Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Devoir sur la presse : corrigé

J'avais suggéré un sujet de devoir de culture générale pour les candidats au CID (voir ici) "La presse peut-elle tout dire? la presse doit-elle tout dire?"

Quelques remarques méthodologiques, avant de proposer un exemple de traitement.

1/ Ces sujets binaires exigent un autre plan que I peut II doit. Si on opte pour le deux parties, il faut recycler l'opposition à l'intérieure des parties, et idéalement à l'intérieur des sous parties (I A 1 peut 2 doit, I B 1 peut 2 doit, etc...). Sinon, ce la force à un plan en trois parties pour introduire du dynamisme.

2/ Le sujet tourne autour de la presse. Dans la phase de recherche, vous vous attacherez à définir/délimiter, et le résultat de votre raisonnement sera placé dans l'introduction (après la reprise du sujet). Cette délimitation sera plus ou moins longuement écrite, mais elle aura nécessité une profonde attention au cours de a recherche. En matière de délimitation, l'usage recommande une délimitation historique et géographique. On entend habituellement ces deux notions dans leur premier sens : France vs Europe vs monde, ou aujourd'hui vs XX° siècle vs Ancien Régime. Or, la délimitation peut aussi porter sur le champ de voter étude, ans une acception plus large du mot géographique : ministériel vs interministériel, par exemple. Ici, le cas se pose : qu'entend-on par presse? habituellement, chacun comprend presse écrite, mais c'est très réducteur, et il fallait accepter d'étendre le mot à l'ensemble des médias, audio visuels mais aussi internet. Cet élargissement permettra un enrichissement.

3/ Dernier obstacle à lever : fallait-il se cantonner au seul domaine politique, ou élargir ? Je crois qu'il faut se poser la question en terme d'utilité (à quoi ça sert?) qui permet de bien appréhender la problématique, et de dépasser le dilemme peut/doit qui est, sinon asséchant. Dès lors, la presse est à la fois un agent du jeu politique, ET un acteur économique ET une industrie bouleversée par la technique. Cette triple compréhension permettait d'enrichir le questionnement du "peut".

4/ Il s'ensuit logiquement l'inversion du sujet, partant du "doit" avant d'interroger le "peut". Démarche qui est d'ailleurs plus logique en terme de philosophie....

L'étudiant portera attention aux connecteurs : annonces de plan, conclusion partielles et transition. Dans l'intro, j'ai même mis une idée maîtresse distincte du plan.


***

L’automne 2008 a été l’occasion d’un débat sur la limitation de la publicité à la télévision publique. Plusieurs questions ont alors été soulevées : celle du rôle du pouvoir politique, celle de l’indépendance de la presse. Au-delà de ce cas particulier, c’est toute la question du rôle de la presse qui était posée : doit-elle tout dire ? Surtout, peut-elle y parvenir ?

La presse est constituée de l’ensemble des médias d’information, quelle que soit la forme de leur diffusion : écrite, audiovisuelle ou informatique. Ces formes successives évoquent l’histoire de la presse : aux almanachs du XVII° siècle ont rapidement succédé gazettes et revues, dont le nombre et la diversité n’ont cessé d’augmenter de la Révolution jusqu’aux premières décennies du XX° siècle. L’époque voit alors apparaitre de nouvelles formes de presse : radiophonique tout d’abord (la T. S. F) puis télévisuelle. La fin du siècle connaît une nouvelle révolution technique, celle de l’informatique en réseau.

La presse est répandue mondialement même si on peut observer des modalités locales : la France connait ainsi un secteur florissant des magazines hebdomadaires, quand la Grande-Bretagne ou l’Allemagne sont restées fidèles au format quotidien. Cependant, au-delà des particularités capitalistiques ou techniques, la presse demeure universellement un produit de consommation de masse.

La dernière révolution technique que rencontre actuellement la presse, celle de l’informatique en réseau, est d’ailleurs la plus brusque et la plus mondiale. Cette rapidité bouleverse justement les structures médiatiques établies et provoque les questionnements ontologiques sur le rôle de la presse, comme si celle-ci était menacée par les nouveaux médias.

Cette vision pessimiste doit être nuancée.

En effet, s’il est entendu que la presse doit (presque) tout dire, sa capacité à y parvenir est aujourd’hui remise en cause. Toutefois, de multiples évolutions permettent à la presse de continuer à remplir son office.


***

La presse doit (presque) tout dire. Il y a certes des limites techniques à ce « tout ». Un média est d’abord un format matériel, dont l’espace est structurellement contraint. La presse sélectionne donc des informations. Il reste qu’elle doit tout dire : c'est à ça qu’elle sert, même si cet impératif doit être encadré.


