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Galula : Conditions géographiques de l'insurrection

Galula, la "perle de Petraeus", est donc LA référence des COIN. Qu'a-t-il dit des conditions géographiques de cette guerre nouvelle ? on est là dans la géostratégie (plus que dans la géopolitique au sens strict), mais il m'a paru de vous faire lire cet extrait de son livre.

O. Kempf

CONDITIONS DE LA VICTOIRE DE L'INSURRECTION

''La doctrine de la frontière '' Tout pays est, pour des raisons administratives ou militaires, divisé en provinces, cantons, districts, zones, etc. Les zones de frontière constituent une source permanente de faiblesse pour le régime loyaliste quelles que soient ses structures administratives, et cette faiblesse est généralement exploitée par l'insurgé, particulièrement dans les premiers temps de l'insurrection. En se mouvant de part et d'autre de la frontière, l'insurgé réussit souvent à échapper à la pression ou, au minimum, à entraver les actions de son adversaire. Ce n'est pas par hasard que les territoires dominés par les communistes chinois incluaient la région frontière du Shensi-Kansu-Ningsia, la région militaire du Shansi-Chahar-Hopei, la région militaire du Hopei-Shantung-Honan, et la région militaire du Shansi-Hopei-Honan. Opérer le long des frontières faisait partie intégrante de leur doctrine.

LES CONDITIONS GÉOGRAPHIQUES

Le rôle de la géographie, qui est important dans une guerre ordinaire, peut être déterminant dans une guerre révolutionnaire. Si l'insurgé ne peut pas tirer avantage de la géographie pour compenser partiellement sa faiblesse de départ, il est sans doute condamné à l'échec. Ce qui suit est une description succincte des effets de divers aspects du terrain sur les opérations.

1. Situation. Un pays isolé par des frontières naturelles (mer, désert, chaîne de montagnes infranchissables) ou accolé à d'autres pays opposés à l'insurrection est un terrain favorable pour les loyalistes.

2. Taille. Plus un pays est grand, plus il est difficile pour son gouvernement de le contrôler. La taille d'un pays peut affaiblir même le plus autoritaire des régimes ; les difficultés actuelles des Chinois au Tibet l'attestent.

3. Configuration. Un territoire facile à compartimenter gêne l'insurgé. Ainsi, les forces loyalistes grecques n'eurent aucune difficulté à nettoyer la péninsule du Péloponnèse. Si le pays est un archipel, l'insurrection peut difficilement s'étendre, comme on l'a vu dans le cas des Philippines. Le gouvernement indonésien, qui ne peut pas être qualifié de régime fort, a cependant réussi à écraser des rébellions aux îles Moluques, à Amboina et ailleurs.

4. Les frontières internationales. La longueur des frontières, particulièrement si les pays voisins sont sympathisants de l'insurrection, comme ce fut le cas en Grèce, en Indochine, et en Algérie, favorise l'insurrection. Une proportion importante de rivages par rapport aux frontières intérieures favorise les loyalistes, car il est facile de contrôler le trafic maritime avec un arsenal de moyens techniques limité que les loyalistes possèdent ou qui lui sont généralement accessibles. Il était par exemple moins coûteux en ressources financières et humaines d'interdire les trafics le long de la côte d'Algérie que de le faire le long des frontières tunisiennes et marocaines, où l'armée française dut construire et entretenir une clôture artificielle.

5. Le terrain. Un terrain rugueux et difficile (montagnes, marais, végétation impénétrable) favorise l'insurrection. Les collines du Kiangsi, les montagnes de Grèce, la Sierra Maestra, les marais de la Plaine des Joncs en Cochinchine, les rizières du Tonkin et la jungle de Malaisie ont donné chaque fois un fort avantage aux insurgés. De même, les communistes chinois ont pu retarder l'avancée nationaliste en Mandchourie dans les périodes où les champs étaient recouverts de kaolin. À l'opposé, le FLN n'a jamais réussi à opérer de façon durable dans les vastes espaces du Sahara, les forces françaises gardant le contrôle des oasis et détectant tout mouvement et toute trace sur le sable à l'aide de la surveillance aérienne.

