Ainsi, il aura fallu la guerre du gaz de l'hiver dernier pour que les Européens se rendent compte qu'on ne peut continûment négliger ses responsabilités.
1/ Souvenez-vous : de bas intérêts commerciaux et une négligence profonde amenaient les différents acteurs à laisser les Russes mener leurs affaires, et développer qui un gazoduc au travers de la Baltique (North Stream, codirigé par M. Schroeder ce qui ne choque personne, et contournant soigneusement la Pologne et les états baltes afin de livrer directement l'Allemagne), qui un gazoduc à travers la mer Noire pour approvisionner directement l'Italie (Southstream, ce qui est une des raisons du soutien réitéré de M. Berlusconi à M. Poutine en particulier et aux Russes en général, voisinage qui surprendra seulement les candides).
2/ Du coup, le projet alternatif de gazoduc passant par le Turquie pour approvisionner l'Europe centrale et orientale périclitait gentiment, à cause de l'absence de parrain à l'ouest de l'Europe. En effet, la France s'approvisionne en Algérie, le Royaume-Uni en Norvège, le Bénélux aux Pays-Bas, etc.
3/ La guerre du gaz de hiver dernier aura été, en quelque sorte, le pont trop loin de l'instrumentalisation russe de son arme énergétique. Subitement, l'Europe centrale grelottait, et décemment, on ne pouvait plus continuer d'ignorer. Du coup, à défaut de parrain clairement identifié, ce furent Bruxelles et l'UE qui décidèrent de promouvoir Nabucco. A la grande joie des pays de l'Europe centrale et de l'est. Un accord signé aujourd'hui marque une étape dans la réalisation d'un projet qui, autrement, paraissait fort compromis. (voir articles ici et ici)
4/ On sait que ce gazoduc passe par la Turquie, et irait se brancher directement dans les gisements du Caucase et de la Caspienne. Il y a bien sûr la question de l'approvisionnement : l'Azerbaïdjan promet 4 Mds de m3, qui sont insuffisants pour remplir le tube. Mais le Turkménistan a promis de s'y associer, et on on porte espoir de s'accorder avec l'Ouzbékistan et le Kazakhstan. Mais ce qui est le plus significatif tient à ce que l'Europe, justement, ne s'arrête pas à cette faible rentabilité : elle décide le gazoduc pour des raisons qui sont politiques : l'indépendance des approvisionnements en énergie. En d'autres termes, la sécurité énergétique. Cette non rentabilité est géopolitique.
5/ Moscou poursuivra donc ses efforts. Rappelons ce qu'était la ligne russe depuis trois ans : profiter du rebond économique dû à son économie pétrolière pour rehausser le ton sur la scène internationale et notamment pan-européenne, tout en usant de l'arme "énergique" pour reprendre pied sur les confins de l'ex-empire. Cela a admirablement fonctionné avec Bush et le pétrole à plus de 100 $ le baril. Mais avec Obama et un dollar surévalué à 60 $ le baril, le système touche à ses limites. Surtout quand le succès de l'été dernier, contre la Géorgie, aveugle au point de vouloir tordre le cou à l'Ukraine, mais de façon trop directe et finalement peu efficace, avec surtout un effet pervers (aux yeux de Moscou) : faire suffisamment peur pour que l'Europe se réveille. Euh!... sorte un peu de sa léthargie.
6/ L'affaire est intéressante pour la Turquie aussi, même si ses prétentions financières ne sont pas satisfaites. C'est surtout un excellent coup géopolitique qui est joué par Ankara : à l'heure où certains renâclent à poursuivre les négociations d'adhésion avec la Porte, se rendre indispensable lors d'un des seuls actes géopolitiques concrets de l'UE est finement joué. Car bien malgré elle, l'Europe invente (aveuglément, hégéliennement) une géopolitique de son voisinage oriental, pour contrer une Russie qui fait plus de bruit qu'elle n'en est capable, mais qui force du coup l'Europe à exister, nolens volens.
7/ Voilà en fait la vraie réponse européenne au coup de Tbilissi de l'an dernier : il ne s'agit bien sûr pas du cessez-le-feu "négocié", puisque finalement la Russie a continué à n'en faire qu'à sa tête. Mais par la relance de Nabucco, l'Europe prend pied indirectement dans le Caucase, et vient contrer l'ours dans son arrière-cour.
Il n'est pas sûr que c'est ce que souhaitait M. Medvedev....
O. Kempf
Référence : on lira ce billet sur la géopolitique involontaire de l'UE. Celui-ci de janvier, sur "Europe, gaz et Russie". Celui-ci sur la manipulation des affaires de gaz. D'un autre blog, sur la bataille South Stream - Nabucco : billet.
Faits sur Nabucco : longueur de 3300 Km. Coût estimé de 7,9 G Euros. Capacité de 31 Mds de m3. Entrée en service prévue en 2014. Financement à 70 % par l'UE, la BERD et la banque mondiale, 30 % par des groupes pétroliers.
1 De Antoine -
Bonjour.
Pour ceux que cela intéresse, il est possible de regarder sur Arte+7 le dessous des cartes diffusé le 11 juillet dernier et qui est justement consacré à ce sujet (cause de cet article?): http://plus7.arte.tv/fr/detailPage/...
Cordialement.
EGEA : non, je ne regarde pas la télé, même pas le dessous des cartes (je devrais, c'est excellent). La cause de mon billet tient simplement à l'annonce (discrète) de la signature de l'accord sur Nabucco. Le dessous des cartes a eu de la chance dans sa programmation (quoique : c'est un sujet qui durera encore quelques années...).
2 De -
Bonjour,
Je suis tout à fait d'accord, le poids symbolique est de prime importance concernant ce futur gazoduc, plus que son rendement réel (enfin théorique).
Il y a tout de même un hic majeur sur le plan pratique : les Européens ne vont-ils pas devenir otages non plus de la Russie mais de la Turquie dorénavant? Cette dernière ne jouera pas avec ses tuyaux pour appuyer sa candidature auprès de l'UE qui n'a que trop duré (sur ce point je ne lui donne pas du tout tort)? Dernier point : et quid du scénario d'une entente Turco-Russe sur le dos des Européens?
Et je ne parle pas de l'Iran qui est justement le partenaire de l'ombre de ce "beau" projet, le seul qui permettrait par ses réserves gazières d'atteindre les débits escomptés... Conjecture confortée par la déclaration du 13/07/2009 de Recep Tayyip Erdoğan exprimant son souhait de faire participer l'Iran à Nabucco.
Cordialement
EGEA : oui, vous avez tout à fait raison, sur tous les points. Mais c'est l'étape d'après, laissons les acteurs jouer leur jeu.