** La presse sert à tout dire : parce qu’elle s’adresse à un public, et parce que c’est conforme à son essence. La presse s’adresse à un public : elle publie, c'est-à-dire qu’elle rend publiques des informations. Cette fonction de médiation s’inscrit dans deux directions : celle de satisfaire la curiosité de ses lecteurs et spectateurs, en un mot ses consommateurs ; celle également d’informer le citoyen, acteur politique individuel de la cité. Par cette double médiation, la presse obéit à son essence propre. La presse a en effet une double nature. C’est d’abord une entreprise économique spécialisée dans la fourniture de services (la diffusion d’information) : elle doit donc atteindre un équilibre financier. Mais la presse constitue également ce qu’on a appelé le quatrième pouvoir politique. Elle remplit un rôle particulier dans la vie démocratique, celui de rendre les débats publics, ce qui l’amène à publier des informations peu médiatiques. Ce rôle politique impose à la presse de devoir tout dire, même et surtout ce qui gêne les autres pouvoirs. Cette fonction d'équilibrage démocratique justifie d’ailleurs des subventions publiques, destinées à compenser le rôle non mercantile de la presse. L’impératif de tout dire au public (consommateur et citoyen) doit cependant être encadré.


**

Cet encadrement se justifie par la déontologie, et parfois par la raison d’Etat. L’exercice professionnel de la presse impose d’éviter des écueils , malgré la demande éventuelle du public. Ainsi, la presse doit se garder de colporter des rumeurs , de toucher au droit à la vie privée , enfin d’attenter à la confidentialité de ses sources .Pour cela, elle doit vérifier les informations qu’elle publie, au risque de rater une exclusivité ; elle doit respecter l’intimité des hommes publics, malgré la demande croissante des consommateurs ; enfin la confidentialité des sources est la condition d’obtention d’informations qui autrement seraient tues . Exceptionnellement, l’intérêt supérieur du pays exige de taire une information. Cette raison d’Etat peut être invoquée par les pouvoirs publics, ou laissée à l’appréciation du journaliste. La loi a cherché à encadrer cette raison d’Etat grâce à la réglementation du « secret défense ". Il n’est pas sûr toutefois que le dispositif suffise à éviter les abus. Mais hormis ces cas marginaux et exceptionnels, il reste de règle que l’encadrement légal paraît satisfaisant.

Ainsi, pourvue que quelques règles soient respectées (qu’il s’agisse de dispositifs légaux ou de mesures déontologiques), la presse doit dire tout ce qu’elle peut dire et qui intéresse le public, qu’il soit consommateur ou citoyen. Ce principe demeure-t-il pérenne ?


***

La question se pose car la capacité de la presse à tout dire est aujourd’hui mise en cause : parce que sa diversité se dégrade, et parce qu’elle est soumise à plus de pressions.
** La diversité de la presse est le gage de son indépendance, même si son équilibre se dégrade. La presse est fondamentalement diverse : on oppose presse d’opinion à presse d’information, on la décrit généraliste ou spécialisée, nationale ou régionale, on distingue son mode de diffusion (écrite, radiophonique, télévisuelle, électronique) ou son rythme de parution (instantanée, horaire, quotidien, hebdomadaire, mensuel, …….) , etc. . Cette diversité répond au goût du public. L’adaptation qu’elle traduit marque également la rencontre économique entre une offre et une demande. Ainsi, cette diversité économique traduit la richesse d’une offre : aussi bien le nombre que la solidité financière. Dès lors, la diversité est considérée comme le gage d’une indépendance. Celle –ci est économique, bien sûr, mais elle est au-delà politique. Une presse diverse est le signe d’une indépendance démocratique. Or, cette diversité se dégrade apparemment. C’est très notable quand on observe la presse écrite, et tout particulièrement la presse quotidienne nationale : le nombre de titres s’est drastiquement réduit, et les tirages baissent inexorablement. Certes, on remarque peu la résistance de la presse régionale, ou de la presse spécialisée (économique et sportive) ; on déplore l’irruption de quotidiens gratuits, qui ont pourtant trouvé de nouveaux lecteurs. En fait, on garde à l’esprit l’importance de cette forme de presse du début du xx siècle : mais bien qu’emblématique et prestigieux, le grand quotidien national n’est pas toute la presse. Cet argument apaiserait bien des alarmes si on ne constatait, simultanément, la dégradation de l’audience d’autres médias. Ainsi, le journal télévisé de 20 heures rassemble de moins en moins de téléspectateurs. L’affaiblissement de la télévision, qui avait beaucoup phagocyté la presse écrite, nourrit donc les inquiétudes. Car derrière tirages et audiences, il faut comprendre que se cachent les recettes financières qui permettent l’équilibre.