6. Le climat. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les climats difficiles avantagent les forces loyalistes, qui disposent généralement de meilleures installations opérationnelles et logistiques. C'est particulièrement vrai si les soldats loyalistes sont des indigènes, accoutumés aux rigueurs du climat. La saison des pluies en Indochine a plus perturbé le Vietminh que les Français. Lors des périodes d'hiver en Algérie, l'activité du FLN était réduite à rien ou presque. Pour la guérilla, qui évolue constamment en terrain ouvert, le stockage des armes et des munitions dans de bonnes conditions est un casse-tête perpétuel?'

7. La population. La taille de la population influe sur la guerre révolutionnaire au même titre que la taille du pays : plus il y a d'habitants, plus il est difficile de les contrôler. Néanmoins, ce facteur peut être compensé par la façon dont la population est répartie sur le territoire. Plus elle est dispersée, mieux c'est pour l'insurgé ; c'est la raison pour laquelle en Malaisie, en Algérie et au Sud Vietnam aujourd'hui, les forces loyalistes se sont efforcées de regrouper les populations pour en limiter la dispersion (ce fut également le cas au Cambodge entre 1950 et 1952).Par ailleurs, une forte proportion de population rurale favorise les insurgés ; l'OAS, par exemple, fut gênée de ne pouvoir s'appuyer que sur la population européenne concentrée dans les villes, particulièrement à Alger et Oran. Le contrôle d'une ville, qui se limite souvent à celui des approvisionnements, requiert moins d'effectifs que le contrôle d'une même population éparpillée dans la campagne (à l'exception du cas du soulèvement de masse en ville, phénomène le plus souvent éphémère).

8. L'économie. Le niveau de développement et de sophistication de l'économie peut travailler pour les deux camps. Un pays très développé est très vulnérable à une campagne de terrorisme courte et intense. Mais si cette campagne se prolonge, les dégâts peuvent être tels que la population ne puisse plus les supporter et se retourne contre l'insurgé, même quand elle lui était favorable initialement. Un pays sous-développé est moins vulnérable au terrorisme mais bien plus à la guérilla, notamment parce que les loyalistes ne disposent pas d'un bon réseau de transport et de communication et parce que la population est plus autarcique. En résumé, la situation idéale pour l'insurgé serait un grand pays situé à l'intérieur des terres, en forme d'étoile aux pointes émoussées, avec des montagnes couvertes de jungle le long des frontières et quelques marais dans les plaines, dans une zone tempérée, avec une population importante, majoritairement rurale et dispersée, et une économie primitive (figure 1). Le loyaliste préférerait une petite île en forme d'étoile aux pointes aiguisées, avec quelques villes situées à gale distance les unes des autres, séparées par un désert, dans un climat tropical ou arctique, avec une économie industrielle (figure 2).

images_galula.jpg

David Galula

Commentaires

1. Le mardi 14 avril 2009, 20:54 par DanielB

Voir aussi les travaux de LACOSTE ( stratégies dans la Sierra Maestra ) sur la guérilla de Fidel Castro et l'analyse d'un universitaire Quebecquois sur les conditions de l'échec du " Che " en Bolivie .
Thomas Varlin, "La mort du Che Guevara. Les problèmes du choix d'un théâtre d'opérations en Bolivie", Hérodote, no. 5 (1977), p. 39-81

" l'échec de nombreux mouvements guérilleros en Amerique latine sur le modèle " sierra maestra " montra qu'il fallait faire une analyse plus
  approfondie de la situation et qu'il ne suffisait pas d'aller n'importe ou dans la montagne ou la forêt pour créer une base de guérilla "
Yves Lacoste

Sur l'aspect sociologique , K.S. KAROL montre dans " Les guerilleros au pouvoir " pourquoi la jeunesse " bourgeoise " d'Amérique Centrale a massivement adhéré à ces mouvements : Le manque de perspectives dans des sociétés sclérosées pour des jeunes hautement diplômés .

Il faut amha raisonner comme le fait Lacoste , en terme de diagrammes d'Euler ou de Venn ( les " patates " de notre collège )
http://fr.wikipedia.org/wiki/Diagra...
Les conditions de survie d'une guérilla se trouvant à l'intersection de plusieurs facteurs .

Une autre étude récente a fait intervenir la notion de percolarité : Le nombre , la structure des " favorables " ou " neutres " , leur répartition spatiale , à un mvt pour que la guérilla puisse évoluer sans danger comme un filtre laisse passer les particules d'une certaine taille .

Cordialement

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