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A propos de la visite d'un ministre espagnol à Gibraltar, et des présides espagnols(Ceuta & Melilla)

Ainsi donc, un ministre espagnol s'est rendu en visite à Gibraltar (voir ici). C'est la première fois depuis que le territoire a été cédé à la GB il y a 300 ans (traité d'Utrecht de 1713, mettant fin à la guerre de succession d'Espagne et installant les Bourbons en Espagne.....). C'est l'occasion de faire le point sur la question, mais aussi sur celle des enclaves espagnoles de l'autre côté du détroit.

1/ Ainsi, Gibraltar est "anglaise", même si elle dispose d'un certain statut d'autonomie. Deux référendums (en 1967 et en 2002) ont rejeté à une écrasante majorité le partage de souveraineté du rocher avec l'Espagne (18.000 voix contre 180). S'il y a une sorte de patriotisme, l'autonomisme des Gibraltariens tient aussi au statut de zone franche du territoire, et donc à ce qu'il est une sorte de paradis fiscal. Faut-il voir dans la visite d'il y a deux jours, la reconnaissance d'intérêts partagés entre Londres et Madrid ? et surtout, récents ? la crise économique aurait des effets géopolitiques....

carte_detroit_gibraltar.jpg (carte chargée sur http://www.cosmovisions.com/cartes/VL/088d.htm)

2/ Gibraltar est un rocher dont la partie "habitable est orientée vers l'ouest. Comme on le constate sur cette carte, elle contrôle la baie d'Algésiras, mais d'autres ports peuvent contrôler le détroit (Algésiras, Tarifa). Surtout, avec les moyens modernes, la notion de contrôle naval a bien évidemment perdu beaucoup de son sens. La revendication espagnole tient donc à des questions d'orgueil et de prestige.

3/ Gibraltar a été placée sur la liste des territoires colonisés de l'Onu, ce qui n'est pas le cas de Ceuta et Melilla ni des autres "lieux de souveraineté" (plazas de soberanía) : sur la côte nord du Maroc s'échelonnent ainsi un certain nombre d'iles et d'enclaves (cinq au total) à souveraineté espagnole. Ces "présides" (traduction approximative de l'espagnol, je pense que le terme d'échelles conviendrait mieux) ont la caractéristique d'être en Méditerranée (hormis l'îlot du Persil, on y reviendra).

afrique_espagnole.png

4/ L'ensemble de ces lieux de souveraineté compte environ 150.000 habitants. Beaucoup sont catholiques avec une minorité de musulmans. Les situations de part et d'autre du détroit paraissent donc similaires. L'Espagne justifie sa position en expliquant qu'elle est présente à Ceuta et Melilla depuis le XVI° siècle, soit bien avant la colonisation française, et que l'indépendance de 1956 n'a rien à voir avec ses droits ancestraux. Cette position est critiquée par tous les anti-colonialistes. Remarquons simplement qu'il faut une certaine souplesse d'esprit pour expliquer qu'un traité du XVIII° siècle est injuste, mais qu'une situation du XVI° est valide.

5/ Ce qui lie probablement les deux rives et ces deux exceptions tient en fait à la pression migratoire : on se souvient des décès qui avaient eu lieu il y a quelques années lorsque des migrants avaient voulu forcer la barrière qui entoure les présides. Ceuta et Melilla sont en fait des abcès qui matérialisent la différence de richesse entre l'Europe et l'Afrique. La pression migratoire actuelle s'est aujourd'hui portée sur Malte et Lampedusa, mais c'est la même. On peut donc s'interroger sur la nécessité, pour l'Espagne, à continuer de défendre sa souveraineté sur des enclaves qui lui rapportent peu : sa position détonne, surtout quand on la compare avec ce que fait le Danemark actuellement avec le Groenland (alors que les ressources du Groenland paraissent autrement prometteuses que celles des présides).

6/ Il faut toutefois, à la défense de l'Espagne, apercevoir deux facteurs qui expliquent son intransigeance. Ils ont tous deux trait à l'identité du pays. Tout d'abord, en termes de représentation, il parait utile au gouvernement espagnol de conserver un souvenir tangible de ce qui a fait le pays, à savoir la Reconquista. De ce point de vue, Ceuta et Melilla sont des buttes témoin de la construction espagnole, et donc de sa représentation. Surtout, et le problème est là beaucoup plus prégnant politiquement, le royaume ne peut se permettre de laisser partir des terres sous une autre souveraineté, car ce serait créer un précédent face au pays basque ou à la Catalogne. Le maintien de l'unité nationale explique la position envers les présides, et envers Gibraltar.

7/ On peut alors s'interroger sur l"apparente docilité marocaine. On se souvient certes de la "guerre du Persil" en 2002, qui avait vu "s'affronter" les marines espagnoles et marocaines autour de cet ilôt inhabité et minuscule. Hormis ce "glorieux fait d"armes" (ridicule, il faut bien le dire), il faut bien constater une compréhension marocaine. Elle tient à deux éléments très intéressés : d'une part, au cas du Sahara espagnol, le Maroc voyant un parallèle entre sa conquête au sud et celle de l'Espagne sur les présides ; d'autre part, la volonté de coopérer avec l'Union Européenne en général, sur une voie autonome de développement et de partenariat, aussi efficace semble-t-il que la voie turque (le Maghreb constituant une autre façon de lier rapport avec l'UE, et aussi efficace semble-t-il).

Ces aperçus permettront de comprendre qu'il y a matière à coopération entre la GB et l'Espagne (pêche, immigration, et surtout trafics financiers) mais que ces micro évolutions n'amèneront pas, à court terme, d'évolution de l'autre côté du détroit.

Olivier Kempf

Références :

  • sur la population de Gibraltar : page de l'université de Laval (Québec)
  • Sur Ceuta et Melilla :
  • une fiche sur les enclaves d'un institut de recherche
  • un blog qui déplore "l'occupation espagnole".
  • un bon reportage sur les populations mélangées de Sebta la marocaine, et Ceuta l'espagnole.

Commentaires

1. Le jeudi 23 juillet 2009, 22:03 par soumarsov

Ces "présides" sont en quelque sorte les témoins de la Reconquista, comme l'enclave" de Kaliningrad est aujourd'hui le seul témoin de la victoire soviétique sur l'Allemagne nazie....

EGEA : oui... à ceci près que Kaliningrad-Königsberg a régulièrement changé de souveraineté au cours des quatre derniers siècles ! Et que la domination russe a été minoritaire. Mais je note que vous faites allusion à la victoire soviétique. De ce point de vue là, il y a aussi les Kouriles.....

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