**

Or, cet équilibre paraît d’autant plus menacé que la presse semble soumise à d’avantages de pressions, directes ou concurrentielles. Les pressions directes peuvent venir des hommes politiques. La question n’est pas nouvelle : on critiqua ainsi le général de Gaulle d’utiliser la télévision comme un relais du gouvernement. Aujourd’hui, certains dénoncent les liens entre certains cercles politiques et certains milieux économiques, influents dans la presse. Car la deuxième pression serait économique : soit que certains groupes de presse obtiendraient une situation de monopole et donc une influence démesurée, soit que certains entrepreneurs voudraient obtenir un organe à leur dévotion. Les journalistes de La Tribune, possédée alors par M. Arnoult, avaient ainsi des scrupules à écrire des articles sur les sociétés du groupe L. V. M. H. Toutefois, ce risque a toujours coexisté avec la presse. Plus inquiétante parait la pression concurrentielle des nouvelles technologies.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) s’appuient en effet sur les nouveaux supports électroniques qui sont devenus des objets possédés massivement : ordinateurs (fixes ou mobiles), téléphones portables assistants personnels électroniques … . L’augmentation du nombre de contenants (au sens propre, des médias) appelle l’accroissement du contenu (l’information). Or, la privatisation des contenants entraîne la diversification des contenus, tant du côté du producteur que du consommateur. De nouvelles offres d’information apparaissent, non seulement sur les nouveaux médias, mais aussi sur les anciens supports (télévision numérique terrestre, journaux gratuits). L’efflorescence de ces nouveaux médias soumet donc la presse traditionnelle à rude concurrence.
** L’ensemble de ces pressions pose la question de l’indépendance de la presse, et donc sa capacité à répondre à son devoir de tout dire.


***

Or, à cette perception pessimiste, il est possible de répondre que de multiples possibilités d’évolution permettront (permettent déjà) à la presse de continuer à remplir son office. Car puisque le consommateur change, la presse s’adaptera.
** Le consommateur change : parce qu’il consomme différemment l’information et surtout parce qu’il en produit. Le consommateur a un nouveau rapport à l’information. La société paraît plus fragmentée et plus individualiste, ce qui entraîne l’obsolescence des formes obligées et institutionnelles de communication. La « messe du 20 h 00 » perd des fidèles. Mais ce désintérêt s’accompagne d’une consommation accrue de communication. On constate ainsi l’accroissement de la masse d’informations diffusées, qui incluent désormais ce qui autrefois n’était pas considéré comme de l’information (potins plus ou moins scabreux sur la vie des étoiles, télé réalité). Simultanément les informations « sérieuses » sont plus diffusées (cf. les chaines d’information en continu, ou les systèmes de flux sur l’internet). Dans le même temps, et probablement le même mouvement, le consommateur devient producteur d’information. Il est enregistreur (grâce aux appareils de photo et de vidéo numérique) mais aussi diffuseur ; particulièrement sur l’Internet (journaux personnels -blogs, réseaux sociaux-, sites de photos ou de vidéos partagées - flickr, you tube, …). Au centre de l’information, le consommateur devient également un citoyen plus actif, comme l’a démontré la mobilisation sans précédant de l’électorat soutenant M. Obama. Ainsi, la pluralité démocratique a migré de plate-forme, ce qui est un remède au risque de contrôle de l’information. La massification de l’information a plutôt augmenté le pluralisme, ou la presse traditionnelle trouvera sa place.


** La presse, en effet, s’adaptera. Elle s’adapte déjà, parce qu’elle s’appuie sur ses qualités propre.

La presse s’adapte déjà. A prendre l’exemple de la presse écrite, que l’on dit la plus menacée, on constate dans le cas français la très bonne résistance de la presse quotidienne régionale : c’est une presse massive car c’est une presse de proximité. De même, la presse de potins a connu une croissante fulgurante aux cœurs des dix dernières années, et pas seulement en France. Simultanément, chacun peut constater l’audience croissante des grand médias (le Monde, le Figaro, le New-York-Times, les FAZ) sur l’internet. La croissance très rapide du marché publicitaire sur ce nouveau média suggère la mise en place d’un nouveau système économique qui permettra d’atteindre un certain équilibre. Les médias traditionnels y trouveront leur place car ils s’appuieront sur leurs qualités propres. Ces qualités sont diverses : techniques, grâce à des capacités à recouper l’information (rôle de certification) ; analytiques, grâce à la compétence (rôle d’expertise) ; transversales, grâce à leurs réseaux (rôle d’universalité). Ainsi, la presse sera moins dépendante du média (papier, hertzien, numérique) que fondée sur une expertise immatérielle. Le titre sera devenu une marque . Et comme dans tout équilibre concurrentiel, il y aura des grandes et des petites marques.


***

La presse a pour fonction de fournir des informations à un public qui est la fois consommateur et citoyen. Elle doit donc tout dire, dans certaines limites déontologiques. Il reste que l’équilibre de la presse se dégrade, soit qu’elle soit soumise à des pressions diverses, soit surtout qu’elle subisse la concurrence multiforme des nouvelles technologies de l’information. En perdant son monopole relatif de l’information, la presse n’aurait plus la capacité de son indépendance. Toutefois, le public profite de cette révolution à la fois pour consommer plus d’informations, mais aussi pour les produire lui-même. La presse est déjà entrain de s’adapter à ces nouvelles conditions pour fonder son existence sur une expertise immatérielle. Ainsi, il faut se garder de sombrer dans le pessimisme commun lorsqu’on évoque la crise de la presse et les menaces qui présent sur son indépendance. L’idéogramme chinois qu’exprime le mot ‘crise’ est composé de deux éléments : l’un qui signifie la maladie, l’autre l’opportunité. Les révolutions sont rarement le moment de disparitions, et toujours celui des opportunités. La presse évoluera donc afin de pouvoir, comme elle le doit, dire plus encore.

O. Kempf

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/45

Fil des commentaires de ce billet