Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

La géopolitique de l’émotion

La géopolitique de l’émotion Dominique Moïsi, Flammarion, 2008.

316kYN_zv6L._SS500_.jpg

Cet ouvrage tire ses racines d’un article paru dans Foreign Affairs en janvier 2007, intitulé « le choc des émotions » : le parallèle avec le « choc des civilisations » (lui aussi article dans FA avant de devenir le succès que l’on sait) est évident. Il s’agit d’un néo-huntingtonisme qui cherche à cataloguer et caractériser des aires civilisationnelles. Le sous-titre dit le projet du livre : « comment les cultures de peur, d’humiliation et de désespoir façonnent le monde ».

L’auteur est suffisamment fin pour savoir que son projet risque de surprendre les universitaires. Un double écueil apparaît : tout d’abord, vouloir introduire des émotions collectives comme facteur explicatif des relations internationales est malaisé, car purement subjectif. C’est d’ailleurs la source du deuxième écueil : on n’a aucune donnée objective pour appuyer cette thèse, et lui donner un soubassement statistique. L’auteur consacre donc de longs moments pour justifier son ambition, pour expliquer pourquoi il choisit ces trois émotions là et pas d’autres, et pour certifier qu’il n’a pas le projet d’une explication englobante et irréfutable.

Car là est le danger : si chacun « sent » bien la part de vérité de l’analyse, le risque est celui d’un excès de subjectivité qui trahirait la vérité qu’elle prétend révéler.

C’est donc séduisant, et presque superficiel, mais c’est la rançon du tact et de la vraie empathie psychologique de l’auteur avec ses sujets. Il y a pourtant énormément d’aperçus sur la façon dont les sociétés se perçoivent : on parcourt une promenade impressionniste des « représentations » : car derrière les émotions transparaît la figure théorique des représentations imaginée par Y. Lacoste, et que D. Moïsi renouvelle pour l’occasion avec bonheur.

Le lecteur est un peu déçu de la partie sur l’espoir (le continent asiatique) même s’il y a de bonnes pages sur le Japon (pp. 8—92). Il est bien meilleur sur le ressentiment (le monde musulman), mais la qualité est à nouveau mitigée quand il en vient à la peur qui toucherait l’Occident. Derrière la crise d’identité de celui-ci apparaît plus le doute que la peur.

On appréciera toutefois l’honnêteté de l’auteur qui, pour chaque catégorie, montre les limites de la généralisation et veut étudier les cas divergents du modèle proposé. Surtout, il rejette en fin d’ouvrage des cas inclassables (Russie, Israël, Afrique, Amérique latine, soit quand même près de la moitié du monde). On regrettera le dernier chapitre qui propose des scénarios en 2025 et dont l’utilité ne convainc pas.

Au final, un ouvrage moins léger qu’il n’y paraît, plein d’énormément d’aperçus et d’observations, donnant matière à réflexion. C’est plus un croquis qu’une théorie, ce qui est à la fois sa vertu et sa limite : il défriche toutefois un domaine nouveau des RI qui mérite, à l’évidence, d’être approfondi.

O. Kempf

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/125

Fil des commentaires de ce billet