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Le héron et le retour

Et voici un texte du héron, qui date de six mois mais reste intemporel... OK

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L'autre matin, c'est mon copain le héron de l'Erdre qui m'a interpellé : « alors, on ne dit plus bonjour ? » Il est vrai que c'était sans regarder dans sa direction que j'étais passé, ce matin-là comme tous les matins, sur le petit Pont Saint-Mihiel qui enjambe l'Erdre à cet endroit. L'Erdre, c'est une rivière armoricaine, affluent de la Loire en rive droite au même niveau que la Sèvre vendéenne en rive gauche : depuis des temps immémoriaux cette convergence de trois courants d'eau douce, qui rencontrent la remontée périodique de la marée atlantique jusqu'au fond de l'estuaire, a créé ici de nombreuses îles alluviales. Elles ont déterminé l'existence de la ville de Nantes sur ce site favorable plus ancien que l'histoire. De nos jours l'Erdre, canalisée depuis deux siècles et protégée par de modernes mais discrets systèmes de filtrage et d'épuration, est une paisible et poissonneuse rivière citadine appréciée par mon copain le héron et par de nombreux autres oiseaux pêcheurs. Un coup d’œil sur Google-earth vous montrera le charme des lieux.

En franchissant le pont à l'aube pour prendre mon petit café au bistrot d'en face, je n'avais pas regardé vers le toit de la péniche où le héron se tient habituellement, vertical, immobile, raide et à l'affût. Cet emplacement le met hors de portée des chiens, chats et autres gêneurs éventuels.

Je n'avais pas regardé parce que depuis plusieurs semaines il était absent. Je m'étais habitué, à regrets, à son absence prolongée en espérant qu'elle n'était pas définitive. Malheureusement des goélands s'y étaient habitués aussi et commençaient à prendre leurs aises dans le quartier, menaçant d'exterminer tous les autres oiseaux dont ils dévorent les œufs : voyez Brest ou Calais et d'autres villes côtières envahies par les goélands. L'extermination pratiquée par les goélands, mauvais pêcheurs et mauvais chasseurs mais goinfres sans scrupules, en a fait des villes dont aucune mésange, aucune tourterelle, aucun rouge-gorge, aucun passereau-chanteur ne vient plus fréquenter les balcons. Ici à Nantes les hérons, oiseaux pacifiques mais de grande taille et pourvus d'un bec tranchant, préservent la biodiversité en suggérant aux goélands d'aller nuire ailleurs.

Je dis au héron : « je ne te demande pas où tu étais parce que ce serait indiscret mais je dois t'avouer que ton absence m'inquiétait.  -* C'est gentil mais il ne fallait pas t'inquiéter : lorsque le temps s'annonce favorable, on emmène les jeunes en voyage pour qu'ils trouvent le compagnon ou la compagne de leur vie.

  • - Ah oui, j'ai entendu dire que les oiseaux vivent en couple que seule la mort sépare.
  • - C'est ça. Dès que les jeunes savent voler assez longtemps on s'éloigne un peu pour créer les couples.
  • - Je comprends : pour éviter la consanguinité, vous ne pratiquez pas l'endogamie.
  • - Consanguinité, endogamie... peut-être. En tout cas on fait comme ça, on a toujours fait comme ça et c'est bien. Cette fois on est allés au Marais poitevin. Par temps chaud, on y est en une journée de vol sans battre des ailes. On n'est pas revenus directement, on est allés aussi en Eure-et-Loir : il y a là beaucoup de zones humides dont l'eau hésite entre la Loire et la Seine . On y est allés un peu aussi par souci diététique, j'avoue.
  • - Par souci diététique ?
  • - Ben oui : ça nous change des grenouilles et des poissons d'ici. Les grenouilles et les poissons ne voyagent pas : ces bestioles restent toujours dans la même rivière, elles font de la consanguinité et de l'endogamie, comme tu dis avec tes mots compliqués. Alors c'est nous qui voyageons pour changer de garde-manger. Et en même temps nos grenouilles et poissons d'ici sont un peu tranquilles, ce qui est bon pour régénérer le cheptel batracien et poissonnier.
  • - Je n'aurais pas imaginé que des hérons pussent inventer un tel système.
  • - Nous n'avons rien inventé : on a toujours fait comme ça, c'est tout.
  • - Mais avant de faire comme ça, c'était comment ?
  • - Je te dis qu'on a toujours fait comme ça mais toi, TGC avec un Trop Gros Cerveau dont t'a affublé notre Créateur, le Grand Patapon, tu vas toujours chercher des questions inutiles. A ce propos : comment va ton ami, celui qui s'appelle comme un arbre et qui voulait savoir si j'ai une stratégie à long terme, tout ça ?
  • -Olivier ? Bien : il est revenu récemment et ça me fait plaisir parce que le domaine de la géopolitique risquait fort d'être envahi par nos espèces de goélands à nous, des cuistres qui croient tout savoir, prennent l'habitude de raconter n'importe quoi et impressionnent, voire influencent, des gens qui s'y connaissent encore moins qu'eux.»

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