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La technologie militaire en question Le cas américain de Joseph Henrotin

ça y est : j'ai profité de ce long week-end non pour creuser une tranchée (d'autres font ça très bien ;-))))) mais pour rédiger ma fiche de lecture du dernier opus de Joseph.

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Le débat stratégique contemporain utilise à profusion les termes de Révolution dans les affaires militaires, de transformation, d’Air Power, de boucle OODA, de cyberguerre, d’EBAO, d’opérations réseaucentrées, de C4ISR, de guerre de l’information.... Souvent, nous prenons un air entendu comme si nous savions parfaitement à quoi cela correspond. Or, faut-il le reconnaître, nous n’en avons le plus souvent qu’une vague idée, et nous ne connaissons pas exactement ce que recouvre cette notion, ni surtout ce qu’elle apporte –et ce qu’on lui reproche- à la compréhension des conflits.

Rien que pour permettre de tirer cela au clair, le livre de Joseph Henrotin doit être lu avec attention. Car il apporte à la fois un savoir encyclopédique mais aussi généalogique de quasiment toutes les notions stratégiques contemporaines. Le sous-titre est en effet tout sauf anecdotique : car la technologisation de la guerre est d’abord un fait américain. Et les Américains sont aujourd’hui ceux qui polarisent le débat stratégique, pour plusieurs raisons : ils utilisent régulièrement la force pour satisfaire leurs objectifs de puissance, ils consacrent un budget énorme aux dépenses militaires (tant en fonctionnement qu’en équipement) et ils constituent pour cela la référence occidentale en matière de défense. Pourtant, au-delà de toutes ces raisons, les Américains ont toujours choisi un primat technologique qui leur est devenu une seconde nature. Et leur modèle militaire est d’abord un modèle technologique.

Dire qu’il est « en question » pourrait seulement faire allusion aux limites actuellement rencontrées par les Américains dans leurs opérations en Irak et en Afghanistan, où ils constatent que remporter la bataille initiale ne suffit pas et que la victoire s’obtient en tenant durablement le terrain. Cette borne n’est toutefois que le révélateur d’un débat plus profond. Et c’est ce débat dont rend compte J. Henrotin.

En effet, ce qui apparaît vu d'Europe comme un discours unifié et monolithique apparaît, à l’étude, beaucoup plus foisonnant, compliqué et contradictoire qu’il n’y paraît. Et le questionnement dont rend compte l’auteur est finalement double : il s’agit à la fois du questionnement interne au débat stratégique américain, mais aussi du questionnement extérieur porté par l’observateur sur la nature, le sens et la portée de ce débat.

Car J. Henrotin a tout lu, et surtout il a beaucoup réfléchi. Son ouvrage n’est pas seulement la somme encyclopédique évoquée plus haut, il est aussi réflexion stratégique sur l’idéologie de la technologie. Là se tient le propos fondamental de l’auteur : la technologie n’est pas chose mauvaise en soi, mais son idéologisation est en revanche néfaste. Car la technologie, trop mise en avant, se substitue à la pensée stratégique : au lieu d’être un moyen qui vient répondre aux demandes d’une pensée stratégique, elle devient l’unique instrument de la stratégie et donc l’absence de pensée. Est-il besoin d’ajouter qu’ainsi, l’échec est assuré ?

L’auteur est à l’aise dans le fouillis de la production intellectuelle américaine : sa volonté de franciser les termes est louable, même si on se perd un peu dans les raffinements parfois abscons du discours américain, friand de sigles et de néologismes (inconvénient de la pensée powerpoint, un peu publicitaire, où le slogan se suffit comme argument). L’ouvrage est dense et mérite un effort intellectuel, mais celui-ci est fructueux.

En pointant les limites de la technologisation, ainsi que ses atouts, il permet de mieux comprendre les voies du succès de demain à l’occasion des opérations de contre-insurrection : mais il s’agit là d’un autre débat... On en tire surtout que la boucle OODA, par exemple, présentée comme évidente et universellement admise, peut être critiquée et remise en question. Bref, qu'il n'y a aucune évidence à toutes les théories transatlantiques qui se déversent sur nos rivages aux rythmes des marées du Gulf Stream.

Un ouvrage salubre, exigeant mais nécessaire. Urgent, donc.

La technologie militaire en question (Le cas américain) de Joseph Henrotin, Economica, septembre 2008

O. Kempf

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