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La mémoire des tragédies permet-elle d’en éviter le retour ?

La mémoire des tragédies permet-elle d’en éviter le retour ?

Beau sujet de CID, non ?

1/ Le sujet est en vogue à cause de la polémique qu’il y a eu à propos des lois mémorielles. C’était une accroche intelligente pour entamer l’introduction, sans s’y attarder. Car le sujet est là : peut-on politiser l’histoire ? peut-on surtout ne pas politiser l’histoire ? Ou encore, l’histoire est elle une science humaine neutre, sans conséquence sur la vie de la société dans laquelle elle s’inscrit ?

Après l’énoncé du sujet, un des bons moyens d’introduire la problématique consiste comme souvent à s’attarder sur la définition des mots. Ici, on pouvait creuser le mot tragédie, en disant que c’était à la fois un événement historique, mais aussi la façon dont cet événement a été ressenti. Et que surtout, en employant le mot « tragédie », on le théâtralise : l’événement devient plus qu’un simple moment de l’histoire, il devient récit, discours, émotion et il prend une valeur d’exemple qui dépasse la seule relation de l’événement. La façon de raconter l’événement devient alors l’enjeu : a-t-elle des vertus pédagogiques ? lesquelles ? qui doit manipuler ce récit ? comment associer une émotion privée à un rôle public ? On peut bien sûr évoquer les mots de catharsis ou de résilience qui sont au cœur du débat actuel. Mais il faut les maîtriser : à employer avec prudence, donc....

2/ un plan possible s’articulait autour de la subjectivité de l’histoire : puisque l’histoire n’est pas objective, comment en faire le récit ? Ce qui est proposé est évidemment critiquable (je l’ai fait rapidement) mais il témoigne d’une progression logique qui est ce qu’on recherche.

I La double nature de l’histoire

A/ L’histoire est d’abord l’objet étudié 1/ La succession d’événements (qu’il s’agisse de faits ou de tendances longues : on introduit ainsi l’apport classique de l’école des Annales) 2/ La façon dont ces événements sont vécus (histoire psychologique, importante dans la construction de la culture) : Hugo racontant l’empire fait l’histoire de son temps en même temps qu’il parle de l’histoire passée.

B/ L’histoire est une science humaine qui ne peut atteindre une illusoire objectivité 1/ L’historien décèle des leçons et des rapports inconnus des contemporains (la chouette d’Hegel) : l’histoire est le résultat d’un travail, d’une maïeutique. Chaque cas historique est donc contingent, et une « tragédie » sera toujours unique. 2/ L’historien n’est jamais neutre, sa subjectivité entache toujours son travail : il ne peut s’en dégager que par un travail épistémologique sur lui-même (K. Popper, misère de l’historicisme).

Transition : l’histoire n’est donc jamais neutre, et il n’y a pas de « lois historiques », selon une mécanique positiviste. Cela n’interdit pas pour autant une pédagogie de l’histoire

II La pédagogie de l’histoire doit servir des buts sociaux

A/ Le récit historique sert la construction identitaire 1/ Pas de construction identitaire sans discours sur les origines : Y. Lacoste et sa théorie de la représentation géopolitique. 2/ Mais les excès d’une construction identitaire peuvent être la source de nouvelles tragédies : on cite par exemple le discours serbe sur le Kossovo, ou le clivage des Hutus et Tutsis.

B/ Il faut donc un devoir de mémoire qui serve la cohésion sociale 1/ le risque du communautarisme : accepter trop de mémoire particulières menace l’homogénéité de la société : on est toujours l’opprimé de quelqu’un (abus du mécanisme victimaire, tyrannie de la repentance, cf Bruckner). 2/ Le devoir de mémoire doit donc servir la communauté nationale (cf. D. Schnapper), ce qui n’exclut pas d’accepter les erreurs (H. Arendt). On cite Amin Maalouf, A. Grosser pour l’identité (voir ici).

Conclusion : le récit de l’histoire est un impératif social. L’oublier entraînerait à coup sûr dans de nouvelles tragédies. Un travail de mémoire moderne doit avoir conscience de cette nécessité de cohésion collective, tout en acceptant les erreurs afin de réintégrer les victimes dans la communauté nationale. Il ne garantit pas qu’il n’y aura pas de nouvelles tragédies : il en réduit seulement le risque.

O. Kempf

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