c'est un des chapitres les plus innovateurs - et convaincants.

Le 4ème chapitre s'intitule "France terre d'asile, France terre de repli". L'auteur raconte l'histoire politique récente (depuis 50 ans, s'entend) autour de la question de l'immigration. La conclusion en vient à critiquer une certaine gauche qui refuse de voir l'attachement à la nation. B. Giblin se place ici dans la droite ligne de son maître qui écrivait, dès 1998, "Vive la Nation".

Le chapitre suivant s'intéresse à l'action extérieure. Il s'agit à la fois de gérer l'héritage et de demeurer une puissance (grande ou moyenne ? l'auteur penche pour la seconde option). Après avoir rappelé les raisons de cet attachement à la puissance, B. Giblin passe ensuite à la guerre contre le terrorisme islamiste, sur fond d'une question existentielle : la France a-t-elle encore les moyens de se payer cette politique ? Question curieuse pour quelqu'un qui ne cesse de défendre le primat du politique sur l'économie...

Le 6ème chapitre évoque les rapports avec l'UE et l'impossible modèle français. D'une part, l'UE ne peut se faire sur le modèle français et d'autre part, lé régionalisme européen renforce le nationalisme des régions françaises. Mais l'auteur passe ensuite au déséquilibre entre France et Allemagne, sans proposer de solution évidente. On sent un certain scepticisme, à la fois envers l'UE et la puissance allemande...

Le dernier chapitre évoque l'universalité culturelle. Mais au fond, le chapitre évoque surtout la langue française... là aussi, entre nuance et ambiguïté. L'auteur est partagée entre le facteur essentiel de la nation qu'il faut préserver et le soupçon d'une ambition démesurée qui serait désormais hors de portée...

La conclusion s'intitule "Résoudre le paradoxe" (car le sous-titre l'explicite : entre fierté nationale et hantise du déclin). Oui, il y a bien un paradoxe français mais y a-t-il une nation qui ne soit pas paradoxale ? On apprécie donc d'autant mieux ces paroles de bon sens : "Le récit national ne doit pas ignorer ces épisodes douloureux, mais aider à mieux les comprendre, ce qui ne veut pas dire les excuser, afin que dans toute leur diversité les Français et leurs enfants puissent admettre qu'ils les ont en commun et qu'il faut bien "faire avec", pour réussir à "faire Nation"." Voilà ce qu'on apprécie par dessous tout dans ce livre : il trouve que la Nation c'est bien, et c'est une voix "de gauche" qui le dit. Elle prône un apaisement interne qui dépasse les habituelles démonstrations de repentance. Accepter le bien comme le mal et vouloir surtout faire de belles choses en commun, selon la deuxième partie de la phrase de Renan....

Voici donc un livre agréable à lire et qui  doit être compris comme une sorte de testament intellectuel couronnant une carrière. On devine qu'il a été longtemps ruminé et épuré, et qu'il y a autant de coeur que de culture, de jugement que de raison.

La bibliographie est courte (j'ai été flatté de voir que ma Géopolitique de la France y avait trouvé place), et cinq cartes seulement illustrent le volume.

Béatrice Giblin, Le paradoxe français, Armand Colin, 2017,19,9 €

 

O. Kempf

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